La Toison d’Or : naissance du premier ordre de chevalerie française

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La création de l’ordre de la Toison d’or par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, à l’occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal, le 10 janvier 1430, n’était pas en soi une initiative exceptionnelle. Elle se situait à une époque où la noblesse médiévale militaire avait depuis longtemps été remplacée en tant que force vive par les villes, la bourgeoisie et les commerçants ; les occasions festives, où se déployait chez les nobles comme chez les bourgeois une héraldique de parade, les ordres, les fraternités et les « cours » avaient succédé aux manifestations guerrières d’antan.

Néanmoins, la défense de la chrétienté et les expéditions qui la ponctuaient n’étaient pas lettre morte. Dans ce cas , le jeune duc était né alors que son père Jean sans Peur, vaincu à Nicopolis en 1396, était encore prisonnier des Turcs. L’idée d’une nouvelle croisade, malgré les conditions qu’elle impliquait, restait présente, traduite dans les actes comme dans les textes.
La bibliothèque du duc comptait plusieurs ouvrages qui s’y référaient : l’Advis directif pour faire le passage d’Outremer, que Guillaume Adam avait adressé au roi de France Philippe VI de Valois en 1332, avait été traduit en français pour le duc par Jean Miélot vers 1455 (Bruxelles, Ms 9095) ; l’Epistre lamentable et consolatoire sur le fait de la deconfisture […] du roi de Honguerie par les Turcs devant la ville de Nichopoli en lem pire de Boulegarie, adressé vers 1397 par Philippe de Mézières au duc Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, comptait aussi au nombre des manuscrits de son petit-fils (Bruxelles, Ms 10486).
Parmi les oeuvres de Jean Germain, premier chancelier de l’ordre de la Toison d’or, la Mappemonde universelle, écrite en 1449 (Bruxelles, Ms 11038), le Dyalogus Christiani contra Saracenum (Bruxelles, Ms 5172-74, copie du XVI siècle) et La Voye de Paradis (Bruxelles, Ms IV 823 [3 mars 14741), traduisaient les idées de l’auteur, champion d’une nouvelle croisade et défenseur du héros biblique Gédéon comme patron chrétien de l’ordre.
Pie II, pape de 1458 à 1464 (Enea Silvio Piccolomini) qui composa vers 1460-1461 sa lettre Ad Mahometum Turcorum regem [Bruxelles, Ms 708-7191), y réfutait le Coran, exposait la foi chrétienne et proposait à Mehmet la couronne de l’empire d’Orient en échange de sa conversion. Cette missive procédait du même esprit que la diète de Mantoue (1459), dont Pie II avait été l’initiateur, où fut prônée la croisade. On ne peut enfin passer sous silence le récit que fit Olivier de La Marche des Vceux du Faisan, qui eurent lieu au cours du banquet organisé par le duc le 17 février 1454 à Lille. Le roi d’armes, dit « Toison d’or », y apporta un faisan vivant colleté de pierres précieuses, sur lequel les assistants prononcèrent chacun le voeu de se croiser. Ce fut aussi à Jean Le Fèvre, roi d’armes de la Toison d’or, que l’on doit l’Epistre faitte en la contemplacion du saint voyage de Turquie omposée en 1464.

De son côté Guillaume Fillastre (1392-1473), évêque de Tournai et abbé de Saint-Bertin, chancelier de l’ordre de 1461 à 1473, adressa à Charles le Hardi, vers 1475, Le Traittié de Conseil, c’est-à-dire de bon gouvernement (Bruxelles, Ms II 1172).
Fillastre est évidemment plus connu encore pour les fameux livres sur la Toison d’or (Bruxelles, Ms 9027-9028), composés à la demande du Téméraire, qui avait été impressionné par un sermon prononcé par le chancelier en l’église Notre-Dame de Bruges lors du chapitre de l’ordre en 1468. Initialement, le projet était vaste : remémorer l’histoire de six Toisons, celles de Jason, Jacob, Gédéon, Mesa, Job et David, qu’il mettait en rapport avec six vertus : Magnanimité, Justice, Prudence, Fidélité, Patience et Clémence. A sa mort, en 1473, seuls trois volumes étaient complétés et le travail ne fut pas poursuivi.

Accepter comme patron d’un ordre très chrétien un héros païen avait dérangé plus d’un écrivain

(à suivre ..)

saint-valentinà voir ici :

réveillez le chevalier ou la dame de coeur qui sommeille en vous !

avant lui : Christine de Pisan, célèbre auteur de l’Epistre d’Othea, considérait Jason comme la personnification de l’Ingratitude ; en revanche, la ver¬sion française de l’Ovide moralisé, compilation anonyme qui connut un grand succès, notamment à la cour de Bourgogne, s’efforçait de faire de chaque personnage évoqué par Ovide une préfigu¬ration de l’Histoire sainte : la chute d’Hellé dans les flots de la mer qui porte depuis son nom était mise en rapport avec celle des anges rebelles, et Dieu avait envoyé la Vierge pour sauver le monde, tout comme le mouton doré avait été dépêché pour sauver les enfants. Jason était présenté comme bravant la mort pour Médée, à l’instar du Christ crucifié par amour des hommes ; le héros bravait le dragon, comme le Christ franchissait les limbes ; il emmenait les âmes au ciel, comme Jason emportait la Toison d’or et la princesse loin de la Colchide (Lemaire, p. 84-90).

La défense de la foi chrétienne et le « service noble » n’étaient pas seuls à animer l’initiative ducale. L’histoire de Jason, par son côté chevaleresque et romanesque, plaisait au public aristocratique de ce Moyen Âge déclinant. De plus, comme elle était étroitement liée à l’histoire de Troie, elle touchait personnellement la famille ducale qui, directement apparentée aux rois de France pouvait, comme eux, prétendre descendre du héros Francion, parent d’Enée et fondateur lointain de leur dynastie. Cette double raison explique la présence par l’histoire de Jason commandée par Philippe le Bon à son chapelain Raoul Le Fèvre et ses dix-sept manuscrits traitant de la guerre de Troie mentionnés dans la bibliothèque ducale et dont les plus étendus commencent par la relation de l’expédition des Argonautes.
Alors que l’ordre de la Toison d’or comptait parmi les plus prestigieux et que seul -avec ceux de la Jarretière et de l’Annonciade -, il a survécu jusqu’à nos jours, il fut avant tout un ciment personnel de chaque chevalier avec son souverain, une allégeance que des cérémonies fastueuses transformaient en « soumission particulièrement honorable » (Richard).

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