La danse sacrée et l’origine de la fête

Fou avec sa marotte

L’ancêtre de nos poupées : la marotte

Qu’elle soit appelée bâton de bouffon, babiole de fou, jouet musical tourbillonnant, folie, ou fantaisie de fête, la marotte fait sourire les jeunes et les moins jeunes depuis des siècles. Les collectionneurs d’aujourd’hui peuvent apprécier les pièces fabriquées commercialement au 19e siècle et au début du 20e siècle, ainsi que les pièces fabriquées artisanalement aujourd’hui.

L’origine de la marotte est profondément ancrée dans les accessoires utilisés par les artistes de l’époque médiévale. Les bouffons de la cour utilisaient leur babiole de fou, généralement sous la forme d’une tête comique ou grotesque sur un bâton, ornée de rubans et de clochettes pour ajouter une touche de fantaisie à leurs cabrioles. Ces premières formes simples sont devenues plus élaborées au fil du temps. Les bouffons faisaient souvent fabriquer les têtes en bois de leurs bâtons de bouffon à leur propre effigie, pour servir d’alter ego.  Le monde de la marionnette a adopté le bâton de bouffon pour en faire un type de marionnette à tringle. Alexis Robert Philpott, dans son Dictionary of Puppetry de 1969, définit la marotte comme « à l’origine, le bâton ou le sceptre du fou médiéval, une courte tige surmontée d’une petite tête….. Les têtes sont généralement fixes ». Les têtes sont généralement fixes. Elle les qualifie de « marionnettes rigides, mais charmantes, bonnes pour les chœurs dansants ». Dans l’art de la marionnette, la marotte s’est développée pour inclure parfois des parties mobiles telles que des bras, des bouches, etc. afin d’augmenter l’animation de la marionnette. Des marionnettes de conception similaire ont été utilisées par de nombreuses cultures du monde.

poupée marottes

Les rites initiatiques donnent la clef des fêtes

Les plus anciennes fêtes qu’il soit présentement possible d’atteindre, celles de la Chaldée sumérienne, s’expliquent par la même exégèse. Les mêmes vues rendent compte de toutes les particularités inhérentes aux solennités les plus diverses. Les rites initiatiques semblent bien, dès lors, fournir la clef des fêtes préhistoriques, tout comme ils livrent celle des fêtes ethnographiques. Ils offrent en outre, l’avantage de conduire à une exégèse d’ordre uniquement sociologique.

Les fêtes n’eurent point pour but le « repos de l’homme ». Elles ne furent pas, par principe, des « jours de gaieté »

L’on imagine presque toujours que les fêtes ont été instituées pour donner du repos à l’homme. C’est là un simple non sens : elles ont eu pour objet de faire accéder l’homme au domaine de l’énergie trans­cendante, sans le moins du monde viser à alléger ses efforts ; c’est par voie de conséquence qu’elles en sont peu à peu venues à introduire dans la vie sociale des périodes de détente. L’alternance du sacré et du profane constituait du reste, à elle seule, un rythme délassant.

Il est non moins erroné de croire que les fêtes furent, par principe, des périodes de gaieté ou de plaisir. Il y eut toujours, dès le début, des fêtes tristes, des fêtes de deuil, des fêtes de mort, qui condition­naient les fêtes de joie, autrement dit les fêtes de renaissance ou de résurrection. L’essentiel n’était pas, tout au moins d’une manière di­recte, la joie de l’homme : c’était l’immersion de l’âme dans la. sur­nature ; c’est cette immersion qui avait pour résultat la béatitude de la pensée, et elle s’obtenait grâce à une période préalable d’ascèse.

La meilleure définition de la fête — la seule définition adéquate —est, au bout du compte, qu’elle constituait un temps de sacralisation. tout comme la Montane Sacrée’ dont il était une copie, se suffisait à lui-même en tant qu’hypostase de l’énergie transcendante ; et peu im­portait la désignation qui lui était attribuée ; cette désignation variait suivant la famille, la gens, la tribu, le collège, ou la confrérie dont c’était là le lieu de mort et de renaissance ; mais partout c’est cette liturgie qui intervenait.

En définitive, la fête marque l’emprise exercée par l’énergie surna­turelle sur une ou plusieurs journées humaines, qui échappent, par cette voie, au courant ordinaire de la vie. La fête repose ainsi sur une fusion dans le sacré. Plus tard, ce sacré se personnifia en une divinité auto­nome ; mais, pendant longtemps, il se suffit à lui-même, sous sa forme la plus haute, qui se trouvait du reste en connexion étroite avec un ancêtre initiateur, instaurateur des rites inhérents à la solennité locale. Toute fête suppose, en effet, une liturgie, inaugurée par un être sur­humain, ou en communion avec le surhomme ; et c’est cette liturgie qui donna primitivement un caractère transcendant au jour de fête.

L’histoire des fêtes humaines fut donc celle du rituel initiatique primordial, avant de devenir celle des dieux.

Elle est inséparable de l’histoire du calendrier, puisque celui-ci eut uniquement pour objet, à l’origine, de préciser les dates qui seraient, au cours de l’année nouvelle, affectées d’une empreinte surnaturelle. Il est, d’un autre côté, en rapport intime avec l’organisation sociale primitive, puisque celle-ci était axée entièrement sur le rituel de mort et de résurrection.

Tout, dès lors, se présente, au début, comme soudé : les fêtes, les rites initiatiques, les personnalités initiatrices (devenues plus tard les dieux), les êtres ou les objets utilisés comme véhicules du mana trans­cendant, (et devenus, eux aussi, à la longue, des dieux), la distribution, en jours sacrés, du temps qui sépare une fête annuelle de la suivante (cette distribution est devenue le calendrier), la constitution d’un es­pace liturgique, ou espace sacré, autour duquel évolue la petite com­munauté locale et vers lequel restent constamment tournés les regards, l’agencement et le rythme de la vie collective, la place occupée, sur le territoire du groupe, par les divers éléments qui composent l’Etat, etc. On ne saurait dissocier des autres aucune parcelle de cet ensemble. Entendre l’origine des fêtes, c’est, ainsi, discerner, dans sa complexité lointaine, l’ordre de choses préhistorique, tel que la théocratie an­cienne l’a propagé dans notre espèce.

On ne peut présentement, en ce qui concerne les fêtes, remonter au-delà de cette époque néolithique, où tout ramène, mais qui borne l’horizon, parce qu’elle marque un ensemencement nouveau de l’humanité par les rites initiatiques. Ce que l’on entrevoit des âges antérieurs n’est jamais que le prolongement, vers le passé lointain, de traditions culturelles parties de la Grande Montagne. Toutes les religions terrestres ont été alimentées par les courants de vie descendus de cette hauteur éblouissante, et l’on ignore la transparence des eaux plus lointaines.

Douai : la fête des géants

D’après les traditions antiques, elle nous a d’ailleurs communiqué l’essentiel de la liturgie initiatique antécédente, et a poursuivi fidèlement l’œuvre du surhomme initiateur, autrement dit du premier homme ; celui-ci après avoir vécu au sein de la pensée pure et de la matière radiante, aurait subi un décalage mental qui l’a précipité vers la vision du monde comme spatio-temporel, et emprisonné dans la connaissance sensible ; s’il a inauguré les rites, et, par suite, les fêtes, c’est pour rappeler à sa descendance qu’il existe une autre perspective — une perspective radieuse — sur le cosmos. La théocratie néolithique a transmis scrupuleusement ce message primordial, incorporé dans la proto-liturgie. Grâce à elle, nous sommes sûrs dès lors que l’être humain fut originellement une personnalité transcendante, d’une puissance prodigieuse, un véritable démiurge ; et cette clarté, qui illumina les plus distantes générations, continue de dissiper en nous les ténèbres.

L’origine et le contenu des fêtes

Alors, on vient à discerner assez clairement l’origine, la substance et la signification des fêtes. Celles-ci se proposent de hausser l’homme au niveau du sacré, d’établir un contact avec la surnature, de réintégrer la pensée dans son atmosphère primitive, qui est son milieu normal. Les rites de mort, qui ont pour objet d’arracher l’âme à l’emprise des sensations, conditionnent les rites de résurrection, grâce auxquels l’esprit est admis au sein de l’énergie surnaturelle. C’est pourquoi le Grand Chasseur et l’Ogre (ou Digesteur divinisant) sont en principe des personnages sacrosaints et bienfaisants — au même titre que le Libérateur —, bien qu’ils se soient fréquemment dégradés plus tard en entités démoniaques.

La solennité par excellence est, au demeurant, celle de la résurrection, celle qui célèbre le retour de l’être humain à son rang de surhomme. C’est la seule fête véritable. L’on ne conçoit même point qu’il en puisse exister d’autres ; et, en fait, toutes les frairies dont on enregistre l’existence sont le simple monnayage de cette solennité essentielle, qui fut, dans l’humanité, la fête primordiale et, très longtemps, la fête annuelle unique.

Il est aisé, d’ailleurs, de se rendre compte que les nombreuses fêtes de la Rome primitive ne constituaient qu’un seul et même rituel, qui se déroulait en des lieux divers, servant d’emplacements initiatiques à de minuscules groupes sociaux, fondus dans une collectivité plus vaste. Ce qui se trouvait en cause partout, c’est l’accès au sacré, au même sacré ; et les disciplines employées étaient les mêmes, quel que fût le support liturgique du sacré (monticule d’un bois sacré, source sacrée, champ sacré, etc.). Sauf pour quelques détails, les cérémonies étaient inter­changeables. Ce qui comptait uniquement, c’est la soudure au mana divin, soudure qui se réalisait dans l’enceinte initiatique — dégénérée peu à peu en simple lieu de culte, puis en temple ou en chapelle, dé­générée parce que la décadence du paganisme théocratique en paga­nisme initiatique a consisté en ce que les hommes vinrent dans le sanc­tuaire non plus pour se revêtir du sacré et le greffer, en quelque sorte sur leur être, mais pour se tenir devant lui, à distance respectueuse comme s’il devait rester une puissance extrinsèque, et pour s’efforcer de conclure avec lui de petits marchés.

fête des Gillles

L’exemple emprunté à la Chine entre autres et que l’on retrouve partout, prouve qu’à des millénaires de distance, en des contrées fort éloignées l’une de l’autre, se retrouve l’action du Grand Chasseur ou Destructeur, qui fut, aux temps reculés, un officiant et dignitaire notoire des initiations. On a, dès lors, la certitude que les fêtes, à travers les âges, furent centrées sur les mêmes rites de mort et de renaissance, diffusées, à la fin du néolithique, par l’organisation de la Grande Mon­tagne.

Ainsi s’entend que les coutumes des fêtes portent partout sur des éléments identiques. L’on découvre en toute contrée par exemple des cortèges (correspondant d’un côté aux primitifs cortèges des morts, c’est-à-dire des néophytes que l’on entraîne ou rabat vers le lieu de la réclusion initiatique, d’un autre côté aux processions des ressuscités, c’est-à-dire des initiés nouveaux, qui rentrent triomphalement chez eux à la fin des cérémonies). L’on enregistre également partout des repré­sentations dramatiques (qui font partie des « Mystères » et possèdent une valeur initiante). En tous pays aussi l’on constate, au cours des fêtes, le rôle d’une montagne ou d’une caverne, du feu, des astres, du vent, de l’eau, des minéraux, des végétaux, des animaux, des joutes, des batailles, des jeux, des rites sexuels, etc. : une étude attentive établit que ces composants des fêtes humaines sont tout simplement ceux de l’ancienne liturgie initiatique. La filiation ne supporte aucun doute. Il n’est d’ailleurs pas d’autre exégèse qui puisse adéquatement expliquer le contenu des fêtes, et son lien avec une solennité primitive unique.

Parmi les cérémonies qui se déroulaient lors des réjouissances loin­taines, l’une des plus en vue était l’initiation royale, qui prouvait la possession du mana transcendant par le chef, et établissait ainsi que le groupe social se trouvait branché sur l’énergie cosmique. Tandis que le roi s’astreignait, pour renouveler ses pouvoirs surnaturels, à un temps d’ascèse et de réclusion, l’autorité était détenue par un monarque tem­poraire, qui n’était autre primitivement que le Grand Chasseur, Maître des hommes-animaux (des masques sacrés). Ce roi de substitution, originairement supérieur en sainteté au souverain ordinaire devint, à la longue, une individualité démoniaque ou un « dragon », en attendant de choir au rang de roi carnavalesque.

Une autre particularité qui relie les fêtes aux rites initiatiques de la préhistoire, c’est que le roi ou chef se confondit souvent avec le Libé­rateur, qui était en même temps un homme-oiseau et homme-soleil (c’est-à-dire un être en qui s’incarnait l’énergie dynamique, sous-jacente aux rayons visibles de l’astre). La prépondérance progressive de l’astre diurne dans la solennité annuelle et dans le calendrier s’explique, en grande partie par la précellence attribuée peu à peu, au sein des rites, à l’homme-soleil, c’est-à-dire au surhomme porteur du mana, à l’être transcendant qui greffe sur l’humanité le « feu » nouveau.

Le rôle principal de ce Libérateur consistait, lors de la grande so­lennité périodique, à « tuer » le serpent ou le « monstre », c’est-à-dire l’Ogre divinisant, et à faire sortir du lieu de réclusion les nouveaux initiés qui s’y trouvaient encore enfermés. Ce combat contre le dragon se retrouve, sous des formes diverses, dans tous les pays, il marquait le point essentiel de la fête, et lui donnait sa signification profonde. Le « dragon » était représenté quelquefois par un personnage masqué pourvu d’une fausse tête rituelle, que le Libérateur devait trancher. Le plus souvent, il s’identifiait avec une construction mobile ou fixe, de dimensions parfois très considérables, à l’intérieur de laquelle se sanc­tifiaient les néophytes (la maison des initiations, et le « camp d’initia­tion » lui-même, se confondaient avec le Grand Serpent, qui avalait les novices). « Tuer le monstre », c’était alors, simplement, pratiquer une brèche dans la construction sacrosainte, après avoir écarté le Grand Chasseur et ses troupes, qui en défendaient les abords.

La carcasse du dragon ou du géant vaincu servait ensuite, chez beau­coup de peuples, à « recréer » l’univers : un de ses « yeux » par exem­ple, devenait le soleil, l’autre, la lune, son dos devenait le ciel, son ventre la terre, etc. En d’autres contrées, le « monstre », fondu dans le Grand Chasseur, se transformait en personnage émissaire, et on le char­geait des péchés du peuple ; puis on le chassait, ou on le livrait au feu très pur, nouvellement allumé.

Les fêtes sont toujours plus anciennes que ne l’indiquent les motifs allégués pour leur établissement

Dernière remarque importante : une fête ancienne remonte toujours à une époque plus reculée que ne l’indiquent les circonstances histori­ques dont on la date. Ces circonstances n’ont fait, en réalité, qu’utiliser ou modifier une solennité antérieure, de source initiatique, préhistorique. Les traditions ne sont, du reste, en l’occurrence, nullement erronées —jamais aucune tradition n’est fausse — mais, comme elles insistent sur le fait nouveau qui a introduit une altération dans les détails ou l’exégèse de la solennité antérieure, l’on est tenté de négliger cette dernière ; et c’est cette omission qui fait gauchir l’évolution historique. L’on doit poser en principe que, chez tous les peuples, les fêtes anciennes sont postdatées, et que, pour en découvrir la source véritable il faut creuser jusqu’au néolithique.

la danse du shaman : grotte des trois frères

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Une réflexion sur « La danse sacrée et l’origine de la fête »

  1. Merci beaucoup . Tout ceci est très intéressant ..et nourrit ma réflexion . Bon dimanche Anne- Marie

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