Gargantua perpétua jusqu’à nous le souvenir de ces géants fondateurs de cité et de royaume et ce n’est pas rien. D’ailleurs l’iconographie nous le représente souvent perché sur une tour ou au somme d’une cathédrale. il y a là tout un inconscient qui resurgit du fond des âges. Il y a plusieurs façons de lire Rabelais, nous avons choisi de le lire comme un grand initié à l’égal de son contemporain Léonard de Vinci.

Ces géants portent un nom : Og ou anakim par exemple.
Qu’en est-il des géants antédiluviens, de ces Anakim (« cous », « gorges », « colliers ») que Rabelais place en tête de la christique généalogie de Pantagruel ? Robert Graves, note à leur propos en ses Commentaires aux mythes hébraïques : « Les Anakim peuvent bien être des colons d’origine mycénienne appartenant à la confédération des peuples de la mer qui tant effraya l’Égypte au XIVe siècle avant J.-C. ». Les mythographes grecs connaissent un géant Anax, (roi, Anak), fils du Ciel (Ouranos) et de la Terre mère (Gè), qui fonda Anactoria (Milet) en Asie Mineure. Selon Apollodore, le squelette exhumé de son successeur, Astérios, (l’Étoilé), mesurait rien moins que dix empans. Anakes, le pluriel d’Anax, était une épithète des dieux grecs en général. Ainsi la ville du prophète Gosier fut-elle fondée par un géant dont le nom même évoque celui des « Gorgias » de l’Ancien Testament. Que les Grecs aient tout fait pour reconnaître là leur Anax (« roi », « maître, « chef »), terme déjà homérique, n’a pas empêché l’ancien toponyme d’Anactoria de se conserver dans les mémoires. Nous allons parcourir à grands pas la geste et les gestes horrifiques des Anakim, de ces géants que Josué et Caleb rencontrent en terre cananéenne. Og, roi de Basan, et son collier apparaît en la quatrième place de la généalogie de Pantagruel.
L’édition critique voit dans Enay notre Enak, Anak. L’extraordinaire longévité de ce géant explique qu’il puisse établir la jonction de l’antique Hercule au médiéval Fierabras. Mais nous voyons là une allusion au Phrygien Enée, lui aussi en position historiquement charnière, et qui porte son père Anchise au col. »… Faribroth qui engendra Hurtaly, qui fut beau mangeur de soupe et régna au temps du déluge, qui engendra Membroth… » (Nemrod, le prométhéen constructeur de la tour de Babel (II, 2)). Ce rescapé » du déluge) est l’Og que Rabelais compare à Pantagruel enchaîné dans son berceau. On montrait en effet, dans la plaine de Chinéar, le monstrueux lit de fer de ce roi de Basan. Les massoretz hébraïques, après avoir surenchéri sur sa grandeur et grosseur, content comment Moïse le tua ou le captura. Og avait arraché la cime d’une montagne et la portait en équilibre sur la tête. Cette masse aurait suffi à écraser d’un coup tout le camp d’Israël. A la prière du prophète, des milliers de fourmis (ou des sauterelles) creusent cette nouvelle coiffure; elle choit sur les épaules, forme collier, carcan. En vain l’Og se débat. Deux grandes dents, des défenses, lui sortent de la bouche, rivetant ce torque d’esclave. Car, pour certains rabbins subtils, il survécut à Moïse de nombreuses générations et peut être identifié au serviteur d’Élièzer. Il vécut plus de trois mille ans. Il appartenait à la race des Anakim, soit parce qu’il portait collier, soit parce que les eaux du déluge ne lui montaient qu’au cou. Selon le Midrash (Genèse Rabbah, XXVI), les Anakim sont des Titans de la race des Néphilim, Réphaïm, Gibborim… Ils portaient « colliers sur colliers », d’où leur nom de « Cols ». Ils forçaient (anak) le soleil qu’ils saisissaient d’une main, le serrant et lui criant « Envoie-nous de la pluie ». Certains « passaient leur tête dans le soleil » (Rashi, Yoma, 110). Peut-on mieux dire qu’ils sont les magiciens circulaires de la pluie (comme Honi Ha-Me’Aggel, le faiseur de pluie et de cercles de Jérusalem, comme les Telchines de Rhodes, « hauts du collier », arrogants). Ce collier solaire ou d’ambre (electron ou alectron est l’épithète d’Hélios) n’est-il pas le signe de leur naissance branchidienne ? Talmai, le troisième fils d’Anak (Nb., XII, 22) était ainsi appelé car il était si lourd qu’en marchant il creusait des sillons (telamin) dans le sol. Or « sillon » ou « ride » est aussi le nom de l’Hercule solaire, l’Ogmios celtique.

Les textes arabes parlent de Udj ibn Onoq, appelé parfois Anak, le Og biblique (V. illustration IV). Il erre en mer, semblable à Orion, les plus grand fonds atteignent à peine sa cheville. D’une main il pêche la baleine, de l’autre la fait rôtir au soleil : c’est ainsi qu’il est figuré dans plusieurs miniatures. Il possède une arme redoutable, un marteau-pic de mille quintaux, pointu d’un côté, plat de l’autre, de la forme de ceux qu’utilisent carriers, tailleurs de pierres et fossoyeurs (V. illustration III)
Il était une fois : la vallée de Shinéar
Eupolemus (historien grec) attribuait la fondation de la tour de Babel à des géants au nombre desquels Nemrod, le roi puissant de Shinéar, et nous avons relevé que cette région, Shinéar, se situait dans les montagnes dominant le « Croissant fertile », en Azerbaïdjan. Les Hébreux eux-mêmes situaient le Jardin d’Éden au voisinage de l’Irak dans une région qualifiée par la Genèse de « pays de Shimar » (Genèse 11 :2). La mention du « pays de Shinéar » dans le récit biblique renvoie bien au vaste territoire où fleurirent entre 3000 et 1900 av. J.-C., une série de cités-États contrôlant les plaines qui séparent les contreforts du Kurdistan irakien et le golfe Persique. Et bien qu’elle fût aussi, dans une moindre mesure, la terre d’élection des rescapés noachites qui avaient survécu au déluge, les gardiens de la tradition chaldéenne restés fidèles à Énoch, le septième patriarche dont la descendance avait vécu au coeur de la « Montagne des Prophètes », elle n’en demeure pas moins la terre d’élection de l’ensemble des autres tribus de nephilim survivants, comme en atteste la présence des sept tribus de Canaan, héritières de Nergal, le seigneur du monde souterrain. Certains auteurs comme Loren Stuckenbruck n’hésiteront pas toutefois à assimiler Noé au géant Bélos qui selon Eupolémus fut l’un des constructeurs des Tours ; ce qui souligne le caractère interchangeable des géants survivants du Déluge et le flou historique qui les entoure. Guénon ayant d’ailleurs soulevé l’aspect illusoire de cette ambivalence lorsqu’il assimilait les Giblim de Byblos aux Gardiens de la tradition chaldéenne, héritiers de la science d’Énoch’. La tradition est toutefois unanime lorsqu’elle raconte comment 0g, roi des géants de Canaan, aux lendemains du cataclysme diluvien transmit son titre à Nemrod, son descendant direct. Le pays de Shinéar, aussi nommé « Shimar », était donc régi par le patriarche Nemrod, empereur en puissance de l’ensemble des tribus de géants, d’Orient comme d’Occident, puisqu’il était l’héritier des deux lignées antédiluviennes caïnites et sethiennes. C’est la raison pour laquelle on peut lire dans la Bible qu’à cette époque précise, après que fut survenu le Déluge, les descendants de Noé prospérèrent dans les plaines de cette région jusqu’au jour où un tyran puissant dénommé Nemrod construisit une tour insolente touchant le Ciel, entreprise prométhéenne qui incita Dieu à jeter bas cette abomination et à punir le monde.
L’histoire mythique de Sumer relate à peu de chose près des événements similaires lorsqu’elle parle d’un peuple venu des « terres hautes » (ou montagnes) pour prendre le contrôle de la plaine de Shinar. Il s’agirait donc là encore aussi bien des Veilleurs restés fidèles à Énoch et représentant la lignée noachique et chaldéenne (Amalécites, Edimmou, Giborim, Cananéens proto-Harranites), que des 600 Veilleurs rebelles qui, sous l’influence de Shemyaza/Nergal, étaient descendus au coeur de la Montagne sacrée primitive. Nemrod désigne en puissance la fusion des lignées « caïnites » et « séthiennes » ayant donné naissance aux Géants cananéens, comme on a pu le lire chez Guénon lorsqu’il affirme que « certains font de Nemrod un des « caïnites » qui auraient échappé au cataclysme diluvien ». Ainsi, René Guénon, dans son article sur Seth, nous rappelait que la fondation de Ninive et de l’Empire assyrien par Nemrod n’était que la conséquence cyclique d’une révolte des Kshatriyas contre l’autorité de la caste sacerdotale chaldéenne et il établissait d’emblée le rapport étroit qui reliait « Nemrod » aux nephilim et autres « géants antédiluviens » révoltés contre l’autorité divine, usant de l’épithète « nemrodien » pour désigner le pouvoir temporel s’affirmant « indépendant de l’autorité spirituelle ». Nous renverrons à ce propos le lecteur aux ouvrages de Jean Robin qui s’est tout particulièrement penché sur cette figure centrale et ambivalente de la métahistoire dans ses ouvrages-clefs sur le sujet’. Shinéar désignait donc la vallée où vint s’établir, à la suite des Noachites, le peuple titanesque héritier du géant Og qui allait construire les Tours du Diable, à moins qu’il ne s’agisse, dans les deux cas, du même peuple. Il est significatif que les géants cananéens qui hériteront du dépôt antédiluvien aient été des bâtisseurs à la fois de forteresses colossales et d’observatoires astronomiques mégalithiques, signes conjoints d’une influence « ligure » singulière, à la jonction des influences énochiennes attribuées aux Ases des montagnes et de celles héritées des Caïnites énochiens, bâtisseurs des premières métropoles ; loin de s’opposer, ils auraient plutôt tendance à se compléter. La tradition islamique nous apporte elle aussi des précisions précieuses à propos du « puissant roi de Shimar », parrain de la contre-initiation pour notre cycle actuel. Le savant Birûnî rapporte par exemple que Nemrod était fils de Kûsh, lui même fils de Hâm, lequel était fils de Noé, et qu’il régna vingt-trois ans après la confusion des langues à Babel, ce qui coïncide avec la naissance d’Arghû qui créa le premier royaume sur Terre. On reconnaît aisément en cet Arghû le conquérant Sargon 1er d’Akkad qui porta le titre de « roi des quatre régions » et fut peut-être le premier empereur de toute l’histoire humaine.
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