Hata yoga et roman courtois, l’invention de l’amour occidental à la cour de Guillaume IX

Guillaume IX d’Aquitaine ou Guillaume VII, comte de Poitou (en limousin, Guilhem VII de Peitieus), né le 22 octobre 1071, mort le 11 février 1127, surnommé depuis le XIXe siècle le roi des troubadours, comte de Poitiers sous le nom de Guillaume IX et duc d’Aquitaine et de Gascogne du 25 septembre 1086 à sa mort. Il est également le premier poète connu en occitan.

Le service de la Dame, une technique de la « chasteté ».

Dans le Tarot dont les sources sont médiévales, EMENGARDE incarne la papesse, toujours représentée tenant un livre ouvert entre ses mains.

A partir du VIe siècle se répand rapidement dans l’Inde entière, tant hindouiste que bouddhiste, une école ou mode religieuse dont l’influence s’épanouira pendant des siècles. « Du point de vue formel, le tantrisme se présente comme une nouvelle manifestation triomphante du çaktisme. La force secrète (çakti) qui anime le cosmos et soutient les dieux (en premier lieu Çiva et Bouddha)… est fortement personnifiée : c’est la Déesse, Épouse et Mère… Le dynamisme créateur revient à la Déesse… Le culte se concentre autour de ce principe cosmique féminin ; la méditation tient compte de ses  » pouvoirs « , la délivrance devient possible par la Çakti… Dans certaines sectes tantriques, la femme devient elle-même une chose sacrée, une incarnation de la Mère. L’apothéose reli­gieuse de la femme est commune d’ailleurs à tous les courants mystiques du Moyen Age indien… Le tan­trisme est par excellence une technique, bien que fondamentalement il soit une métaphysique et une mystique… La méditation éveille certaines forces occultes qui dorment en chaque homme et qui, une fois éveillées, transforment le corps humain en un corps mystique’. » Il s’agit, par le cérémonial du yoga tantrique (contrôle de la respiration, répétitions de mantras ou formules sacrées, méditation sur des mandalas ou images enfermant les symboles du monde et des dieux) de transcender la condition humaine.

Le tantrisme bouddhique trouve des analogies pré­cises dans le Hatha-yoga hindou, technique du contrôle du corps et de l’énergie vitale. C’est ainsi que certaines postures (mûdras) décrites par le Hathayoga ont pour but « d’utiliser comme moyen de divinisation et ensuite d’intégration, d’unification finale, la fonction par excellence humaine, celle-là même qui détermine le cycle incessant des nais­sances et des morts, la fonction sexuelle ».

Ainsi parle Çiva  : « Pour mes dévots, je vais décrire le geste de l’Éclair (vajroli mûdra) qui détruit la Ténèbre du monde et doit être tenu pour le secret des secrets. » Les précisions données par le texte font allusion à une technique de l’acte sexuel sans consommation, car « celui qui garde (ou reprend) sa semence dans son corps, qu’aurait-il à craindre de la mort ? » comme le dit un Upanishad.

Dans le tantrisme, la maithuna (union sexuelle cérémonielle devent un exercice yogique. En résumé la chasteté yogique consiste à faire l’amoure sans le faire !

Le service de la Dame :

D’Amour, je sais qu’il donne aisément grande joie à celui qui observe ses lois, dit le premier des troubadours connus, Guillaume, septième comte de Poitiers et neuvième duc d’Aquitaine, qui mourut en 1127. Dès le début du XIIe siècle, ces « lois d’Amour » sont donc déjà fixées, comme un rituel. Ce sont Mesure, Service, Prouesse, Longue Attente, Chasteté, Secret et Merci, et ces vertus conduisent à la Joie, qui est signe et garantie de Vray Amor.

Voici Mesure et Patience : De courtoisie peut se vanter celui qui sait garder Mesure… Le bien-être des amoureux consiste en Joie, Patience et Mesure… J’approuve que ma dame me fasse longtemps attendre et que je n’aie point d’elle ce qu’elle m’a promis.

Voici le Service de la Dame :

Prenez ma vie en hommage, belle de dure merci, pourvu que vous m’accordiez que par vous au ciel je tende ! (Uc de Saint-Circ.) et : Chaque jour je m’améliore et me purifie, car je sers et révère la plus gente dame du monde. (Arnaut Daniel.)

De même, le troubadour arabe Ibn Dawûd disait : « La soumission à l’aimée est la marque naturelle d’un homme courtois. » Extrait des poètes entre 1120 et 1180

Voici la Chasteté :

Celui qui se dispose à aimer d’amour sensuel se met en guerre avec lui-même, car le sot après avoir vidé sa bourse fait triste contenance ! Écoutez ! Sa voix (d’Amour) paraîtra douce comme le chant de la lyre.

L’essor du système féodal et de la chevalerie, aux XIème et 12ème siècles, permit à l’aristocratie combattante de s’affirmer au sein d’un ensemble plus ou moins cohérent d’institutions, l’Eglise, le pouvoir monarchique et le pouvoir seigneurial, que celles-ci, pour leur part, s’efforcèrent de canaliser et d’utiliser à leur avantage.

La position inférieure de la femme au sein de l’aristocratie médiévale, confirmée par la théologie scolastique misogyne, fut compensée par l’éclosion de l’amour courtois, « le vrai Amour », qui proposait une culture supérieure où la femme figurait en tant qu’initiatrice lettrée et éducatrice de l’homme. L’initiation amoureuse du chevalier constituait à la fois une ascèse, une pédagogie et la pratique d’exercices spirituels.

Si l’ouvrage poétique fut l’œuvre des troubadours, la diffusion et l’acculturation de la poésie amoureuse dans les cours et cénacles fut l’œuvre des femmes. On retiendra surtout les noms d’Aliénor d’Aquitaine, petite-fille de Guillaume de Poitiers, et de Marie de Champagne, qui présidaient les Cours d’Amour et se donnaient pour tâche l’éducation masculine par la poésie exaltant l’amour-passion. L’objet de cette passion est une dame mariée, en principe intouchable, modèle de vertu, de beauté et de sagesse, et qui polarise sur sa féminité tout l’élan érotico-sentimental masculin. Ce que la Dame doit accomplir n’est rien de moins que la transformation intérieure du chevalier dont elle assure l’éducation spirituelle, culturelle et morale.

Cette culture de l’Amour fait fi des conventions, d’autant plus que la plupart des mariages étaient arrangés sans l’accord des partenaires et souvent dès l’enfance. Pour les poètes courtois, l’adultère est la condition de l’amour car le mariage est méprisable parce qu’il n’est que l’union des corps, tandis que l’amour courtois est fusion des âmes. Marie de Champagne, dans une lettre adressée à une Cour d’Amour, affirme sur un ton péremptoire « … que l’amour ne peut pas manifester son pouvoir entre deux époux, car ceux qui aiment sont tenus l’un envers l’autre de façon gratuite et sans aucune raison de nécessité… aucune situation conjugale ne permet de recevoir la couronne d’amour, si ce n’est que des liens ont été ajoutés hors du mariage au sein de la milice d’amour ».

On peut comprendre que des mariages contractés par intérêt, pour des raisons dynastiques ou territoriales, ne pussent satisfaire les femmes les plus évoluées et que les créations romanesques des troubadours se présentassent comme autant d’exutoires des aspirations refoulées.

Néanmoins, de tels propos laissent perplexe ; s’agit-il d’arguties d’esprits désoeuvrés, d’une mystification collective ou du souvenir ravivé par les poètes de l’ancienne émancipation des femmes celtes qui n’étaient pas soumises au droit romain ? L’université de Bologne, fondée à cette époque, fut le centre d’études du droit romain qui s’imposa à toute l’Europe. L’amour courtois fut la réaction de la tradition celte à l’encontre de l’impérialisme romain.

On peut distinguer deux courants dans cette littérature consacrée à l’amour : un courant mystique, et un courant profane, bien que parfois la distinction entre les deux soit ambiguë. Ce qui est remarquable dans ces écrits est la liberté d’expression et la hardiesse du propos.

L’exemple le plus frappant de la tendance mystique est le cas de Dante qui, à travers la figure de Béatrice, mariée à neuf ans à un gentilhomme, élabora une image de la femme divinisée et médiatrice entre l’humanité et Dieu, « Dame élue, immatériellement pure ». En fait, tout ce mouvement est une résurgence de la valorisation du Féminin qui eut lieu aux premiers siècles dans certaines sectes gnostiques. Comme nous l’avons vu précédemment, l’exaltation de la valeur religieuse de la Femme s’est traduite par l’identification de celle-ci à la Mère divine, à la Pensée, à l’Epouse vierge.

Après la chute de l’Empire romain, il a fallu attendre le 6ème siècle pour trouver une trace de poésie courtoise chez un certain Venance Fortunat, poète italien imprégné de culture antique, qui fit un pèlerinage au monastère Sainte Croix de Poitiers et y rencontra Radegonde, veuve de Clotaire I, qu’elle avait quitté déjà de son vivant du fait de sa brutalité.

Là, dans ce monastère, une ferveur amoureuse le lia à Radegonde et à Agnès, nommé abbesse, et lui inspira des poèmes comparables aux hymnes adressés à la Vierge.

« Mère honorée, soeur douce

que je révère d’un coeur pieux et fidèle,

D’une affection céleste, sans nulle touche corporelle, Ce n’est pas la chair qui aime en moi,

Mais ce que souhaite l’esprit…

Quels mots dirai-je à une mère aimée, à une douce soeur, Seul en l’absence de l’amour de mon coeur ? »

Il faut remarquer, comme le fait R. Pernoud (cf. La femme au temps des cathédrales), que ce Haut Moyen Age vit un grand nombre de fondations monastiques par des femmes de haut rang, aussi bien en France qu’en Angleterre, Irlande et Allemagne. Ces monastères, abbayes et prieurés furent des foyers de culture à laquelle les femmes prirent une grande part. Parmi les auteurs féminins, on retiendra les noms de Mechtilde de Magdebourg, Gertrude la Grande, Mechtilde de Hackeborn, Hildegarde de Bingen, visionnaire célèbre qui écrivit des ouvrages à caractère mystique aussi bien que scientifique, ainsi que des oeuvre musicales.

Naturellement, tout un réseau de correspondance et de complicité culturelle entre ces fondations religieuses s’établit. Moines et moniales ont le sentiment d’appartenir à une élite et de remplir une mission éducatrice. Sur le plan culturel et politique, le rayonnement des abbayes est immense, d’autant plus que la plupart des monastères et couvents ouvrent des écoles qui dispensent un enseignement aux enfants des deux sexes.

Mais ce qui est peut-être le plus étonnant c’est le nombre de femmes, souvent veuves, mais d’autres mariées, qui quittent la vie laïque et rejoignent les ordres religieux, parfois pour en devenir abbesses.

Dans d’autres cas, mari et femme se séparent de commun accord et les deux embrassent la vie monastique.

Voici un exemple. Bertrade de Montfort, mariée à Foulques d’Anjou (qui a déjà répudié trois femmes) affiche ouvertement sa liaison avec le roi Philippe ler. Les amants sont excommuniés et le royaume mis en interdit. Le roi meurt, et Bertrade rejoint le domicile conjugal. Ensuite, elle se rend à Fontevraud, y prend le voile et devient prieure du couvent de Haute-Bruyère.

Sa soeur Isabelle, qui fut cause d’une querelle et d’une guerre entre son mari et Guillaume d’Evreux, et qui combattait en armure au côté de son époux, la rejoint.

Emengarde

Une autre figure marquante est Ermengarde, fille d’un premier mariage du même Foulques. Son second mari, le duc de Bretagne, se fait moine et lègue son duché à son fils Conan III. Ermengarde prend le voile à Fontevraud, et à cette occasion reçoit un hommage en vers de Marbode, évêque de Rennes :

Fille de Foulques, honneur du pays d’Armorique Belle, chaste, pudique, claire et fraîche,

Si tu n’avais subi le lit conjugal et le travail d’enfants,

A mes yeux tu pourrais incarner Diane…

Au cortège des épousées, on te prendrait pour déesse,

Une parmi les premières, O trop belle que tu es !

Mais cette beauté qui est tienne, fille de prince, épouse de prince, Passera comme fumée et bientôt sera poussière…

etc….

La vie d’Ermengarde fut très mouvementée. Ainsi, ayant pris le voile, elle porta plainte contre son premier mari, Guillaume de Poitiers, plus connu sous le nom de Guillaume de Troubadour, pour adultère avec une dame de Châtellerault. Celui-ci, bravant l’excommunication, épousa Philippa de Toulouse et lui fit six enfants. Cette même Philippa qui, lasse de la conduite de son mari volage, se retira à Fontevraud et y mourut.

Après quelque temps, Ermengarde quitta l’abbaye pour rejoindre son fils à la cour de Bretagne. Elle fit une donation à Fontevraud, puis, sous l’impulsion de S. Bernard, elle entra chez les cisterciennes à Larrey. A cette occasion, S. Bernard lui adressa cette lettre qui en dit long sur la mentalité de l’époque où le lyrisme spirituel emprunte le langage de l’amour courtois et des « délices du coeur ». Voici le texte :

« O si tu pouvais lire en mon coeur cet amour pour toi que Dieu a daigné y inscrire de son doigt ! Tu comprendrais certes que ni langue ni plume ne suffiraient à exprimer ce qu’en ma moelle la plus intime l’esprit de Dieu a pu imprimer ! Maintenant même je te suis proche par l’esprit, bien qu’absent par le corps. Il ne dépend ni de toi ni de moi que je te sois effectivement présent ; mais il y a au plus profond de toi-même un moyen de me deviner si tu ne sais pas encore ce que je te dis : entre en ton coeur, tu y verras le mien, et accorde-moi autant d’amour envers toi que tu sentiras qu’il en est en toi envers moi… » (cit. R. Pernoud, op. cit. p.147). On peut se demander comment des hommes d’Eglise pouvaient s’adresser de façon aussi directe à des femmes, mais il ne faut pas oublier que de part et d’autre il s’agissait de personnages hors du commun qui étaient en train de fonder une nouvelle civilisation, et qui s’adonnaient à cette tâche avec un enthousiasme et une ardeur sans bornes.

Abbaye de Fontevraud

Ermangarde, pour sa part, manifesta encore son caractère indépendant en quittant son prieuré pour se rendre en Terre Sainte à l’appel de son frère devenu Roi de Jérusalem. Là, elle restaura l’église Saint-Sauveur construite jadis par Hélène, la mère de Constantin. Puis elle regagna la France, fonda un couvent de Cisterciennes près de Nantes, et mourut à Redon, où son deuxième mari s’était fait moine et était enseveli.

à paraitre fin octobre

Tout un climat d’affectivité se développe sur le thème de l’âme-épouse qui redevient mère et enfante le Christ. Ainsi, S. Bernard, dans le Traité de l’Amour de Dieu, décrit le mariage mystique ; et pour les femmes qui embrassent la vie monastique l’identification à l’épouse et à l’âme se fera naturellement. Guillaume de S. Thierry, auteur du Traité sur la Vie Solitaire et du Commentaire sur le Cantique, décrit l’art d’aimer et la façon, pour l’âme, d’apprendre à aimer ; l’amour corporel n’est qu’une étape vers l’amour spirituel.

Hughes de S. Victor fait aussi une grande place à l’amour, décrivant le rapt de l’âme attirée par Dieu « comme si, dit l’âme, j’étais enlevée à moi-même et emportée je ne sais où ». Pour Richard de S. Victor, le contemplatif doit se perdre au plus profond de lui-même afin d’y trouver Dieu ; l’âme doit s’abîmer dans l’amour pour éprouver la folie de l’amour, le ravissement.

La mystique visionnaire trouvera sa plus forte expression chez les grandes figures féminines de l’époque : Hildegarde de Bingen, Elisabeth de Schönau, Béatrice de Nazareth, Angèle de Foligno, Marguerite de Cortone, et Hadewijch d’Anvers.

Les mystiques sont influencées par le roman courtois et la ferveur amoureuse. Comme les châtelaines, les béguines et les moniales chantent l’amour, les unes pour l’amant-chevalier, les autres pour le Christ-Epoux. Les troubadours fournissent le vocabulaire, et le texte du Cantique des Cantiques est le livre de prédilection des moines et des nonnes. Pour ces femmes, il est normal de faire l’expérience sensible de Dieu, car Dieu doit être senti pour être vécu. Cette exigence de l’expérience vécue est commune aux Gnostiques des premiers siècles, aux romans initiatiques et à l’amour courtois, et à la littérature visionnaire, ce qui explique l’emploi de symboles communs et la fréquence des images en rapport avec un monde clos, secret, protégé par des obstacles, des murs, des barrières : le château, la forêt, la cellule, le jardin secret, l’obscurité. C’est, encore une fois, un retour vers l’introversion créatrice en tant qu’attitude de civilisation.

Béatrice de Nazareth, cistercienne, dans son analyse des sept degrés conduisant à l’amour et à la connaissance de dieu, décrit le 4ème degré où l’âme « sent que tous ses sens ont été consacrés dans l’amour et que sa volonté est devenue amour et qu’elle est profondément abîmée et engloutie dans l’abîme de l’amour, et que elle-même est devenue amour ». Ce mélange des âmes prendra corps avec l’imaginaire du Graal.

paru et en stock !


En savoir plus sur Toison d'Or

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.