Templiers et ismaéliens : gnose du Baphomet

Robert de Craon, Grand Maitre. Son père est le fondateur de l’abbaye de la Roë en Anjou. Parmi les chanoines il y eut Robert d’Arbrissel qui fonda l’Ordre double de Fontevraud à l’origine d’une mystique érotique connue sous le nom de sineisaktisme. Ce sera les débuts de ce que l’on va connaitre sous le nom d’amour courtois. Puis toujours dans le voisinage de Robert de Craon Bernard de Tiron qui fonda l’abbaye de Kilwinning en écosse à la demande de David Ier roi d’Écosse : un seul et même fil conducteur que nous avons  éclairci dans notre dernier ouvrage qui sera suivi d’un troisième opus.

Tenir les fils de la Tradition, tous les fils et c’est ce que je m’efforce de faire. Johan Dreue

En 1818, le nom de Baphomet apparaît dans l’essai de l’orientaliste viennois Joseph Freiherr von Hammer-Purgstall, Mysterium Baphometis revelatum, seu Fratres Militiæ Templi, qua Gnostici et quidem Ophiani, Apostasiæ, Idoloduliæ et Impuritatis convicti, per ipsa eorum Monumenta (« Découverte du mystère de Baphomet, par lequel les Templiers, comme les Gnostiques et les Ophites, se sont rendus coupables d’une violation de la loi sur les droits de l’homme »).

nous publierons prochainement une monographie d’Emile Burnouf sur ce coffret avec un éclairage nouveau.

Le Baphomet d’Essarois

Peu d’archéologues de nos jours ont lu le mémoire singulier que Hammer inséra, en 1818, dans le tome VI des Fundgruben des Orients, sous le titre de Mysterium Baphometis revelatum. Dans ce mémoire étaient publiées des « idoles en bronze, tirées des collections de Vienne et de Weimar, qui, suivant Hammer, avaient appartenu aux Templiers. Ces « idoles », dont la provenance est d’ailleurs inconnue et l’authenticité suspecte, portent des inscriptions latines, grecques et arabes. Les textes grecs et latins sont insignifiants ; le texte arabe, toujours le même, est inintelligible. En général, il ne parait qu’en abrégé ; mais il s’en trouve une formule plus complète sur une grande urne de marbre, où l’on voit une figure cornue, barbue et hermaphrodite, toute nue, tenant de la main gauche étendue une croix ansée suspendue à un anneau et montrant de la main droite une grande feuille de parchemin suspendue ou sont tracés des caractères arabes. En multipliant les corrections et les hypothèses les plus arbitraires, Hammer crut être parvenu à en tirer un sens, qu’il rendit comme il suit en latin : Exaltetur (ou omnipotens) Mete germinans, stirps nostra ego et septem fuere. Tu es unus renegantium. Reditus cryptos. Mete serait une divinité gnostique, d’où Baphomet, l’idole des Templiers (bapho métous); les derniers mots seraient une confirmation de l’accusation infâme que la scélératesse de Philippe le Bel et de ses complices lança contre les Templiers pour les perdre et dont l’injustice a été démontrée, avec une force d’argumentation décisive, par l’historien américain Ch. Henry Lea

le baphomet figurant sur le couvercle du coffret. Couvercle. — Une femme debout, nue, avec sexe accusé et seins pendants, un manteau sur les épaules, la tête couverte d’un fichu que surmonte une couronne à trois tours, est debout, les jambes écartées, tenant de la main gauche un sceptre noueux qui se termine à sa base par un croissant, à la partie supérieure par un disque radié (solaire) avec l’indication de traits humains — de la main droite un sceptre analogue dont la partie supérieure offre l’aspect d’une grosse bague ornée, à l’intérieur, d’un profil humain (symbole lunaire). A gauche, au-dessous, une étoile à sept rayons, formant un polygone de quatorze côtés; au milieu, une tête de mort ; à droite, un pentagramme. A droite, à gauche, au-dessus et au-dessous de la figure courre une inscription arabe.

Sept ans après, en 1825, le duc de Blacas-d’Aulps envoya à Hammer les lithographies de deux coffrets en pierre, dont l’un avait été découvert à Essarois, dans la Côte-d’Or, près de Voulaine, siège d’une commanderie de Templiers, l’autre en Italie à Volterre. Le couvercle du premier de ces coffrets est décoré d’une figure en relief nue, de sexe féminin, qui présente une analogie lointaine avec celle du vase de marbre publié par Hammer et est entourée d’inscriptions arabes également inintelligibles. Hammer déclara que ces coffrets avaient servi aux Templiers dans la célébration de leurs mystères et publia à Paris, en 1832, aux frais du duc de Blacas, une brochure intitulée : Mémoire sur deux cof­frets gnostiques du moyen âge, du cabinet de M. le duc de Blacas. En 1852 et en 1853, Mignard, membre de l’Académie de Dijon, renchérit sur l’extravagance de Hammer dans deux in-4° intitulés : Monographie du coffret de M. le duc de Blacas (Paris, 1852), et Suite de la monographie du coffret de N. le duc de Blacas (Paris, 1853). Ces écrits étaient surtout consacrés au coffret d’Essarois qui, affectant la forme d’un petit cercueil, avait été découvert près de la forêt de ce nom; Mignard affirmait qu’on y trouvait encore de son temps de nombreuses bornes portant la croix des Templiers. Les lithogra­phies qui accompagnent le premier mémoire sont iden­tiques à celles de la brochure de Hammer, qui n’avait pas été mise dans le commerce, mais distribuée par le duc de Blacas à ses amis.

le coffret tel qu’on peut le voir aujourd’hui

Hammer revint encore sur cet objet en 1855, dans le tome VI des Denkschriften de l’Académie de Vienne, et admit, avec quelques modifications, les lectures ébou­riffantes des inscriptions que Mignard devait à un arabisant » de ses amis. Puis, le silence se fit. En 1866, la collection du duc de Blacas fut acquise par le Musée Britannique et les deux coffrets de pierre y turent conservés plutôt qu’exposés pendant quarante ans. En 1869, M. Loiseleur lut une note à leur sujet devant l’Académie des Inscriptions de Paris et nia que les coffrets d’Essarois et de Volterre eussent quelque rap­port avec le culte des Templiers; il y voyait cependant des monuments gnostiques et ophitiques, remontant au XIVe siècle et peut être dûs à des sectaires Druses. M. Loiseleur savait seulement que ces coffrets étaient sortis de France; il n’indiquait pas où ils étaient conser­vés. Lorsque M. Ernest Pfeiffer publia, en 1897, un long mémoire à leur sujet, il ignorait où étaient pas­sés les originaux et ne put que reproduire les gravures données par Hammer et Mignard. « J’étais moi-même peu renseigné, sachant pourtant que le Musée de Dijon conservait un moulage d’un des coffrets et pensant qu’à cause de leur caractère scabreux ils étaient relégués dans les magasins du Musée Britannique, où je ne les avais jamais aperçus. J’écrivis à cet établissement vers 1898 pour savoir ce qu’étaient devenus les coffrets ; mais il paraît que ma lettre n’était pas claire, car l’on me répondit qu’on n’en savait rien. Enfin, en 1902, M. Dalton ayant publié le Catalogue des antiquités chré­tiennes du Musée Britannique, je lus dans l’Athenaeum une critique de cet excellent ouvrage, où l’on exprimait le regret que les deux coffrets Blacas, « longtemps exposés près des statuettes d’argent représentant des villes », n’eussent pas été compris dans la publication. Là-dessus, j’écrivis à feu M. Murray qui, avec son obligeance ordinaire, voulut bien me permettre de faire photographier les coffrets. Les images que j’en donne permettront, à l’avenir, de vérifier les lithographies un peu interprétées qui ont été publiées par MM. de Hammer, Mignard, Loiseleur et Pfeiffer. Le coffret d’Essarois est pourvu d’un couvercle; il a 0,25 m de long, 0,19 de large et 0,16 de haut. Celui de Volterre n’a pas de couvercle; ses dimensions sont 0,18,  0,16 et 0,13. »

à suivre : les templiers et les ismaéliens

Nicolas-Guy Brenet (1728-1792). « Saint Louis recevant les ambassadeurs de la secte des Assassins, ou du vieux de la montagne ». Paris, musée Carnavalet.
Qui sont les ismaéliens ?

Les origines des Nizârites remontent au schisme originel de l’islam en l’an 632 de notre ère, lorsque la succession du prophète Mahomet a divisé la communauté musulmane en Chiites et Sunnites. Puis, au IXe siècle, un autre désaccord a éclaté parmi les Chiites. Les adeptes d’Ismaël, prophète de l’islam et patriarche biblique, ont formé la communauté chiite ismaélienne.

Hassan ibn al-Sabbah

En 1095, du temps des templiers, Nizar, un prince ismaélien, devait assurer la gouvernance du Caire. Lorsqu’on lui a préféré son frère cadet, Nizar s’est brièvement emparé d’Alexandrie, avant d’être exécuté. Ses partisans ont fui en Perse, où ils ont fondé leur propre branche de l’ismaélisme et établi leur propre ligne de succession. Le missionnaire ismaélien Hassan ibn al-Sabbah est devenu leur chef.

Dépeints comme des hérétiques décadents, les Nizârites étaient détestés par les musulmans chiites et sunnites. En infériorité numérique et entouré d’ennemis de toutes parts, l’État nizârite, assiégé, a fait ce qu’il fallait pour survivre. La secte a créé des bastions dans les montagnes perses et syriennes et a formé un petit groupe de combattants appelés fedayins, ou « ceux qui se sacrifient ». Les fedayins étaient connus pour leur dévouement total, qui allait jusqu’à la mort. Ils formèrent une secte, la secte des ashashins …

« Ceux qui prennent les Assassins pour des musulmans fanatiques, farouchement opposés à toute alliance avec les « infidèles », devraient se rappeler qu’aux yeux des disciples du Vieux de la Montagne, lui seul avait raison et que les Sarrasins, menant la Guerre sainte pour Allah contre les Croisés, ne valaient pas mieux que tous ceux qui ne suivaient pas la doctrine ismaélienne. » (Arkon Daraul, Les Sociétés secrètes)

Les Ismaéliens d’Hasan Sabbâh et les Druses ou Druzes avaient pris effectivement, eux aussi, comme les Templiers, le nom de « gardiens de la Terre sainte ». Le symbolisme de la Terre sainte est présent chez tous les peuples où était établi un centre spirituel avant pour eux un rôle comparable à celui du temple de Jérusalem pour les Hébreux ; et il ne s’agirait ici que d’images d’un même centre suprême et unique, qui seul est vraiment le « centre du monde ». René Alleau remarque à ce propos que, quelles que soient les réserves que puissent faire les historiens à une thèse semblable, elle met en valeur « une unité doctrinale probable entre des communautés qui vivaient en fonction d’un même idéal chevaleresque, dans un même milieu extérieur, dans une même discipline intérieure, faite de courage, d’humilité et de renoncement aux biens personnels. »

« Déjà chez Wolfram von Eschenbach, l’idéal chevaleresque réunissait les chevaliers d’Orient et d’Occident dans une même chevalerie. Eschatologiquement, c’est toute l’humanité que le service du Graal doit réunir dans le Temple de Titurel. Le mystère de la Pentecôte, c’est au Temple du Graal l’eschatologie réalisée. »

Il faut souligner que Hasan Sabbâh fut vraiment le prototype mystique du « guide » divin identifié avec le chef de l’ordre chevaleresque, et que le phénomène de l’ismaélisme réformé d’Alamût éclaire certains aspects mystiques de la chevalerie orientale et occidentale, aussi bien que de l’Ordre du Temple. C’est René Alleau qui écrit : «l’élévation spirituelle de l’imâmologie, même elle présente d’évidents rapports avec la christologie, ou, du moins, avec une certaine interprétation christologique (ce qui suffit, d’ailleurs, expliquer certaines analogies entre la chevalerie chrétienne et la chevalerie ismaélienne), aboutit non seulement à une adoration du  « Guide », mais aussi à une politique et à une morale de maîtres. Ceux-ci demeurent inévitablement séparés par leur initiation mystique de ceux qui resteront des « inconscients », des ignorants et des « esclaves » c’est-à-dire de l’immense majorité des autres hommes, taillables corvéables à merci, par l’Imam, émanation de Dieu, omniscient infaillible, et par ses « Dévoués ».  B. Bouthoul écrit : « La secte ismaélienne est la seule organisation humaine qui osa ouvertement créer dans son sein deux mondes avec une religion et une morale distinctes : le monde de esclaves ignorants et celui des maîtres. Une hiérarchie soigneusement graduée était établie entre eux : à mesure qu’on avançait dans les degrés de la science, on gagnait parallèlement la liberté. Cette secte n’était ai début qu’un parti extrême, à tendance théocratique, du chiisme. »

Un passage des Instructions aux Daïs – Daïs correspond au sixième degré de l’ordre secret – dit : « N’engagez point les hommes de cette classe à renoncer à leur culte, au Dieu qu’ils ont coutume d’adorer, à la religion qu’ils professent… Brisez-les à force de les charger de prières, et si, après les avoir ainsi gagnés, vous leur faites donner tout ce qu’ils ont de plus précieux, ils ne résisteront à aucune de vos volontés… Si la mort vient les surprendre, ils vous feront leurs héritiers… »

Ce qui paraît également digne d’intérêt dans l’ismaélisme, est cette sorte de Confrérie au-dessus des États, de société occulte, qui a tous les caractéristiques d’un compagnonnage militant, avec ses degrés d’initiation. Le but de l’Ordre templier est quelque chose de très semblable : comme l’a écrit Victor-Émile Michelet, « l’idée du Temple, plus haute et plus générale que celle même de l’Eglise, planait en quelque sorte par-dessus toute religion. L’Église datait, et le Temple ne datait pas. Contemporain de tous les âges, c’était comme un symbole de la perpétuité religieuse. L’Église est la maison du Christ, le Temple celle du Saint-Esprit. »

la suite du Verbe architecte…

C’est René Alleau (encore) qui écrivait qu’il est assez évident que, dans ces conditions, « l’hermétisme a joué le rôle d’une grande importance dans les relations philosophiques et scientifiques entre l’Islam et la chrétienté, notamment dès l’époque des Croisades. Grâce à des doctrines ésotériques et à des pratiques magico-mystiques qui procédaient des mêmes sources antiques néo-alexandrines, les penseurs chrétiens et musulmans pouvaient trouver un langage traditionnel commun, au-delà ou en deçà de leurs divisions religieuses. Mais comme, d’autre part, dans l’Islam comme dans la chrétienté ces connaissances avaient été vivement combattues et critiquées par les théologiens orthodoxes, elles devaient être cachées afin de soustraire leurs adeptes aux sanctions graves qui frappent les hérétiques. «On comprend ainsi pourquoi deux ordres religieux qui comptaient dans leurs rangs non seulement des guerriers, mais aussi des philosophes et des savants, l’Ordre du Temple et la secte ismaélienne fondée par Hasan Sabbâh, « le Vieux de la Montagne », pouvaient présenter entre eux des ressemblances remarquables quant à leur organisation intérieure et, peut-être, en ce qui concerne leurs doctrines secrètes. » Et il conclut : « Si malgré les nombreux travaux auxquels se sont livrés les historiens, le problème d’un enseignement ésotérique dispensé par l’Ordre du Temple aux chevaliers initiés n’a pas encore été résolu de façon incontestable, il n’en demeure pas moins que l’époque et les circonstances qui virent la formation, l’apogée et le declin de la chevalerie templière peuvent donner quelque vraisemblance à l’hypothèse de la persistance d’une tradition hermétique commune à des initiés musulmans et chrétiens. »

idole baphométique

en conclusion de ce bref aperçu, ce coffret montre les liens indéniables qui reliaient les templiers aux ismaéliens et comment ils ont emprunté à leur culte l’androgynisme (la femme barbue) qu’ils pratiquaient dans leur culte secret. Par ailleurs la tête ou idole qui circulait et sur laquelle il fallait cracher à trois reprises n’était autre que le rappel du reniement de Saint Pierre qui reniera le Christ par trois fois avant que le coq ne salue l’aube.