La vérité des Rose Croix : Pansophie et éducation universelle

Comenius, né Jan Amos Komenský le 28 mars 1592 à Uherský Brod en margraviat de Moravie et mort le 15 novembre 1670 à Amsterdam (Pays-Bas), est un philosophe, grammairien et pédagogue morave. L’école est la fabrique de l’humanité.

L’interview imaginaire :

Nous venons de vivre une guerre de trente ans, et cette guerre est sans nul doute la conséquence de l’ignorance des hommes et de leur difficulté à communiquer entre eux. C’est pourquoi il est primordial de donner à chacun les clés pour comprendre le monde et agir sans aveuglement dans la société. Je suis pasteur protestant et en tant que tel convaincu que chaque être humain est une image de Dieu, et qu’il mérite en cela d’être éduqué. En donnant à chacun une éducation lui permettant d’accéder directement aux textes sacrés, sans l’intermédiaire de prêtres comme dans l’Eglise catholique, il peut ainsi se rapprocher de Dieu. Selon moi, tout être humain peut apprendre, et tout doit être enseigné à tout le monde, sans distinction de richesse, de religion ou de sexe. C’est une pensée bien révolutionnaire à une époque où il est communément admis que les femmes sont inférieures aux hommes parce qu’elles ne possèdent pas les mêmes capacités intellectuelles, et que seuls les nantis peuvent accéder à l’éducation. Mais après tout, orphelin moi-même, ce n’est pas ma situation sociale mais l’éducation qui m’a permis de progresser et de réussir ma vie. Je crois fondamentalement en la perfectibilité du genre humain et en la grande puissance de l’éducation sur l’homme et sur la société.

Mais, me direz-vous, que faut-il enseigner ? ni plus ni moins que la totalité des connaissances. J’ai nommé cette idée la Pansophie, que l’on peut définir comme « la connaissance des choses divines, acquise en partant du monde concret, c’est-à-dire de l’univers entier ou sagesse universelle ». La Pansophie est un système de pensée qui se veut exhaustif, un grand livre qui traite de tous les sujets. C’est une véritable encyclopédie universelle qui conduit l’Homme au salut par l’illumination de son intelligence.

N’est-ce pas là l’ambition des encyclopédistes ?

C’est vrai, mais alors les encyclopédistes visent à présenter toutes les connaissances comme une somme d’éléments indépendants et classifiables, la pansophie permet de donner du monde l’image d’une totalité ordonnée, dont l’homme, à l’image de Dieu, est le centre. Je m’attache donc à aider les élèves à comprendre ce sens global, et à appréhender chaque connaissance comme l’élément d’un tout cohérent. Toutes ces connaissances doivent s’acquérir de manière progressive, en respectant les rythmes biologiques ; en collectant les savoirs de manière systématique, en rendant les apprentissages progressifs et en préparant les exercices appropriés, il n’est rien selon moi qu’un humain ne puisse apprendre.

C’est pourquoi j’ai conçu un système d’éducation qui, me semble-t-il, a plus ou moins perduré jusqu’à votre époque et qui est composé de quatre degrés : l’école maternelle pour les plus petits, l’école publique pour les enfants, l’école secondaire pour les adolescents et les académies pour les plus âgés. Dans ce système, même les élèves les plus en difficulté ont toutes leurs places et si certains présentent quelques faiblesses d’intelligence, il faut néanmoins les prendre en charge et les aider à dépasser leurs difficultés : « Il n’est pas possible de trouver un esprit si disgracié que la culture ne parvienne peu à peu à améliorer. Ne feraient-ils, faibles et sots, aucun progrès dans les études, que leurs mœurs en seraient adoucies ». En quelque sorte, c’est ce que vous nommez aujourd’hui l’école inclusive !

Enfin, j’affirme même que l’éducation est un processus qui doit durer toute la vie et je rêve d’une société où les hommes et les femmes pourraient continuer de se former à tout âge. C’est un combat qui reste devant nous.

Comment faire alors ? comment éduquer sans imposer le point du vue du « sachant » à des « non-sachants » ?

Plutôt que d’accumuler les connaissances, de mémoriser le plus possible, le défi de l’éducation est d’apprendre à bien penser, autrement dit ne rien demander sans réfléchir, ne rien croire sans penser, ne rien faire sans juger : « que personne n’épuise ses désirs, ses sens, ses forces, ne cède aux désirs d’autrui, ne soumette ses sentiments à ceux d’autrui et ne se laisse contraindre du dehors. Que tous comprennent le moyen d’être heureux qu’ils possèdent en eux-mêmes ». Car en définitive, la liberté et la joie de vivre sont l’état légitime de l’homme, le but vers lequel doit le diriger l’éducation, dont le challenge est d’améliorer la condition des hommes pour les amener à cet état de liberté, de joie et de bonheur. Il faut donc renoncer à abreuver l’apprenant de notions toutes faites, mais l’aider à développer son intelligence, son raisonnement et son jugement pour le rendre capable de penser par lui-même. Apprenez-lui à examiner et à connaître les choses en elles-mêmes et non par les observations que d’autres auraient faites pour lui. Autrement dit, aidez-le à développer son autonomie dans l’apprentissage et à se forger ses propres opinions, bref à construire lui-même ses connaissances. Le savoir n’est pas que dans les livres, souvent bien ennuyeux, il est dans la nature et dans les choses. Produisez des livres illustrés et attractifs, l’image parle plus que les mots écrits. Dans mon ouvrage Orbis sensualium Pictus publié en 1659, j’explique par exemple comment apprendre le latin aux enfants par association d’un mot à une image. Faites l’école buissonnière, proposez des promenades, des visites d’ateliers plutôt que des cours magistraux. Le monde entier est une école et le rôle de l’enseignant est d’éveiller l’intérêt de l’élève. Proposez également des jeux, et en particulier des jeux de groupe : il n’existe rien de tel qu’apprendre en s’amusant. L’enseignant doit encourager la participation des élèves, attiser la curiosité, et surtout ne pas requérir à la force : l’élève n’a pas besoin de la contrainte pour apprendre car c’est un désir naturel.

Il est important également de diversifier les sujets d’étude, en quelque sorte faire feu de tout bois : le travail manuel est aussi source d’apprentissage, de même que la géographie, l’histoire, la biologie, l’art, la musique. Il n’y a pas que le latin dans la vie ! Enseignez toutes ces choses par la pratique : « A parler en parlant, à écrire en écrivant, à raisonner en raisonnant, on posera ainsi les bases d’une pédagogie dont le but est de contrôler par l’expérience la valeur du savoir ». Multipliez les approches sensorielles : c’est par les sens (la vue, l’ouïe, le toucher…) que les choses réagissent immédiatement et directement et … prennent sens ! En résumé laissez l’élève procéder par étapes, invitez-le à examiner par lui-même, s’interroger, chercher, découvrir, discuter, faire, répéter sans relâche, et ne laissez aux maîtres « que le rôle de surveiller si ce qui doit se faire se fait, et se fait comme il doit se faire ».

Je n’étais pas loin de considérer en mon temps que les écoles étaient des « chambres de torture pour l’intelligence, d’où ne sortaient que des ânes sauvages, des mulets sans frein et dissolus ». Je me suis heurté à bien des conservatismes et à des enseignants qui n’avaient « ni assez de volonté pour appliquer les méthodes nouvelles, ni assez d’autorité pour lutter contre la paresse et l’indiscipline des élèves ». Mais j’imagine que cela a bien changé de vos jours. Jan Comenius, frère Rose Croix

Le mariage de d’Elizabeth de Stuart avec le roi de Bohème Frédéric V. Il servira de décor pour les noces alchimiques.

Au cours des années qui suivirent 1620, l’alliance de la puissance des Habsbourg et de la contre-Réforme catholique connut une victoire presque absolue. La Réforme semblait au bord de l’extinction en Europe et il n’y avait plus guère de place pour le Lion déchu, l’ex-roi de Bohême qui avait perdu toutes ses terres, qui était privé de son électorat et qui vivait réfugié à La Haye dans une misérable dépendance. L’Aigle avait vraiment triomphé. Frédéric continuait à prendre part aux campagnes pour la reconquête du Palatinat et continuait d’échouer. Cependant, cet homme représentait toujours quelque chose. Son échec et son désespoir, c’étaient l’échec et le désespoir des protestants d’Europe. Et, aux yeux de nombreux Anglais, il représentait la disgrâce et la honte, honte de l’abandon du rôle de protecteur des protestants européens par le successeur de la reine Elisabeth.

Il n’est pas facile d’évaluer le caractère de Frédéric. C’était probablement un général médiocre, un politicien naïf, un chef inefficace. On le dépeint comme un personnage faible, gouverné par sa femme et Anhalt, sans volonté ni jugement personnel. Mais était-ce, par exemple, un caractère religieux ou intellectuel ? Personne, je crois, ne s’est posé la question. Ceux qui l’ont vu à Heidelberg avant la guerre ont été impressionnés par sa sincérité. Et en effet, sa sincérité ne peut pas être mise en doute, mais une propagande hostile, intéressée à la représenter comme celle d’un faible fou, s’est attachée à lui. Son cas est peut-être assez semblable à celui de Henri III de France, une nature religieuse, intellectuelle, artiste et contemplative, déformée dans l’Histoire par des satires ennemies.

Le portrait de Frédéric par Honthorst, peint à La Haye après les désastres, peut être quelque peu idéalisé ou avoir retra­cé la tragédie spirituelle de cet homme. C’est la représentation d’une ancienne lignée impériale allemande, la lignée des Wittels­bach — plus ancienne que celle des Habsbourg — qui (peut-être) avait saisi la signification religieuse et mystique d’un destin impé­rial et qui, plus qu’une tragédie personnelle, avait enduré un martyre. Le visage n’est pas celui que l’on pourrait prêter à un calviniste, mais le calvinisme, au Palatinat, était le véhicule de traditions mystiques de l’hermétisme-cabalisme de la Renaissance qui s’était propagé dans ce pays. Le conseiller spirituel de Frédéric était un « orientaliste » ; peut-être avait-il, comme Rodolphe II, trouvé une voie ésotérique pour la situation religieuse. Son visage est aimable. Quel que soit ce que l’on peut y lire, favorablement on non, tous ceux qui ont vu les portraits des princes allemands de l’époque de la guerre de Trente Ans comprendront sur-le-champ que Frédéric doit avoir été un personnage tout à fait différent.

Après que la guerre eut exercé ses ravages pendant dix ans, avec des résultats désastreux pour les protestants, un Lion libérateur arrive enfin du Nord. Les victoires de Gustave-Adolphe, roi de Suède, sauvèrent la cause protestante. Malgré plusieurs années encore d’une terrible guerre, Gustave-Adolphe avait mis en échec la puissance des Habsbourg et assuré une survie certaine au pro­testantisme en Europe. Frédéric était rentré en Allemagne, il avait revu son Palatinat en ruine et il avait été très bien reçu par Gus­tave qui reconnaissait sa position de chef des princes protestants d’Allemagne. Le Lion vaincu et le Lion victorieux se saluèrent ; détail étrange, ils moururent tous deux le même mois de novembre 1632, Frédéric, de la peste qui sévissait dans le pays dévasté, Gus­tave, tué à la bataille de Lützen. Le roi de Bohême et le roi de Suède furent pleurés ensemble dans une oraison funèbre pronon­cée à La Haye. Il est curieux de noter qu’ils étaient tous les deux des Lions, mais aussi de nouvelles étoiles, l’accomplissement de la prophétie, l’un des Lions ayant succédé à l’autre quand celui-ci avait été vaincu. Le culte de Gustave-Adolphe en Angleterre faisait revivre la mémoire de son prédécesseur dans le rôle du Lion, dont l’échec était attribué par beaucoup à la désertion de Jacques 1er. Encore bien plus que Frédéric, sa veuve, la reine de Bohême, repré­sentait pour ses sympathisants en Angleterre la politique de soutien des protestants européens qui, selon eux, aurait dut être la politique de Jacques 1er envers sa fille et son gendre. Dans son exil et sa pauvreté à La Haye, la reine de Bohême était un vivant reproche.

Après la mort de Frédéric, Elisabeth régnait seule à La Haye, mais elle ne régnait sur rien, très pauvre, à la charge de la charité hollandaise et grâce à des pensions irrégulièrement payées par l’Angleterre, sans terres, soutenue par sa seule personnalité royale et ses nombreux enfants. Nous pouvons la voir au moment de son veuvage prématuré, dans le portrait peint par Honthorst à La Haye. C’est une femme noble et indomptable. Souvent accusée de frivolité et de goût du plaisir, Elisabeth était en réalité un caractère très fort. Elle n’avait jamais plié sous les terribles épreuves. Sans aucun doute l’orgueil la fortifiait et elle avait été soigneusement éduquée dans les principes de l’Eglise anglicane par ces honnêtes gens qu’étaient les Harrington. Dans le portrait de Honthorst, on la voit triste, mais digne, debout dans un jardin situé sur une colline, avec une rivière à l’arrière-plan (est-ce une réminiscence d’Heidelberg ?), et tenant une rose.

Durant toutes les dernières années du règne de son père Jacques Ier durant tout le règne de son frère Charles Ier, durant toutes les guerres civiles, le Commonwealth et la restauration de son neveu Charles II, Elisabeth garda à La Haye sa cour pauvre et digne bien que pendant tout ce temps elle n’ait jamais été oubliée en Angleterre. Et son allure royale était effectivement inoubliable. Si son frère Charles était mort jeune — il était maladif et l’on s’était attendu à le voir mourir prématurément —, elle serait deve­nue reine de Grande-Bretagne. Si Charles était resté sans pos­térité ou si ses enfants étaient morts avant lui, elle aurait pris sa succession et l’aurait transmise, à sa mort, à son fils aîné. Contrairement à son père et à son frère, la reine de Bohême avait de nombreux enfants. Ceux qui, en Angleterre — et ils étaient nombreux — restaient insatisfaits des politiques antiparlementaires, antipuritaines et éventuellement papistes, regardaient avec nostal­gie du côté de la famille royale de La Haye qui représentait une succession possible au trône. Et, au cours des années suivantes, ce fut chez les descendants d’El isabeth de Bohême qu’une succes­sion protestante fut finalement cherchée et trouvée. Son douzième enfant, la plus jeune de ses filles, née à La Haye en 1630, devait devenir Sophie de Brunswick, l’Electrice de Hanovre, dont le fils Georges I » allait être le premier Hanovre roi d’Angleterre.

Les Anglais qui passaient par La Haye rendaient hommage à la reine de Bohême. On peut citer, par exemple, le Journal de John Y Evelyn, en juillet 1641 :

  • Arrivé à La Haye, je me suis tout d’abord rendu à la cour
  • de la reine de Bohême où j’ai eu l’honneur de baiser la main
  • de Sa Majesté et de plusieurs des princesses, ses filles […] ; » c’était un jour de jeûne pour la reine, en souvenir de la mort
  • malheureuse de son époux, et la salle de réception avait été » tapissée de velours noir depuis son décès… »

La popularité d’Elisabeth n’était pas seulement limitée aux monar­chistes loyalistes protestants ; elle était également populaire chez les parlementaires. Sous Jacques et Charles, le Parlement avait toujours sympathisé avec sa cause et, après que le Parlement eut détrôné la monarchie, les parlementaires avaient continué à res­pecter Elisabeth de Bohême. En fait, on peut se demander si son accession au trône n’aurait pas évité la révolution. Les parlemen­taires et Olivier Cromwell lui-même ne se seraient pas opposés à une telle monarchie. Cromwell pensait que la monarchie de type élisabéthain était la meilleure forme de gouvernement. L’opposi­tion s’adressait surtout aux monarques qui essayaient de gou­verner sans le Parlement et dont la politique extérieure n’était pas orientée vers le soutien de la cause protestante en Europe. De telles critiques ne pouvaient pas être adressées à Elisabeth Stuart. En fait, son époux et elle avaient vraiment représenté le type de politique étrangère que le Parlement aurait souhaité voir adopter par Jacques et Charles.

Il n’est donc pas surprenant que le Parlement révolutionnaire ait reconnu le droit de la reine de Bohême à son soutien. Elle perce­vait une pension de Charles I » que le Parlement continuait de ver­ser. De sa cour à La Haye, Elisabeth pouvait par conséquent suivre les vicissitudes de la situation en Angleterre sans perdre entière­ment le contact avec l’autre côté. Bien qu’elle fût restée absolu­ment fidèle à sa sympathie pour son frère Charles dont la mort l’avait horrifiée, certains aspects du parlementarisme et de la pen­sée de Cromwell n’étaient pas très éloignés de sa propre position. Cette ambivalence de la maison palatine, sa faculté à inclure divers points de vue dans une seule famille, peuvent être étudiées à tra­vers les vies de deux des fils les plus remarquables d’Elisabeth. Le prince Charles Louis, l’aîné de ses fils survivants, héritier du titre électoral et du Palatinat (où il avait été partiellement res­tauré par la paix de Munster, en 1648, qui avait mis fin à la guerre de Trente Ans) était un intellectuel ouvert aux nouvelles idées sur l’éducation et l’application utilitaire de la science, enclin au parle­mentarisme où les idées neuves proliféraient et où il avait de nom­breux amis intéressés à le rétablir dans ses prérogatives. D’autre part, le prince Rupert était un ferme royaliste, très remarqué pour son courage dans les charges de cavalerie aux côtés du roi. Mais il était lui aussi un intellectuel, et il aurait été, dit-on, l’in­venteur de la gravure mezzo-tinto.

La cour d’Elisabeth de Bohême à La Haye est un sujet qui attend toujours une sérieuse étude historique. De fait le chef laïque des « trois étrangers », Hartlib, Dury et Comenius, était « Elisabeth, reine de Bohême, soeur du roi et » leader royal de l’opposition, pensionnée par le Parlement pendant » les guerres civiles. Elle avait à ses côtés ses partisans diplomates, » Sir William Boswell, exécuteur testamentaire de Francis Bacon » et devenu ambassadeur à La Haye où la reine exilée avait sa cour, » et Sir Thomas Roe, ancien ambassadeur auprès de Gustave­» Adolphe ».

Ces quelques mots suffisent à tracer la ligne qui devrait être suivie par une nouvelle approche historique de la cour d’Elisabeth à La Haye. Une telle étude devrait rassembler les noms des Anglais les plus importants et les plus influents avec lesquels elle entretenait d’étroites relations et pour lesquels elle était un symbole de la tradition élisabéthaine de la monarchie. Il faudrait mettre en lumière le fait que la veuve de Frédéric jouait un rôle significatif aussi bien pour l’Europe que pour l’Angleterre. Les réfugiés du Palatinat, de Bohême et de toutes les régions frappées de l’Europe avaient cherché asile auprès de Frédéric à La Haye et ensuite auprès de sa veuve, bien qu’elle ait été dans l’impossibilité de les aider financièrement. Elle était, pour ainsi dire, le lien idéolo­gique grâce auquel la pensée des trois « étrangers », Hartlib, Dury et Comenius, allait pouvoir être adaptée à l’Angleterre à la veille du renversement du despotisme monarchique.

Samuel Hartlib était arrivé en Angleterre en 1628, après la conquête, par les catholiques, d’Elbing en Prusse polonaise où s’était tenu le centre d’une société mystique et philanthropique. Bien que les informations effectives sur ce groupe soient confuses ou inexistantes, il semblerait qu’il s’agissait d’une « Antilia », c’est-à-dire d’une asso­ciation semblable aux Unions chrétiennes d’Andreae, lesquelles, malgré l’échec du ludibrium rosicrucien, prolongeaient le même idéal. Le « mot » du groupe d’Hartlib était « Antilia » et non pas « R.C. » bien que toute sa vie et son oeuvre évoque l’idée d’un Frère « R.C. » réel ou invisible.

A son arrivée en Angleterre, Hartlib avait rassemblé des réfugiés de Pologne, de Bohême et du Palatinat, et fondé une école à Chi­chester, avant de retourner à Londres en 1630. Il avait déjà commencé d’accomplir sa mission au cours d’une vie qui était une infatigable tentative d’entreprises philanthropiques, éducatives et scientifiques, soutenues par un enthousiasme religieux intense bien qu’invisible (au sens non sectaire du terme).

John Dury, un Ecossais qui était presque un « étranger » à cause de sa vie vagabonde, avait rencontré Hartlib à Elbing et avait été enthousiasmé par le même type de projets idéalistes. Il était inti­mement lié avec Elisabeth de Bohême et avec Sir Thomas Roe, son conseiller, et il avait pris, de même que Hartlib, une part active à la restauration de son fils au Palatinat.

Comenius, le plus célèbre et le plus actif des trois, après les expé­riences en Bohême dont nous avons parlé dans le chapitre précé­dent, avait quitté, en 1628, son pays natal où il ne devait jamais retourner, et s’était installé en Pologne, où il avait fondé une communauté de Frères bohémiens exilés et commencé à publier ses oeuvres éducatives. C’était également en Pologne qu’il avait commencé à enseigner sa « pansophie ».

C’étaient trois hommes qui étaient tous en âge d’avoir assisté à l’ex­citation rosicrucienne au sujet des rumeurs de réforme universelle et de progrès de la science, et ils devaient comprendre mieux que nous la signification du mystère de la R.C. et de son invisible Collège. C’étaient des hommes que les désastres de 1620 et des années suivantes avaient déracinés de leur pays et transformés en réfugiés errants. C’étaient des hommes qui étaient venus en Angleterre et qui avaient essayé d’y propager la réforme universelle, le progrès de la science et d’autres idéaux utopiques. Ils représentaient la Bohême et l’Allemagne dans l’exil et la dispersion, et, si nous leur adjoignons Theodore Haak, qui agissait en tant qu’agent de Comenius en Angle­terre, nous trouvons en lui un représentant du Palatinat, car Haak était un réfugié de ce pays.

En 1640, le Parlement se réunit, un Parlement furieux de sa longue exclusion des affaires de la nation, mécontent de la politique inté­rieure de la monarchie et, par-dessus tout, de sa politique extérieure qui avait été « une politique de paix avec l’ignominie alors que » le protestantisme s’écroulait de toutes parts ». Lorsque, avec l’exécution de Strafford, ce Parlement crut avoir brisé la « tyran­nie », la voie parut ouverte au changement. L’humeur était à l’en­thousiasme et les esprits se tournaient vers des projets à long terme de réforme universelle dans l’éducation, la religion, et le progrès de la science pour le bonheur de l’humanité.

C’est à ce Parlement que Samuel Hartlib adressa une utopie inti­tulée : A Description of the Famous Kingdom of Macaria. Il y décrit sa conception d’une « fiction », semblable à la fiction de Thomas More (Macaria est le nom d’une région imaginaire dans l’Utopia de More) et à celle de Francis Bacon dans la New Atlantis. La fiction ou le ludibrium d’Hartlib (qui n’emploie pas ce mot) présente l’un de ces pays de rêve chers à l’époque rosicrucienne, où tout est rigoureusement ordonné, où la science a progressé, où règnent la paix et le bonheur comme au Paradis avant la chute ; mais les conseils d’Hartlib sont d’un ordre un peu plus pratique que ceux des utopistes précédents. Il pense non seulement au « millénaire », mais aussi à une législation réformatrice qui pour­rait être réellement mise en pratique par le Parlement. Il est per­suadé que ce Parlement pourrait être « la pierre d’angle d’un monde » heureux avant l’ultime retraite._ »

A cette heure palpitante où il semblait que l’Angleterre avait été choisie par Jéhovah pour être le théâtre de la restauration de toutes choses, où naissait la possibilité d’un passage-d’un Etat imaginaire à un Etat réel, où les Collèges invisibles pouvaient devenir effec­tifs, Hartlib avait écrit à Comenius pour le prier de venir en Angle­terre l’assister dans sa grande oeuvre. Bien que le Parlement n’ait pas vraiment parrainé l’invitation, il lui était généralement favo­rable, ainsi qu’à celle de Dury. Dans un discours prononcé au Par­lement en 1640, Comenius était transporté de joie. Il croyait être mandaté par le Parlement pour construire la Nouvelle Atlantis de Bacon en Angleterre.

Comenius fut chaleureusement accueilli en Angleterre par le pala­tin Haak et officiellement reçu au cours d’un splendide banquet don­né par John Williams, évêque de Lincoln, qui tendit la main droite de l’amitié au prêtre réfugié. Cela se passait en 1641, l’année de la publication de la Macaria d’Hartlib et d’une œuvre tout aussi opti­miste de John Dury, prophétisant le progrès de la science, l’unité protestante et réclamant la restauration du fil aîné de la reine de Bohême au Palatinat.

Illustratation d’en tête : René Descartes à 23 ans avant son départ pour l’Allemagne.


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