Lotus de Païni et les trois totémisations

Lotus de Païni

un extrait d’un livre fascinant !

André Breton fut très proche des idées développées par Lotus De Païni ; Le savoir de l’homme sauvage ajoute, à son contenu politique et à son contenu psychologique, une dimension affective  qui ne pouvait que séduire les surréalistes, pour qui le savoir affectif constitue la voie royale de la connaissance.  Le sous-titre de l’ouvrage de Lotus De Païni que Breton aime à citer, dans L’Art Magique : Les Trois Totémisations. Essai sur le Sentir visuel des très vieilles races. La faculté de l’homme primitif le conduit à établir des rapports étroits avec la nature, ce n’est pas moindre de ses mérites.

LA PHYSIOLOGIE DV MYSTERE TOTEMIQVE

« J’ai essayé de poser à grands traits les lois morales de la vieille connaissance occulte, les lois de la première forme religieuse. J’ai esquissé très largement — très insuffisamment d’ailleurs — ce que le Totémisme veut dire en substance, je l’ai esquissé très insuffisamment car le mot TOTEM contient, ainsi qu’on peut en juger maintenant, un monde de notions des plus supérieures, des plus profondes, et ces notions je ne les ai touchées que très légèrement, ne voulant pas surcharger cette étude déjà si étrange.

Cependant, je crois en avoir dit assez pour que mes lecteurs soient maintenant familiarisés avec la conception primitive de l’être humain et avec l’idée que la moelle épinière, c’est-à-dire le TOT-M, a été l’objet de rites très particulièrement importants dans toute la préhistoire, depuis les temps les plus lointains jusqu’au vieux monde historique qui vécut de cette grandiose tradition.

Mes lecteurs savent maintenant que le but de la magie, qui travailla tenacement dans les forces intimes occultes de la créature primitive, fut de métamorphoser, de spiritualiser, d’humaniser cette colonne vertébrale de la bête, ce puissant faisceau nerveux où se transforment les éléments de l’âme, où vibrent, en conséquence, toutes les profondes sonorités subconscientes… Mes lecteurs savent que le rite totémique avait pour fin de former la tête, le cerveau, les yeux intellectuels de la face, en un mot, le type cérébral de l’homme. Ils savent que le grand drame totémique apposa dans l’âme des créatures primitives, extériorisées à l’extrême, le SCEAU SPIRITUEL d’un puissant Animal sauvage, les faisant Sangliers, Hippopotames, Vautours, etc…, que ce drame totémique différencia ainsi profondément ces créatures les unes des autres et que par cette différenciation il créa les clans, les races ensuite. Mes lecteurs savent aussi que les êtres primitifs étaient, par constitution même, des mystiques, des extasiés, des extériorisés à l’extrême, des ultra-sensitifs, qu’ils ignoraient tout de la vie physique, « immobile », dont ils n’avaient pas la Vision, la conscience, et que ces êtres primitifs vivaient normalement dans cette Substance effluente qui coulait de partout, dans cette efflorescence aithériques qui constituait un étrange monde plastique !…

Art africain – Masques – Masque Bamoun

Donner une vision objective, ferme, rationnelle à l’élément primitif, diffus, irrationnel, qui tout entier n’était que Sentir, l’aider à VOIR un autre aspect du monde, demanda des millénaires d’une longueur incalculable, en même temps qu’une extraordinaire science d’âme et une étonnante connaissance de la physiologie de l’être.

J’entrerai donc dans le domaine de la physiologie magique qui complète PACTE SPIRITUEL du mystère totémique, physiologie qui consiste essentiellement dans l’opération chirurgicale de la circoncision.

C’est un point épineux à traiter si l’on veut être clair comme la question le comporte ; je dis « épineux », car notre société est ainsi faite qu’elle tolère, admet, trouve plaisantes même, les pires allusions à ses vices les plus intimes pourvu que ceux-ci soient habillés d’un voile littéraire. C’est ce qu’on nomme le « respect humain ».

Il n’importe, la magie du totémisme pour être complètement comprise, doit être regardée sans préjugé : nous analyserons donc sans ambiguïté la question sexuelle. La première forme religieuse resterait bancale si l’on ne parlait très ouvertement de la circoncision, car cette opération fut primordiale à l’origine, elle renferme toute la matérialité de la SÉDUCTION que la Bible appelle le « péché originel » ; c’est dire son extrême importance.

Le pilier magique ou DJED

La physiologie magique agit directement sur la « moelle dorsale », elle détruisit l’oeil frontal, « le regard unique », et força le subconscient de l’être primitif à centrer ses forces visuelles dans les deux yeux de la face. Elle doubla ainsi dans la matière l’action spirituelle du mystère. La science magique a fait de la moelle une étude psycho-physiologique et une expérience toutes deux extrêmement curieuses.

Une pudeur toute intellectuelle ne nous fait compter qu’au nombre de cinq les sens par lesquels nous connaissons l’existence ; en réalité, nous avons six sens et le sixième est le « sens génésique ». Nous n’osons pas classer ce sixième sens qui, cependant, dans l’ordre du développement sensoriel, est le premier en date. Ce sens, qui est d’une si extrême importance dans la compréhension de la vie et dans sa réalisation, qu’il soit actif ou non, nous l’omettons intentionnellement !

Certes, les cinq sens sont des nourrisseurs et des électriseurs de la moelle, mais c’est lui, « le sens génésique », qui l’ébranle tout entière jusque dans ses assises les plus profondes et la fait tressaillir de l’intense frisson qui métamorphose. Ce sens est donc, dans la conception occulte, d’une première importance, car c’est le premier « sens réalisateur » dans le monde de la matière, comme je viens de le dire.

En effet, lorsque la créature est dans le flou de l’âme, que sa vision est intérieure, occulte, qu’elle ne sent et ne voit des choses que leurs effluves et le puissant magnétisme qui s’en dégage, lorsque la créature ne peut se fixer, alors que toutes ses puissances de SENTIR sont en dehors de ses organes, le sens génésique, qui la fait procréer, est le premier qui la mette sur le plan physique dans la réalité matérielle, il est celui qui jette la moelle dans sa tête, celui qui lui ouvre le monde de la conscience de veille et stabilise ses sens.

Aussi le phallus est-il partout dans le vieux monde, et c’est le symbole le plus ésotérique qui soit : il se dresse dans le temple, aux abords du temple ; c’est le « pénate » de la famille, l’amulette préservatrice… Le phallus est éminemment religieux et son origine se perd dans la nuit des temps. Nous le sentons là, dans le mystère du lointain, comme un grand organe au sens très profond ! Il n’éveille en nous aucune curiosité malsaine !

Les créatures primitives sont profondément dans leur subconscient et leur acte génital est purement instinctif, sain. Dans ces lointains, la loi du phénomène est toujours essentiellement spirituelle et c’est cette spiritualité qui « prime » dans toutes les réalisations. Les hommes ignorent les agissements de la matière qui existe à peine pour eux, de sorte que l’enfant n’est pas le résultat de l’accouplement de l’homme et de la femme, mais le résultat de l’imprégnation de la femme par l’Ancêtre, l’ancêtre qui est dans l’occulte des choses, dans l’arbre, dans l’étang près desquels cette femme a passé.

La réincarnation de l’Ancêtre, voilà ce qui seul est réel pour les hommes des lointains ! En Chaldée où la tradition était encore très vivante, les reines dormaient une nuit dans la chambre d’or au sommet de la pyramide pour être imprégnées par le dieu.

Encore aujourd’hui, les primitifs qui n’ont pas eu le contact du blanc ne croient qu’à la seule imprégnation psychique, c’est-à-dire à la réincarnation de l’Ancêtre,… aux « Ratapas », germes d’enfants qui sont dans l’étang, dans le buisson, etc…

Totems bamilekes

Partout dans les vieilles peuplades existe cette conviction qui souvent a une très grande allure… Par exemple, chez les Adamauas de l’Ethiopie centrale, chez les Bokkos, les Namdjis, etc, il est coutume, lorsque le cadavre d’un vieillard est tombé en poussière, d’enlever son crâne de la sépulture et de le placer dans l’angle sacré de sa hutte. Un de ses descendants vient-il à se marier, le père de la future jeune femme mène celle-ci devant le crâne de l’ancêtre, prend un grain de blé des provisions sacrées et le pose sur la relique, puis présente au défunt la future jeune femme, lui vante sa remarquable aptitude à être mère et le prie de se laisser éveiller de nouveau dans le jeune couple ; alors la jeune femme prend le grain de blé et l’avale (43).

A l’origine le phallus a un sens très profond, et ce sens est spirituel, essentiellement ésotérique.

Aussi bizarre que cela puisse paraître de prime abord, le phallus, pour la science magique, est le premier organe sensoriel de l’Âme, il fit « l’homme », il enfanta l’« Imagination », il déclencha la « faculté pensante » dans l’être.

C’est l’acte génital qui, dans l’extrême lointain, enfanta l’Imagination ; il fut une initiation, et les orgies sous la lune, l’astre éminemment totémique, eurent un caractère absolument religieux. Alors toute la vie sexuelle était un rite… Dans ce vieux monde, où la pensée n’existe pas, l’accouplement est puissant et sain. Lorsque nous en voyons le geste bizarre, désordonné, vers la fin de vieille période historique, la vie sexuelle est dégénérée ; nous assistons à la pleine décadence d’un principe qui eut sa très haute valeur à l’origine.

La physiologie magique consistait en des opérations chirurgicales telle que l’épilation, la circoncision, la subincision et des incisions dans la peau. Ce opérations eurent toutes la même fin : détruire l’oeil central qui voit l’âme, détruire la VISION unique qui perçoit la substantialité des forces, le fugitif, le mouvement intérieur des choses.

Elles complétèrent le rite mystique spiritualisant, elles l’aidèrent à faire de l’animal un homme. L’arrachement de la dent, usage rituel également, n’est pas immédiatement relié à l’initiation, il entre dans un ordre de faits de l’origine ; il n’y a pas lieu de s’en occuper dans cette étude.

Nous abordons ici une science des tissus très étonnante qui nous met en face d’êtres qui en savaient très long sur les propriétés psychiques du corps et le sens d’âme des organes et leurs corrélations. »

Lotus de Païni, in les trois totémisations

nouvelle édition

suite extrait no 2 : la magie est imitative et transmutatrice de la nature

« Pour transmuer les forces élémentaires, les porter à une nouvelle puissance, celle de l’esprit, le procédé de la magie fut le procédé même de la nature. Elle « imita » comme la nature s’imite pour se métamorphoser et créer un nouveau type à l’existence. La magie imita la nature sur un autre plan de l’existence : le plan spirituel, imaginatif.

La nature s’imite pour aller de valeur en valeur. Elle s’imite sans se lasser et, ce faisant, elle se spécialise, s’individualise toujours davantage, jusqu’à créer des formes nouvelles ; car, telle est sa mystérieuse loi, qu’elle se métamorphose entièrement par son imitation.

Les étapes métamorphosantes de la graine, de l’œuf, de l’ovaire, de l’ovule sont imitatives. Les formes histologiques des organes sont imitatives et se montrent comme de curieuses fleurs de chair. L’œil, le testicule sont d’étranges asters. Le pénis est une anthère. Les systèmes nerveux sont arborescents, le cervelet est une bizarre feuille de vigne. L’oreille, dans laquelle frappe sonorement la vibration aérienne, imite le coquillage qui, lui, a conservé la sonorité océanique. Le poumon imite la feuille qui respire et l’être vivant né de l’Océan aspire et expire comme la vague sur le sable. L’élément ultime est un système solaire qui irradie des rayons obscurs… Ainsi à l’infini,… partout ce rythme imitatif de la vie qui nous dépasse !

D’ailleurs, nous-mêmes que faisons-nous ? Nos enfants que font-ils, sinon imiter ? Avons-nous une autre méthode pour nous instruire dans la vie, pour nous cultiver ? N’imitons-nous pas d’abord les valeurs existantes de la science, de l’art, de l’activité, pour ensuite métamorphoser en nous-mêmes par notre individualité, par notre génie, les bribes que nous en avons pu prendre… Notre mémoire organique, notre vie automatique, instinctive, qui constituent les trois quarts de notre existence et presque entièrement notre vie journalière, de quoi sont-elles faites sinon d’imitations ancestrales, d’imitations qui un jour furent intentionnelles, conscientes et faites sous l’autorité de lois occultes que nous ne connaissons plus. Notre VRAIE conscience a bien peu de poids dans notre vie de tous les jours… C’est d’imitations en imitations que l’homme marche et s’augmente… C’est par des imitations, imitations que notre conscience transforme mystérieusement en notre vie intérieure, que nous avons conçu un univers phénoménal et que nous sommes devenus audacieux dans la matière !

La Magie se substitua spirituellement à la nature pour réaliser le type humain et créer par lui le monde nouveau. La magie imita les mystérieuses transformations de l’existence. Elle IMAGINA les phénomènes naturels, elle les modula, les dansa, les peignit, les dramatisa ; elle emplit le monde de rythmes, de sonorités, de couleurs humaines…

Les hommes grandirent dans cette atmosphère intensément Imaginative,… splendidement imaginative… Ils repétrirent le monde dans le vertige, dans la fascination de leur âme sensitive, largement extériorisée dans l’intensité « aithérique » de la nature d’alors. Ce fut là la très curieuse pédagogie spirituelle du mystère rituel… Alors le miracle était naturel !

Les misérables survivances magiques que nous montre le noir australien sont encore infiniment intéressantes pour ceux qui recherchent sans aucun préjugé les bribes de cet art lointain.

Rien d’autre que la magie n’aurait été capable d’accomplir la rude métamorphose humaine, de vaincre les forces indisciplinées, insaisissables de l’âme subconsciente et sauvage, à l’aube humaine. »

Pierre Volonté

une œuvre océanique qui ouvrit les portes du surréalisme !


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