L’alphabet maçonnique, une tradition rabbinique

Principe et origine de l’alphabet  maçonnique

Le principe de l’alphabet maçonnique est bien connu. Nous le rappellerons en en empruntant l’exposition au « Catéchisme des Francs-Maçons » de Louis Travenol. Ce texte de 1744 est la plus ancienne mention que nous connaissions de cet alphabet en Maçonnerie : « Chapitre IX. De l’écriture maçonne »

L’alphabet est tiré d’un « quarré formé par deux agiles parallèles, perpendiculaires, coupées par deux lignes horizontales, aussi parallèles.

Ce carré, comme on voit, produit neuf cases, tant ouvertes que fermées, contenant l’alphabet ordinaire, mais dont plusieurs lettres sont différenciées par un ou deux points. Pour tirer de cette figure l’alphabet en question, il s’agit de supprimer ces lettres, et de représenter à leur place « les cases où elles sont, soit sans point, ou avec un ou deux points, relativement aux lettres qu’elles contiennent et dont elles font l’office. Ces neuf cases divisées forment donc par le secours de la ponctuation, qui les distingue dans leur double et triple emploi, les caractères de l’écriture maçonne. »

Le lecteur remarquera sans doute deux différences entre cet alphabet maçonnique ancien et celui (ou ceux) avec lequel il est familiarisé. Tout d’abord l’alphabet tout entier tient dans le carré, ce qui oblige à utiliser une double ponctuation lorsque trois lettres se retrouvent dans la même case : la croix de St André, qui dispense de la double ponctuation, n’a été introduite qu’un peu plus tard (1748). D’autre part il semble que les lettres aient réparties dans les cases d’une manière arbitraire, et non selon une loi régulière – du moins nous n’avons point trouvé de telle loi. Ces remarques suffisent à faire voir que l’alphabet maçonnique a évolué depuis son introduction, et en fait il en existe de nombreuses variantes.

Du reste l’origine de l’alphabet maçonnique n’est pas maçonnique, car on trouve mention d’un code fondé sur le même principe au XVIè siècle, dans un milieu fort éloigné de la Maçonnerie opérative de l’époque. Le kabbaliste chrétien Corneille Agrippa de Nettesheim attribue  aux kabbalistes Juifs une manière « fort respectée anciennement parmi eux » de coder la langue hébraïque en répartissant les vingt-sept caractères de l’alphabet hébreu (en comptant les formes finales) dans les neuf cases du carré précédent, à raison de trois lettres par case, et en utilisant une double ponctuation. La répartition des lettres dans les cases est ordonnée selon une division de l’alphabet en trois classes de neuf lettres, répondant aux trois classes d’êtres créés. Agrippa précise d’ailleurs qui à présent l’usage en est si commun qu’elle est presque tombée entre les mains du vulgaire ». Il est possible qu’Agrippa exagère l’antiquité de ce système ; néanmoins la mention qu’il en fait prouve qu’il était connu des kabbalistes chrétiens de la Renaissance. Les maçons du XVIIIè siècle n’ont fait que le reprendre à leur compte en l’appliquant à l’alphabet latin.

Le texte de Travenol que nous avons cité est la plus ancienne mention de ce code en Maçonnerie. On n’en trouve aucune trace dans les textes français un peu antérieurs à 1744.

A cette dernière date Mackey cite un passage du « Rituel Oliver » attestant l’usage de cet alphabet :

« Vous êtes aussi habilités, mes frères, en, votre qualité de Maitres `maçons, à utiliser un alphabet que notre vénérable Grand Maitre Hiram Abif employait pour communiquer avec le roi Salomon à Jérusalem et avec le  roi Hiram à Tyr. Il est de nature géométrique et par là il est particulièrement utile à tous les Maitres Maçons. Au moyen de deux équerres et d’un maillet un frère peut réaliser tout l’alphabet, et com­muniquer silencieusement ses idées à un autre. Que cet alpha­bet géométrique soit facile à apprendre et à retenir, c’est ce dont je vais vous, convaincre en vous en donnant la clé« .

Le compagnonnage et la « sortie du désert »

L’usage de l’hébreu constitue l’un des secrets les mieux gardés du Compagnonnage.

L’usage de l’hébreu en Franc-Maçonnerie est un mystère à ciel ouvert, qui n’a pas manqué d’alimenter les fantasmes des curieux et l’hostilité des imbéciles. Qu’on le veuille ou non, la langue de l’Ancien Testament est la langue maçonnique authentique. L’indissolubilité du lien entre la Maçonnerie et l’hébreu dément la croyance ingénue qui voudrait y voir la résultante d’une importation érudite d’« acceptés » aux XVIe et XVIle siècles (époque d’expansion de la Kabbale chrétienne et du protestantisme) : les opératifs, ne sachant pour la plupart « ni lire ni écrire », ne pouvaient bien sûr connaître la langue sacrée biblique… À l’évidence, rien de plus faux, comme en témoignent suffisamment, entre autres choses, les détails du carnet du Maître Villard de Honnecourt (XIIIe siècle), ainsi que le simple usage du nom Aymon ou Amon qui dans le plus vieux légendaire maçonnique continental médiéval désignait le nom du Maître Maçon assassiné, et qui provenait directement de l’hébreu où il désigne l’architecte », ou l' »artisan ». « Architecte » mythique d’ailleurs connu de Rabelais lui-même, qui le laisse transparaître en filigrane derrière l’évocation en creux du dieu égyptien Amon, le bâtisseur « mussé » (caché, tû) du monde, attestant ainsi de sa perpétuation dans les confréries françaises de bâtisseurs que fréquentait le père de Pantagruel, qui de son propre aveu n’aspirait qu’à « mettre à bouillir pour les maçons ».

SHIBBOLETH

La question n’est donc pas de savoir si les Maçons « connais­saient » l’hébreu, mais quel hébreu ils connaissaient, et les raisons pour lesquelles cette « connaissance » importait tant. Le fait qu’il s’agissait de la langue sacrée du christianisme (en témoigne l’usage des Amen et Alleluiah, le latin n’en étant, comme on sait, que la langue liturgique), et que le légendaire du métier, mis en oeuvre lors des cérémonies, s’appuyait en grande partie sur des épisodes et figures de l’Ancien Testament (Adam, Noé, Babel), ne saurait suffire.

En réalité, si les Maçons usaient de la langue des Hébreux, c’est tout simplement parce qu’ils se considéraient comme tels : la langue naturelle de l’homme franc, libre, ne peut être en effet que l’hébreu (que l’on prononçait l’hibreu en vieux français, d’où libreu-libre), ou l’hébrieu comme l’écrivait Rabelais (qui jouait bien sûr avec l’ébrieu, ivre d’un secret vin de sagesse). C’est la langue qui permet aussi de parler librement au milieu du monde profane, raison pour laquelle elle figurait comme l’une des bases d’un argot de métier, cela à une époque où l’on pouvait d’ailleurs croire que le français en dérivait, au moins en partie, quand il ne provenait pas du grec…

« Hébreu », parfois heber, tel était en effet le nom que se don­naient les Maçons eux-mêmes, en particulier les Compagnons, Maçons libres, que les vieux usages dénomment « Passants », c’est-à-dire « Hébreux »…en hébreu. Cela parce qu’ils voyagent, errant en terre solaire (Syrie), chaude et sèche, pour ne pas dire caniculaire, comme les Hébreux dans le désert en quête de la Terre Promise. Les Compagnons sont aussi dits Passants parce qu’ils ont passé le fleuve du Jourdain, connaissant le mot de passe et sachant le prononcer correctement, en faisant donc bon et juste usage de leur langue. On ne saura jamais trop rappeler combien le degré de Compagnon est le degré du Verbe émis, et de sa juste énonciation par la connais­sance des cinq voyelles qui l’animent. Ainsi, l’on passe Compagnon, après avoir été reçu Apprenti, et avant d’être élevé Maître.

On comprend alors pourquoi dans le Compagnonnage français, le « renard », jeune aspirant, possède un mot sacré qu’il n’apprendra « à prononcer en hébreu » que lorsqu’il sera reçu Compagnon. On notera qu’il ne s’agit pas de dire, mais de prononcer, donc de bien dire. Une faculté qui n’est pas sans rapport avec la capacité de formuler correctement le mot de passe qui permettra le franchissement du gué, sans confusion du <s> et du <sh>, au risque de sa vie.

Mot de passe et franchissement des portes selon la tradition égyptienne.

Un mot de passe qu’entre autres choses la maçonnerie anglaise a repris de la française, et que l’on trouvait déjà au XVIe siècle chez Rabelais, qui était instruit de bien des choses. Remarquons ici, pour les inattentifs, que l’usage de l’hébreu comme langue symbolique des hommes « libres » (francs) n’ayant de sens qu’en français, certaines déductions s’imposent quant à l’origine véritable de la Franc-Maçonnerie.

Rien de plus naturel alors que les mots de passe soient en hébreu : ils permettent à l’homme libre, l’affranchi, de franchir les portes et les seuils sacrés.

à paraitre fin juillet : la suite du verbe archtiecte avec une introduction aux techniques opératives de méditation en loge

à suivre ici ….

 

 

 


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