Art royal : art du grimoire

Les mouches

Ordre initiatique à vocation contestataire, la confré­rie des Gouliards a affronté des siècles durant le monde des privilèges et des privilégiés, Religion et Noblesse, dans le but secret, mais tenace, de remettre le Peuple dans ses « vrais droits ». Combattants de l’ombre, armés de la force sans frontières de la satyre populaire, les Gouliards surent éveiller l’esprit de contestation, voire même de révolte, pour le mettre au service du Peuple. En cela ils préparèrent, à leur manière, le terrain sur lequel devait oeuvrer par la suite la Révolution de 1789.

Dérivé, selon certains spécialistes, tout aussi bien du vieux terme français gole (ce qui explique la forme goliard, adoptée par le Robert) ou goule (à présent gueule), que du vocable latin vulgaire golias, utilisé au Moyen Age pour désigner le gourmand, le mot gouliard fit sa fortune aux XIVè et XV siècles, lorsqu’il désignait également les bouffons Jongleurs et les clercs vagabonds de l’époque. Selon Grimm, auteur du XVIIIè siècle, le mot Goliard viendrait du terme provençal : galiar tromper.

Secte ou ordre secret à caractère véritablement initiatique, les Gouliards se sont fait connaître par deux de leurs manifestations coutumières et dont ils ne se gênaient pas de diffuser l’existence, leurs poèmes et leurs banquets.

Les poèmes d’abord. Présents en Angleterre, France, Allemagne et Italie, signalés en Espagne, compris dans un véritable réseau international, les Gouliards enrichirent la poésie populaire des pays qui les connurent par bon nombre de poème, et pièces en vers latins. Des œuvres étranges créées à partir du XIIè siècle elles portaient un message secret jamais véritablement dévoilé.

But apparent et véritable point central traditionnel des réunions des Gouliards, le banquet – proche comme source d’inspiration du banquet platonicien-s’inscrivit normalement dans l’activité coutumière des Thyases, sociétés fermées, où repas, discussions philosophiques et danse jouaient un rôle essentiel et aux réunions desquelles nul n’étaient admis s’il ne présentait pas patte blanche, c’est-à-dire une tessère, espèce de jeton gravé d’un signe symbolique. A rentrée tout participant devait en plus, savoir expliquer le sens caché du symbole porté par son jeton. Les Fratries romaines s’inspirèrent des Thyases grecques pour perpétuer, à leur tour, dans un véritable cadre initiatique, la tradition du banquet et du jeton.

Grasset d’Orcet

L’Apocalypse de Saint Jean fait allusion à ces jetons qui prennent date de la sorte, également dans l’histoire des signes hiéroglyphiques de reconnaissance et dans celle des rebus. C’est justement parce qu’ils le considéraient l’inventeur du jeton de reconnaissance (même si à tort car bien tardif), les Gouliards placèrent Saint Jean parmi leurs grands patrons célestes, un choix qu’ils ont –  Grasset d’Orcet, un des rares auteurs qui les a étudié – légué par la suite aux Franc Maçons. Repris par les collèges artisanaux romains, le banquet « fermé », entra dans la vie « philosophique » et professionnelle des artistes et des artisans, canal à travers lequel il se retrouva, toujours à l’honneur chez les membres des très nombreuses confréries constituées au Moyen Age. Les Templiers l’adoptèrent à leur tour, les premières loges corpora­tives d’artisan aussi.

« Nul dans l’histoire des temps modernes, écrit Grasset d’Orcet n’a joué un rôle plus considérable que l’association secrète connue du onzième au treizième siècle sous le nom de Gouliards ou Fils de Goulia. Cette association, précise encore l’éru­dit, ne s’est dissoute qu’au com­mencement de ce siècle (le XIXè siècle) après avoir pleine­ment atteint le but qu’elle s’était proposé depuis plus de 1000 ans, et qui était de substituer la souve­raineté du peuple à celle de l’Eglise et de la noblesse »

Art de blasonner : le langage des Gouliards

Promouvoir la souveraineté du peuple, but non avoué et permanente démarche secrète bien assise sur un radicalisme égali­taire et largement démocratique, firent des Gouliards des agitateurs sociaux avant la lettre. Caractère excité et convictions que l’on pouvait taxer déjà de franchement politiques, leur attira la sympathie du peuple. Ils recrutèrent ainsi dans leurs rangs tous ceux qui se réclamaient à l’époque, de quelque protestation sociale quelle qu’elle soit, d’où aussi la présence de marginaux « éclairés » ou croyant l’être, parmi tous ceux qui vinrent gros­sir leur nombre. Clercs vagabond, étudiants mendiants, moines copistes des manuscrits des abbayes romanes s’y inscrivent aussi. Des associations pour ne pas dire des confréries estudian­tines, passèrent k message gou­liard d’une université de l’époque à l’autre. Des simples pièces saty­riques appelées Estudiantines – comme les estudiantines ita­liennes de Bologne ou de Ferrare ou la fameuse Estudiantine madri­legna espagnole en portèrent la marque. Importé de France en Espagne, le credo libertaire de quelques sociétés d’étudiants mendiants (pour pouvoir conti­nuer leurs études) diffusa aussi le goût pour le premier théâtre dans et de la rue, connu dans l’histoire du théâtre laïque européen. On y jouait des pièces satiriques d’ins­piration locale dont l’humour plutôt gras et la critique sociale virulente égayait des mécènes d’occasion, Bouffonneries obs­cènes et répliques impies abon­daient dans ces pièces qui raillaient tout sauf le pauvre et le corvéable à merci, le petit voleur et la prostituée. Assez souvent des rapports de police de l’époque font allusion à des véritables saturnales dignes du Satyricon de Pétrone, organisées par ces « jon­gleurs, amuseurs publics, bate­leurs, étudiants mendiants et clercs errants. »

Points de chute annuels, les carnavals déroulés dans les grandes villes commerciales de l’époque, des Flandres à l’Italie du nord et des Marches d’Es­pagne à Nuremberg, abritaient leurs mascarades.

Cela dit n’était Gouliard qui voulait, Pour être reçu dans les rangs de l’associa­tion il fallait subir des épreuves et surtout prendre des engagements à vie; des sanctions d’une extrême sévérité punissaient tous ceux qui outrepassaient les règles strictes de l’obéissance gouliarde. Une obédience d’ordre ou de secte dirait-on, à l’intérieur de laquelle la pratique d’une grande entraide fraternelle absolue constituait le premier des commandements.

Nul doute secret sans rituel d’initiation, mais aussi nul credo initiatique dépourvu de sa propre mythologie. Les Gouliards eux-mêmes s’accordaient des origines que les étymologistes modernes accepteraient sans trop d’empressement. Ainsi, et ce sont également Straccali et Giesebrecht parmi les auteurs qui en ont parlé, chaque bon Gouliard pensait être un Fils de Golta, d’appartenir à la Famille de Colla (d’où la fraternité gouliarde) sinon aussi à la gente des… Perroquets !

Véritable rébus parlant, cette dernière identité gouliar de reporte aux aléas historiques du nom de l’admirable oiseau ; perroquet, aux XVe et XVIè siècles était dit encore papegay ou pape-gault. En fait, selon la traduction « gouliarde », Pape des gays hommes (et du gay savoir, cc qui nous rapproche déjà de Rabelais), cette appellation tournait en dérision la hiérarchie catholique et il est à s’interroger sur le véritable sens de la présence des têtes de perroquet parmi les ornements de choix des chapiteaux des églises romanes.

D’origine arabe, arrivés en France déjà au IXé siècle avec les incursions musulmanes, l’image et le nom de l’oiseau railleur (comme un Gouliard) furent collés dès le début aux grands de l’église, évêque et Pape. La similitude phonétique aidant, le critique populaire fit du papegault Pape des oiseaux comme celui des fidèles. Pour dire un peu plus, il faudrait ajouter que la hiérarchie de l’ordre des Gouliards parodiait largement celle de l’Eglise Catholique Apostolique Romaine et que pour la connaître au détail près, il suffit de relire k chapitre consacré par François Rabelais (1494-1553) à l’Ile Sonnante. Le plus important des Gouliards, leur Pape, était en somme le Papegault.

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Farce gouliarde sans doute, la tire au papegault ou pour mieux dire la coutume carnavalesque de tirer (à l’arc) le « pape-gault », oiseau de carton ou de bois, placé au bout d’une perche pour servir de cible aux tireurs à l’arc ou à l’arbalète. Dans le nord de la France, il évoquait à la fois la haine et l’engagement sacré des Gouliards de combattre l’Eglise de Rome.


Quant aux Fils ou Frères de Golia ou Goulia si l’on suit le même Giesebrecht. Il s’agirait purement et simplement de la famille de Goliath, le géant de la Bible terrassé par le petit David. Filiation outrancière, car se réclamant d’un grand, vaincu par un petit, la dite origine goliathesque si l’on peut dire de l’appellation des Gouliards semble tout aussi dénuée de fondement que celle qui, faisant fi de toute étymologie possible, accordait aux Gouliards un ancêtre vaillant, de très grand taille, guerrier et par surccroît.., Anglais ! Ce « Gouliard » des débuts, le soi-disant créateur de l’ordre des Gouliards aurait été  dénommé Map, gentilhomme de la cour du roi Henri Il (1133-1189) d’Angleterre, l’illustre ennemi de Thomas Becket.

En réalité on aurait du insister un peu plus sur la filière du Papegault typiquement locale, car elle faisait également référence au culte, très répandu à l’époque, de Saint Gault (dit aussi Gall ou Gelly), un béat du Moyen Age réputé bon prêcheur et qui réveillait le petit peuple en lui révélant la réalité de son triste état. De quoi sourire si l’on se rappelle que Saint Gely (ou aussi Gaul) signifiait dans le parler Limousin Saint Coq et que le dit coq était le réveil-matin du menu peuple. Occasion aussi de rapprocher des mêmes Gouliards le pamphlet dirigé contre la reine Catherine de Médicis, paru à Paris en 1575 sous le titre Réveille-Matin des Français et de leurs voisins…

Plus proche de la vérité proverbiale du peuple que des origines artificiellement confectionnées, l’appellation du Fils de Golia ou Goulia évoque certainement un autre rapporte, celui qui relie la Goule, femme fantastique et dévorante des légendes importées d’Orient, et qui dans la région de Poitiers avait donné son nom à un terrible, dragon dévoreur local, la Grande Goule, au peuple dont elle chiffre secrètement le nom. « Fils du peuple », les Gouliards étaient les fils symboliques d’une femme pauvre, image populaire, elle aussi, de ta « veuve à nombreux enfants », personnage également mythique, sans limite dans sa soif d’équité et sa faim de mieux vivre et terrible dans ses sursauts de colère. Verra-t-on alors, avec Giesebrecht, le Gou­liard comme le premier fils « his­torique » de la Veuve, appellation traditionnelle, dont s’affubleront par la suite les Franc Maçons (ce qui n’est pas non plus sans poser encore le problème des sources gouliardes de certaines traditions maçonniques) :

«… Vagi et Lascivi gulae et ebrietati et caeteris suis  voluptatibus dediti, quid quid sibi libitum et licitum faciant » (mous et las­cifs, addonnés à la gloutonnerie et à l’ivrognerie et à tous les autres plaisirs, se croyant permis de faire en toute liberté tout ce qui leur plain, fulminait le Concile d’Aix-la-Chapelle à l’encontre des clercs vagabonds, tout en brossant une image bien extérieure et réelle­ment fausse de ceux qui grossirent les premiers. les rangs des Gou­liards, pour lesquels l’esclavage aux besoins matériels du corps n’était qu’une manière bien choi­sie de cacher la réalité de leurs véritables démarches. Des activi­tés « couvertes » qui étaient déci­dées et suivies dans le cadre agissant des véritables loges cor­poratives placées sous la haute autorité d’une Mère-Loge (en lan­gage obscur la « Goulia », d’où aussi et surtout, les « Fils » de « Goulia »). Clercs, Ouvriers ou Artisans et, bien plus rarement Nobles, les Gouliards consti­tuaient un ordre sévèrement clos dont les deux grandes divisions concernaient les Maçons et les Escribouilles. »

 


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