Je ne bâtis que pierres vives : Rabelais grand initié

 

Rabelais appartenait à la société Gryphe fondé par un allemand : Sébastien Gryphe, société ésotérique d’imprimeurs, il se disait par ailleurs maçon accepté, puis il il se joint au cercle des alchimistes lors de son séjour en Italie. Il était l’ami de Philibert Delorme.

La légende des 4 frères Aymon (ou Amon)

La thèse de Péladan (19o5) rajeunie par Probst Biraben (1949) qui voit en Rabelais un adepte du compagnonnage n’a guère été prise en considération, ni par les seiziémistes ni par les Compagnons.

Il est surprenant de voir qu’entre les tenants d’un Rabelais athée et ceux d’un Rabelais chrétien, le Rabelais compagnon n’a pas trouvé place. Les cérémonies d’initiation au compagnonnage, dénoncé du XVIIe siècle, mêlent pourtant étroitement les mystères de la religion aux secrets des métiers* (Annexe VIII).

Un texte de Rabelais est indubitablement compagnonnique. C’est la réception des « Compaignons de la Bouteille » chez Notre-Dame de la Quinte (V, 18).

Les voyageurs parviennent au port, peu éloigné du palais de la Quintessence. La réception est inattendue

« De prime arrivée, ils nous feisrent quasi peur, car ils nous feisrent à tous laisser nos armes, et roguement nous interroguèrent disant : « Compères, de quel pais est la venue ? — Cousins, respondit Panurge, nous sommes Tourengeaux. Ores venons de France, convoiteux de faire révérence à la dame Quinte Essence et visiter ce très célèbre royaume d’Entéléchie. — Que dites-vous interrogent-ils ; dites-vous Entéléchie ou Endéléchie ? — BEAUX COUSINS, respondit Panurge, nous sommes gens SIMPLES ET IDIOTS ; excusez la rusticité de nostre langage, car au demourant les coeurs sont francs et loyaux. »

Les Compagnons sont finalement admis, reçoivent l’accolade et Panurge glisse à l’oreille de l’auteur : « Compaignon as-tu rien eu peur en ceste première boutée ? »

Le titre de BEAUX COUSINS désigne les compagnons charpentiers. Deux exemples de dialogues de réception chez les compagnons savetiers du début du XVIIe siècle font apparaître de nombreux parallèles.

  • Pied-Tortu — Honneur, Toulousain
    Toulousain — Serviteur, Pied-Tortu
  • Pied-Tortu      D’où est la venue?
  • Toulousain      Elle est des monts Pyrénées
  • Toulousain      Et toi, Pied-Tortu, d’où est la venue?
  • Pied-Tortu      Elle est de Rouen.
  • Toulousain Honneur, maître et compagnon, savatte et savatissons, s’ils y sont.
  • Pied-Tortu — Oui, pays, tout prêt à vous rendre le devoir ; d’où est la venue? Toulousain — Elle est de Nantes en Nantois, etc.

Ce TUILAGE – épreuve du mot de passe fréquent dans les sociétés secrètes —vient d’être réexaminé dans un livre de Paul Naudon. Rabelais lui-même compare l’épisode de la prononciation exacte de Entéléchie à l’épisode biblique où un certain nombre de soldats sont occis et noyés car ils prononçaient incorrectement chibboleth, pour sibboleth. B. LA FRANC-MAÇONNERIE.

Dans son important ouvrage, Paul Naudon voit dans Rabelais un mal accepté : il étaye sa thèse de quelques indices troublants mais non décisifs, comme est amené lui-même à l’admettre. C’est le cas de l’importance de la lettre G  comme initiale des noms des héros lettre dont on sait la place centrale dans la symbolique maçonnique. Déjà Jules Boucher dans son ouvrage sur ce sujet avait remarqué :

« Rabelais, cet initié trop méconnu, a précisément donné à ses personnages d noms commençant par la lettre G : Grandgousier et Gargamelle, parents de Gargantua. Rabelais donne ainsi l’étymologie du nom de Pantagruel : Panta, tout, et gruel, l’arabe, altéré. Il semble jouer ici sur les mots ganta (tout) et penta (cinq) et sur « altéré » de alter, autre et alterare, changement, le verbe « altérer » avait déjà seizième siècle pris le sens « d’exciter à la soif ».

Nous ne prétendons nullement que Rabelais, qui se montre pourtant sous un jour bien curieux, surtout dans le cinquième Livre avec l’oracle de la Dive Bouteille, a préfiguré par G et penta, les arcanes maçonniques. Nous signalons seulement à l’attention ces rapprochements qui nous ont paru intéressants. » (Boucher, op. cit., p. 241.)

Pour Naudon, cette lettre G serait aussi « l’initiale des GAULTS ou GAULTIER; nom que les constructeurs se seraient donné au Moyen Age » ; cette indication est malheureusement sans référence.

La thèse d’un Rabelais franc-maçon soutenue par Naudon ne semble pas avoir recueilli l’assentiment, ni, ce qui est plus regrettable, le commentaire d’aucun historie ou seiziémiste. Il est vrai que les textes sur lesquels il s’appuie sont rares, ambigu; empruntés essentiellement aux Prologues du Tiers et du Cinquième Livre. Rabelais serait un maçon accepté, c’est-à-dire un non-opératif ayant accès à une loge.

Quelques « preuves » supplémentaires avancées par Naudon, tirées de la vie de Rabelais nous paraissent plus hypothétiques encore. Il a connu Philibert Delorme, a fréquenté les « demeures philosophales » des Estissac et des Du Bellay a appartenu à l’ordre « constructeur des Bénédictins », enfin a été en relations la fin de sa vie avec la famille de Guise dont un des membres fut Grand Prieur du Temple de 1549à 155 2 (Naudon, Rabelais franc-maçon)

Dernière « preuve » : Rabelais meurt à Paris dans le quartier Saint-Paul, « où les Maçons étaient particulièrement installés ». Naudon conclut : « une fois encore nous constatons le voisinage de Rabelais avec les Francs-Maçons… toutes ces indications, puisées dans l’œuvre comme dans la vie de Rabelais, nous paraissent établir sa qualité de MAÇON ACCEPTÉ, Il n’est pas hasardeux de croire qu’il fut soit un simple affilié avide d’accroître ses connaissances, soit même le chapelain d’une confrérie de maçons ».

SAINT BLAISE PATRON DES MAÇONS ET CHARPENTIERS

Le titre quarante-huit du Livre des Métiers, d’Étienne Boileau ou Establissement des Mestiers de Paris, rédigé vers 1268, régit les maçons et charpentiers. Les articles qui nous concernent sont les suivants* (cf. Annexe IX).

« Des Maçons, des Tailleurs de pierre, des Plastriérs et des Morteliers. »

II Nus ne puet avoir en leur mestier que I’aprentis, et ce il a aprentis, il ne le puet prendre à moins de VI ans de service ; mes à plus de service le puet il bien prendre et à argent, ce avoir le puet. Et ce il le prenoit moins de VI ans, il est a XX s. de parisis d’amende à paier à la chapele monseigneur S. Blesve, se ce n’estoient ses filz tant seule­ment nez de loial mariage.

  • XII (Contrôle de la mesure du plâtre).
  • « …, et se trouve que la mesure ne soit bonne, li Platrier en paiera V s. d’amende, c’est à savoir : à la chapele S. Blaive devant dite II s; »
  • XXI Les Maçons et les Platriers doivent le gueit et la taille et les autres redevances que li autres bourgeois de Paris doivent au Roy.
  • XXII Li Morteliers son(t) quitte du gueit, et tout Tailleur de pierre, tres le tans Charle Martel, comme li preu d’orne l’on(t) oï dire de père à fils.

La façon même dont ce document fut rédigé par le prévôt du roi évoque l’enquête de littérature orale. Les anciens des confréries devaient faire connaître leurs règlements, leurs légendes de fondation qui s’étaient jusqu’ici transmises de père en fils. Les morteliers et tailleurs de pierre ne font-ils pas remonter un de leurs privilèges à Charles Martel qui apparaît un peu ici comme un héros fondateur, peut-être par la vertu de l’assonance avec leur outil favori : le marteau. En fait, les légendes médiévales relatives à ce héros et plus particulièrement sa descente aux enfers, l’instrument dont il est armé qui l’assimile aux géants, forgerons de la tradition populaire sont plus directement en cause. La confrérie tout entière est domiciliée dans une Chapelle Saint Blaise située rue Galande, près de Saint-Julien-le-Pauvre.

Pour quelle raison les maçons ont-ils choisi le patronage de ce saint ? Il est tout d’abord assez remarquable que la confrérie de Paris associe dès le XIVe siècle, Saint Louis à Saint Blaise et que Saint Joseph puis l’Ascension du Seigneur ont tendance, à partir du XVIIIe siècle, à les supplanter. Paul Naudon cite comme patrons des tailleurs de pierre, Saint Blaise, Thomas, Louis, Grégoire (le Grand?), Alpinien, Marin, Martin, Étienne, Barbe, et les Quatre Couronnés (Naudon, Les origines…, p. 140).

Jean Palou reconnaît qu’il n’a pu trouver malgré toutes ses recherches « qu’un seul patron des tailleurs de pierre, et encore seulement pour Paris ».

Il suffit, en fait, de consulter n’importe quelles archives d’une ville de moyenne importance pour trouver mention, dans les séries consacrées aux métiers, d’un tel patronage, intégré dans les règlements de la confrérie.

Par exemple, M. Vergnet-Ruiz nous signale qu’à Beauvais, sous Louis XI, Saint Blaise était patron des tailleurs de pierre, « Il était représenté tenant à la main un râteau (c’est en fait une des formes des peignes instruments de son martyre), le revers de la bannière offrait un compas, une truelle et un fil à plomb ».

Quant au patronage des charpentiers, nous en avons l’attestation jusque dans la forêt viennoise.

La raison du choix de Saint Blaise comme patron des maçons et charpentiers n’apparaît pourtant pas clairement. Dans la liste indiquée par Naudon, par exemple, la plupart des saints sont réputés avoir été constructeurs ou architectes. Saint Thomas, dont le symbole est une équerre, était chargé de bâtir le palais de l’empereur Gondo-forus (cf. infra, p. 341), les Quatre Couronnés sont bâtisseurs, Louis a pu être adopté en souvenir de la Sainte Chapelle, la légende de Saint Grégoire recèle d’étranges détails sur la manière de bâtir dans l’au-delà* ? Martin évoque le marteau, Étienne, lapidé, ne montre-t-il pas les instruments de son martyre ?

En ce qui concerne Saint Blaise, l’explication admise est celle-ci : « Les tailleurs de pierre se recommandaient aussi de sa protection, parce que les ongles de fer qui avaient déchiré Saint Blaise évoquaient dans leur esprit la ripe dentée avec laquelle ils dressaient les blocs de pierre. » (Réau, Iconographie, III-I, p. 229).

La ripe est un outil en forme de esse dont les tranchants, situés aux extrémités, sont continus ou dentelés. Elle sert à gratter la pierre des statues. Nous ne l’avons vue nulle part représentée parmi les outils symboliques des Francs-Maçons. De centaines d’images ou de statues de Saint Blaise que nous avons vues directement ou en reproduction, il n’en est pas une seule où le saint ait en main un instrument qui puisse se confondre avec une ripe.

C’est, selon nous, le marteau à bretter ou à bretteler que les maçons ont cru recon­naître dans les mains de Saint Blaise. Appelée aussi marteline c’est un marteau dont la table est diamantée. Il sert soit à détacher de petits fragments de la pierre sans éclats et à lui donner un aspect martelé, soit à bretter un mur, une armure, une pièce d’orfèvrerie. On notera, sans insister sur un fait qui peut n’être qu’une coïn­cidence, que bretteler se dit en anglais to blaze (blanchir une pierre) mais Saint Blaise Semble inconnu de la maçonnerie anglaise et écossaise.

Nous sommes ici, nous semble-t-il, sur un terrain plus solide que la ripe. Certes, e peigne de fer avec lequel le saint fut martyrisé a été par chaque corps de métier — cardeurs de laine, peigneurs de chanvre, et même brasseurs — assimilé à ‘instrument de son activité. Parfois représenté avec une seule rangée de dents, comme un râteau, il a justifié partiellement le patronage des cultivateurs.

Or, la difficulté, l’impossibilité même d’isoler des centaines de longues dents SAINT BLAISE À L’ORDRE Une brève mention de Louis Réau nous met sur la voie d’un parallèle plus précis. « En Espagne il (Saint Blaise) porte la main à son cou. » (Réau, Iconographie, III-I, p. 23o).

Il s’agit là d’une caractéristique du saint, nous n’en connaissons aucun autre portant la main à la gorge. La position n’est pas naturelle, surtout lorsque le geste est aussi marqué que dans la gravure d’origine espagnole que nous reproduisons o. Ce simple geste permet d’identifier avec certitude un évêque anonyme comme il en existe tant en iconographie religieuse.

Or, nous avons là un des signes essentiels de reconnaissance de la franc-maçonnerie, appelé SE METTRE À L’ORDRE : « le maçon à l’ordre pose la main droite à plat sur la gorge en prenant soin de former une équerre avec le pouce et la paume ». C’est le signe de l’apprenti. Des gravures en grand nombre et tous les catéchismes maçonniques le représentent faisant ce geste. Dans une gravure allégorique, il est vrai, tardive, c’est le Grand Architecte de l’Univers que l’on peint ainsi. Nous allons tenter de préciser la date d’apparition de ce signe dans les textes et l’iconographie maçonnique.

Dans la mesure, peut-être faible, où un non-initié peut comprendre les symboles de l’ordre, remarquons que ce signe joue un rôle sur les trois plans du mythe, du rite et de l’iconologie.

Dans le MYTHE D’HIRAM, tel qu’il est conté dès le XVIIIe siècle, c’est SUR LA GORGE que porte le coup de règle du premier compagnon, meurtrier du Grand Architecte du Temple de Salomon. Ce compagnon est posté, selon les variantes, à la porte Sud ou Est.

Cet épisode sera reproduit rituellement lors de l’initiation au grade d’apprenti. Il est vrai que l’histoire des grades, en dépit d’efforts récents des maçonnologues, reste passablement confuse. Sans entrer, pour l’instant, dans les controverses relatives à l’origine des sym­boles maçonniques, résumons les grandes étapes de notre démarche : Rabelais fait naître GARGANTUA le 3 février, jour du Saint protecteur des maux de gorge : BLAISE. Celui-ci est représenté la main posée À PLAT SUR LA GORGE. Cette iconographie reproduit exactement le signe maçonnique : SE METTRE À L’ORDRE en portant la main à la gorge.

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