Les origines sacrées de Rome : les jumeaux tutélaires et les Asvins

Janus, appelé « Biffrons » avec deux visages est le dieu qui garde les portes de Rome mais cette dualité en cache une autre, celle des cavaliers célestes qui protègent la cité. Ses origines sont néanmoins assez troubles, honoré par les Etrusques, sous le nom de « Culsans », mais également par les peuples du Latium et par les Samnites, on suppose qu’il aurait été introduit par le fondateur de la cité, Romulus, lui-même. Il devint dès lors, le « Dieu des dieux » (Deorum deus), consacré sous Numa Pompilius (753-673 av. J.C.) , deuxième roi de Rome qui lui érigea un temple sur le Forum.

En cas de guerre les portes restent ouvertes suite à une légende.

Les Romains attribuaient aussi à Janus, un concours des plus miraculeux durant la guerre qui les opposait au peuple italique des Sabins, peu après la fondation de la cité par Romulus en 753 av. J.-C.

le miracle des sources bouillantes dans la guerre contre les sabins

Tandis que les Sabins s’infiltraient dans la citadelle du Capitole, le mythe raconte que le dieu aurait créé une source d’eau bouillante provoquant ainsi la fuite des assaillants. Pour rendre hommage à cette intervention divine, l’on décida de toujours laisser ouvertes les portes du temple de Janus en temps de guerre. Il pouvait ainsi aisément en sortir pour porter secours à son peuple. Quand les combats cessaient, on en refermait les portes pour garantir une paix durable.

Arc de Janus, Rome. Contrairement à la plupart des arcs conservés de l’époque de Rome, c’est le seul arc de triomphe quadrifronnique conservé à Rome. Il a donc quatre entrées.

Dieu des transitions, des commencements et des passages, des entrées mais également des fins et des sorties, il bénit tout ce qui les symbolise. C’est donc très naturellement qu’on retrouve Janus au-dessus des « ianua », (avec un « i », le « j » n’existant pas en latin), les portes, auxquelles son nom est étymologiquement lié. Il monte la garde devant le seuil de chaque maison, mais également devant celui des villes, dont les entrées sont marquées par de grands arcs de pierre.

Il est ainsi désigné comme le « ianitor », à savoir le portier, le gardien des portes du ciel et de la terre. Pour cette raison, Janus dispose de deux attributs : un bâton à la main droite, et une clé à la main gauche, de quoi montrer la bonne direction à ceux qui partent et d’ouvrir à ceux qui viennent. Ainsi, le poète Martial (40 – 104) fit de Janus « l’ancêtre et le père des années ».  Un rôle qui fut consolidé dès 153 avant J.C., où à Rome, les magistrats de la République, les consuls, étaient investis de leurs fonctions aux Calendes de janvier. On adressait alors des prières à Janus, et les prêtres préparaient en son honneur un mélange d’épeautre et de sel ainsi que le « ianula », le gâteau d’orge traditionnel. Et comme il était le gardien des portes du ciel, on passait par lui pour accéder aux autres dieux. Dans son texte De Agri cultura, Caton l’Ancien raconte les honneurs qui lui étaient rendus par des offrandes effectuées avant la récolte, afin que celle-ci soit fructueuse. Des offrandes que l’on renouvelait également à chaque début d’année.

Pour la placer sous de bons augures, les Romains avaient ainsi pour habitude de se livrer à tout un cérémonial lié au culte de Janus. Les portes des maisons s’ornaient de branches de laurier, une plante toujours verte, des lanternes y étaient également suspendues. Présents, embrassades, vœux et salutations étaient échangés. Enfin du miel, des dattes et des figues sèches étaient distribués pour que la période qui s’ouvrait soit des plus douces, tout comme le don de pièces de monnaie venait garantir la prospérité de chacun.

Toutefois avant de rencontrer son destin exceptionnel Rome bénéficia selon les principes de la Tradition primordiale de l’aura des jumeaux célestes préfigurés par le couple Rémus et Romulus et connus ailleurs sous le nom des Asvins ou cavaliers célestes  (constellation du bélier). Qui sont-ils ?

Les cavaliers célestes ou Ashvins

L’universalité de la tradition romaine réside dans ce Janus biffron qui est l’unité dans la polarité : l’une des voies, dira Dante, conduit au Paradis terrestre et l’autre au Paradis céleste. Le nom secret de Rome, occulté au point médian de cette représentation divine, n’est autre que l’unification de ces deux voies et la résolution de ces deux formes traditionnelles sur l’axe unique de la tradition primordiale.

Entre les deux visages de Janus que sont respectivement l’Orient et l’Occident, Rome s’affirme comme intermédiaire sou­veraine depuis l’arrivée d’Enée sur le sol du Latium, arrivée que l’on peut considérer comme un transfert de la science sacrée de l’Orient à l’Occident. D’Enée à Romulus s’opère (à travers Albe), ce processus de fixation traditionnelle qui est unique dans sa démarche symbolique : que l’on se rappelle la Louve allaitant les Jumeaux (Remus-Romulus) sous le Ficus Rumines, arbre produisant des fruits et non des fleurs et qui est l’image de la sagesse sacrée assurant seule la possession de la vérité qui revêt deux aspects, clairement représentés par Romulus et Remus : le sacré et le profane, le divin et l’humain.

Janus, par son ambivalence, son aspect dualiste qui tend à créer un dédoublement dans l’espace et dans le temps tout en conservant son unicité première, ressemble à plus d’un titre par sa signification symbolique aux jumeaux divins : Castor et Pollux, essentiellement liés à la fortune de Rome.

Dioscures : Castor et Pollux

Les Dioscures

Il est bon de rappeler tout d’abord leur origine qui révèle la signification profonde du symbolisme qui leur est rattaché.

Leda et le cygne, Salvador Dali

Les Dioscures sont les fils de Léda. Mais, alors que Castor avait pour père Tyndare, un mortel, Pollux était l’enfant de Zeus ; ils étaient les frères de Clytemnestre et d’Hélène. Joël Schmidt souligne que « leurs existences inséparables, leur affection fra­ternelle, sont attestées non seulement par les récits de leurs aventures, mais aussi les œuvres d’art qui les représentent la main dans la main et souvent leurs deux profils superposés dans une médaille. Ils ne se quittèrent en effet jamais, et participèrent à toutes les grandes actions légendaires ».

Natifs de Sparte, Castor et Pollux prirent part à la chasse de Calydon, à l’expédition des Argonautes, et fondèrent en Colchide la ville de Dioscurias : le navire Argo étant battu par la tempête, Orphée fit un voeu aux divinités de Samothrace ; on vit paraître alors des flammes au-dessus de la tête des Dioscures qui personnifiaient le feu Saint-Elme. Ils combat­tirent les pirates de l’archipel, allèrent en Attique pour ramener leur sœur Hélène enlevée par Thésée.

Invités aux noces des filles de Leucippe, Phoebé et Télaïre, ils enlevèrent les deux jeunes filles et durent livrer combat à leurs fiancés Idas et Lyncée : Castor fut tué par Lyncée, Pollux voulut partager avec Castor son immortalité. Avec la per­mission de Zeus, les deux frères passèrent alternativement six mois sur terre et six mois aux enfers. Finalement, transportés au ciel, ils devinrent la constellation des Gémeaux.

Leur culte se répandit dans tous les pays grecs, surtout chez les Achéens et les Doriens. Ils étaient les dieux de l’hospitalité, des jeux gymniques, de la longévité, de la navigation (on les confondit souvent avec les Cabires). Ils combattirent pour les Romains à la bataille du lac Résille et, le même jour, annon­cèrent la victoire sur le Forum, où on leur éleva un temple : des ruines en subsistent. On leur prêtait la forme de jeunes gens vêtus d’une tunique blanche et d’un manteau de pourpre, avec un casque étoilé et une lance. Leurs statues gigantesques se dressent à Rome devant le Quirinal. Ils sont à rapprocher des Ashvins de l’Inde

Héros tutélaires de Rome qu’ils protègent par leur présence symbolique, les Dioscures représentent l’aspect double de l’ini­tiation à la fois humaine et divine. Pollux symbolise le côté divin puisqu’il est fils de Zeus, le maître de la foudre, qui séduisit Léda en prenant l’apparence d’un cygne. Le fils de Jupi­ter (Zeus) est donc à la fois gardien de l’initiation double : sacerdotale et royale, réunie dans la caste des « Chevaliers du cygne » de la tradition primordiale. Castor symbolise le côté guerrier, « humain », associé à la divinité par le pacte initia­tique et le lien du sang représenté par la mère : Léda.

Tous deux sont des héros martiaux portant les insignes de leur caste : le glaive et la lance. Revêtus du manteau royal, ils sont souvent représentés tenant en bride ou montant un cheval, ce qui accentue leur caractère chevaleresque. Les calottes coniques qu’ils portent sur la tête peuvent symboliser les deux par­ties de l’œuf d’or dont ils sont nés mais aussi les deux calottes polaires qui soulignent leur destinée suprahumaine liée au monde stellaire (constellation des Gémeaux).

Leurs attributs les plus importants sont en rapport avec la maîtrise du feu, qu’il s’agisse de l’éveil intérieur de la flamme initiatique ou de la manifestation du feu Saint-Elme (foudre) connu des marins (culte des Nautes). Un rapprochement peut être opéré ici avec les Templiers (chevaliers montant un même cheval) et les saints patrons du compagnonnage : Saint-Gervais et Saint-Protais (églises de Paris et de Gisors) qui sont des héros jumeaux. Traditionnellement, il y a trois voies initiatiques pour parvenir à l’éveil spirituel. Les Gémeaux, jumeaux ou Dioscures, représentent la voie guerrière qui est celle des Kshatryas de l’Inde et celle de Rome, puissance impériale et militaire. La Fortune n’abandonnera jamais la Ville éternelle tant que les statues des Dioscures resteront debout, dit une tradition romaine toujours vivace.

La gémellité au fondement des civilisations : le combat des frères

Les jumeaux divins : on trouve par exemple, en Inde, les Aśvin ou Nāsatya, avec Nakula et Sahadeva, leurs projections épiques du Mahābhārata ; en Grèce, Castor et Pollux, les Dioscures, particulièrement importants, mais aussi des personnages comme Héraclès et Iphiclès, Atrée et Thyeste, Calaïs et Zétès, Acrisios et Proétos, Autolycos et Philammon, Télédamos et Pélops II, Pélias et Nélée, Éole et Boéotos, Agénor et Bélos, Lycastos et Parrhasios, Pégase et Chrysaor, Amphion et Zétos, Eurysthénès et Proclès, Eurytos et Ctéatos (les Molionides), Otos et Éphialte (les Aloades ou Aloïdes, nés de Poséidon et d’Iphimédée) parmi d’autres ; chez les Germains (Goths), les Alcis, rendus en grec Raos et Raptos ; chez les Ossètes, Æxsært et Æxsærtstæg ; chez les Lettons, les Dieva dēi ; chez les Siciliens, les Paliques, etc.

Romulus et Rémus représentent une adaptation romaine du motif gémellaire, très répandu dans la mythologie, l’épopée ou le folklore de nombreux peuples. À l’intérieur du cadre mythique, le signe gémellaire peut être interprété comme un des « critères d’élection qualifiant un héros voué à œuvrer au bénéfice d’une communauté donnée ». En d’autres termes, la gémellité marque davantage encore la qualité de héros des personnages en cause, il le « surdétermine », pourrait-on dire. Dans ce sens, l’existence même de jumeaux est un signe privilégié d’élection divine.

Dans le cas de Romulus et de Rémus, la gémellité comme telle ne pose donc pas de problème : les jumeaux romains feraient partie intégrante du noyau primitif de la tradition ; ils seraient dans le récit aussi anciens que les motifs concernant leur filiation divine, ou leur exposition, ou leur sauvetage miraculeux par un animal, ou encore leur enfance passée avec des bergers dans la nature. Ils appartiendraient au même ordre mythique.

à suivre dans mon livre à paraitre en janvier 2024.


En savoir plus sur Toison d'Or

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.