La Sarre : un espoir déjoué
Introduction : L’espace que nous appelons lotharingien, hérité de la partition de l’empire de Charlemagne, fut bien au XXe siècle la terre des utopies (au pluriel). Sans doute cette longue situation d’entre deux lui a donné cette inventivité de voir l’état autrement. A côté des deux grands colosses que sont la France et l’Allemagne (l’Empire), il a fallu sans cesse faire preuve de flexibilité pour exister. Mais ces XIXe et XXe siècles qui voient triompher le concept d’état-nation, sont aussi ceux des utopies. C’est dans cet espace où les frontières ont longtemps été contestées et changeantes, que les réalisations les plus brillantes ont vu le jour. C’est toujours dans un esprit de paix et de réconciliation que ces « Lotharingiens » vont choisir l’utopie pour résoudre les problèmes les plus épineux de l’Europe de l’Ouest. Bien souvent, ce sont les circonstances de l’époque qui font que l’on est obligé de penser autrement pour préserver la paix ou tout simplement pour exister et faire entendre sa voix. Faisons un petit tour d’horizon du Nord au Sud.
Passons désormais à l’Est de la Moselle. Sur cette terre que l’on appelle le bassin de la Sarre s’est joué une page peu connue de l’histoire de l’union européenne. En effet, elle fut par deux fois détachée de l’Allemagne pour être rattachée économiquement à la France, mais plus ou moins autonome intérieurement. Tout commence en 1919, lors de la signature du traité de Versailles. Le gouvernement français demande le rattachement pur et simple de la région à la France pour des raisons stratégiques, économiques et historiques. Cependant les Anglais et les Américains furent plus réservés et décidèrent une situation alternative : placer le bassin de la Sarre dans le système économique français et la mettre sous la tutelle politique de la Société des Nations pour 15 ans. En mars 1935 a donc lieu un référendum qui donne le choix aux Sarrois : 1) Le rattachement à l’Allemagne (devenue hitlérienne), 2) le rattachement à la France 3) le maintien du statu quo. 90 % d’entre eux se prononcèrent pour ce « premier Anschluss ». Les Sarrois ont cédé aux pressions souvent violentes des nazis devant une SDN qui a fermé les yeux sur quelques irrégularités. Quoiqu’il en soit, ils ont suivi largement les sirènes du nationalisme. Toutefois, c’est à l’occasion de ce référendum que quelques militants plaident pour une nouvelle solution, qui paraît à ce moment très farfelue, choisir l’Europe (sans que ce message de paix soit entendu). Au contraire, c’est la guerre qui est dans les esprits.
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, cette terre de frontière, symbole même de notre Lotharingie a souffert de son choix de 1935. La situation immobilière, morale et économique la pousse une seconde fois à se tourner vers la France. A nouveau attachée économiquement à la France, le franc est introduit en novembre 1947. Au point de vue politique, elle se dote d’une constitution pacifiste et autonomiste un an plus tôt. Les élections donnent le pouvoir au parti chrétien-populaire de Johannes Hoffmann. Il s’agit d’un ancien membre du Zentrum, le parti de centre droit allemand. Les affres du nationalisme des années 30 le persuade qu’il faut désormais penser autrement. Il connu l’exil en France, puis au Brésil. Il rencontra de nombreuses personnalités de l’Europe entière fuyant l’oppression. C’est de là qu’est née sa conscience européenne. En effet, dès 1946, il voit dans la Sarre le berceau de l’Europe nouvelle, un espace où le nationalisme fait place à la démocratie, la fraternité et la liberté.
Pourtant, la Sarre n’est pas un état au sens juridique. La France semble tirer les ficelles par l’intermédiaire de son Haut-Commissaire, puis Ambassadeur Gilbert Grandval. L’Allemagne de l’Ouest ne cesse de déclarer que la Sarre est une partie même du territoire germanique. La réconciliation des années 50 que l’on loue tant n’est pourtant pas si facile. C’est pourtant dans une volonté de paix et de réconciliation que l’argument européen est invoqué. On distingue alors deux tendances. Des pragmatiques qui souhaitent faire l’Europe du possible et les utopistes qui souhaitent construire une Europe intégrale. C’est en 1949, que la Sarre entre véritablement dans le grand bain de l’Europe. A Strasbourg, on crée le Conseil de l’Europe, une institution qui a pour but de rapprocher les Etats occidentaux et de faire respecter les Droits de l’Homme. Pas question donc d’admettre des pays sous la coupe de dictature (communiste ou autoritaire). Quid de la RFA ? On décide alors de son adhésion en 1950, mais on souhaite également accueillir la Sarre. C’est inadmissible pour l’Allemagne car il s’agirait alors d’une véritable déclaration d’indépendance pour le petit territoire. Une véritable bataille diplomatique éclate. Le résultat est une solution intermédiaire, la Sarre n’est admise qu’en tant que membre observateur. Mais l’idée est là. Pour résoudre les problèmes entre la France et l’Allemagne utilisons l’argument de l’Europe. Cynisme ou utopie ? Sans doute un peu des deux.
à suivre dans notre bulletin Chronique Lotharingienne