
René Guénon, analysant le symbolisme du Graal, voit en Joseph d’Arimathie l’image du pouvoir royal, et en Nicodème celle du pouvoir sacerdotal. Toutefois, en relisant les Évangiles canoniques eux-mêmes, nous sommes portés à croire —comme chez les Templiers mille ans plus tard — la seule présence de Joseph d’Arimathie résume les fonctions tant sacerdotale que royale et chevaleresque.
En ce qui concerne cette dernière, nous remarquons que Marc définit Joseph (littéralement honestus dans le sens de digne d’honneur et donc noble), « bouleotes » (littéralement « membre du conseil » et dans ce cas spécifique assessor synedrii). Si la Bible de Jérusalem traduit par « membre notable du conseil », il nous semble que le sens le plus authentique de la définition a été entendu et maintenu dans la traduction latine de la Vulgate. Le terme nobilis decurio rend en effet sensible, selon l’esprit sinon selon la lettre, cette nuance militaire contenue dans la particulière acception du concept d’honneur inscrit dans le mot.
Pour ce qui concerne la fonction sacerdotale (elle aussi, selon nous, détenue par Joseph), bien entendu, la qualification de membre du sanhédrin ne peut nous suffire. Outre que dans cette assemblée siégeaient des hommes qui n’appartenaient pas à la classe sacerdotale juive, il est bien clair que, réfléchissant dans un contexte chrétien, nous devons présumer que toute transmission d’une fonction sacerdotale ne peut avoir origine que dans le Christ lui-même. Et si, dans l’ordre ecclésiastique « visible » le prêtre est, par excellence, gardien du corps eucharistique du Christ, a fortiori une telle fonction ne devrait-elle pas appartenir éminemment à celui qui fut par excellence gardien du corps charnel du Maître ? Pourquoi est-ce Joseph, et non un des apôtres, comme l’on s’y attendrait logiquement, qui obtint le privilège insigne d’être immortalisé dans les Écritures comme le défenseur et le gardien du corps du Seigneur ?
Aucun commentateur moderne ne semble s’être rendu compte de la grandeur du rôle assigné à Joseph par les Évangiles canoniques. Tandis que Pierre est institué chef de l’Église et Jean défini comme le disciple bien-aimé, à Joseph, providentiellement, est attribué la mission de défendre et garder le corps même du Fondateur durant les trois jours qui précèdent la Résurrection.
Évidemment, si l’on tient compte de ce fait, on est conduit à penser que le rôle de Joseph, à l’intérieur du cercle le plus restreint des intimes de Jésus, devait être bien plus considérable qu’il n’apparaît des rares notices évangéliques. L’importance de cette place sera soulignée par les Évangiles apocryphes. Toutefois, il nous semble pouvoir suivre une trace importante de cette secrète prééminence à l’intérieur même de la tradition ecclésiastique officielle.
Dans les Évangiles eux-mêmes, nous rencontrons chez Jean une précision remarquable : Joseph aurait été un « disciple de Jésus, mais en secret, par peur des Juifs ». Dans l’original grec, nous trouvons un mot participe passé du verbe crypto, avec le sens latin d’abscondo, occulto. En vérité, en tenant compte du caractère passif du participe passé en question, il apparait que la traduction la plus précise littéralement soit celle d’occultatus, « tenu caché ». Mais alors, qui tenait Joseph caché ? La différence entre le cercle visible (Apôtres et disciples) et invisible, occultatus (Joseph et les autres intimes de Jésus, qui apparaissent sporadiquement, presque en passant, dans le canon évangélique) paraît commencer à se préciser.
du Mont Moriah au Mont Salva
Certes, des trésors d’érudition philologique ont été dépensés depuis plusieurs générations pour « expliquer » les différents aspects du cycle du Saint Graal. Malheureusement la méthode de l’historicisme littéraire (pas plus que les virtuosités scabreuses de la psychanalyse) ne peut satisfaire à la tâche qui nous importe ici. On souhaiterait qu’à la façon de la Bible, le cycle des poèmes du Graal dans sa totalité, puisse être lu par les « croyants » non pas tant comme un corpus que comme la « Bible du Saint Graal », et de la même manière qu’un Philon, un Origène, un Swedenborg, ont lu eux-mêmes la Bible. Beaucoup n’ont vu ou ne veulent voir aucun sens ésotérique dans la Bible. Cependant, de siècle en siècle, ce sens ésotérique, sous ses multiples aspects, s’est imposé à la lecture de ceux qui savaient lire. Le débat n’est pas à reprendre ici, d’autant plus qu’entre « ceux qui voient » et « ceux qui ne voient pas » le débat est sans issue. Une herméneutique du Graal, coordonnant et systématisant les données du corpus, d’un bout à l’autre, est encore une tâche à venir. Notre propos s’attache ici uniquement à l’Imago Templi. Sous quels aspects nous apparaît le Temple du Graal ?
Disons, pour simplifier, que c’est dans le corpus germanique de la « Bible du Graal » que du château du Graal, du Gralsburg, émerge en toute netteté la description du Temple. Dans ce corpus c’est le roi Titurel qui est le fondateur de la dynastie des gardiens du Graal. Le Temple sera son œuvre propre. Allusion a été faite ci-dessus au « Titurel » de Wolfram von Eschenbach. Dans le « Parzival » du même poète, c’est à l’occasion du baptême de Feirefis, le demi-frère païen de Parsifal, qu’est mentionné expressément le Temple du Graal. Jusque-là il ne s’agit encore que de la demeure, de la maison du Graal, le château-temple en quelque sorte. Et c’est seulement dans le « Nouveau Titurel » (Der Junge Titurel) d’Albrecht von Scharfenberg (entre 1260 et 1270) que l’Imago Templi surgit dans toute sa splendeur architecturale. (La grande épopée du « Nouveau Titurel » comporte 6 000 strophes de sept vers, soit 42 000 vers. Il n’en existe encore aucune traduction, pas même en allemand moderne). Là même le cycle du Graal se développe en une épopée du Temple, atteignant un sommet qui culmine entre le Temple de Salomon sur le mont Moriah et la Jérusalem céleste. C’est aussi toute la théologie et toute la spiritualité du Temple qui atteignent un de leurs sommets, sur les hauteurs de Mont-salvat, support de la hiérophanie qui est le Temple du Graal. C’est en effet toute une théologie du Temple qui se dégage des enseignements de Titurel, une théologie aussi complète que celle que nous avons trouvée à Qumrân et en d’autres lieux privilégiés.
Cette théologie s’achève en une eschatologie qui donne finalement tout son sens à la chevalerie des Templiers du Graal par rapport à celle des Templiers de l’histoire. Il y a la description du Temple ; il y a ses correspondances ; il y a enfin la théologie du Temple du Graal.
à venir …
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