L’île Sainte du sacerdoce primitif : du mythe d’Eridu à l’île ombreuse (Scandinavia)

Enki es le dieu des eaux souterraines, il es représenté tenant un petit manier de pécheurs, une nasse ou filet bien connue des amateurs de la pèche à la ligne

Ce que signifie l’encerclement de la terre par l’Océan.

Nul n’ignore que les anciens se représentaient la terre comme encerclée par l’Océan, dont les eaux la pénétraient de toutes parts. Nous sourions de cet enfantillage, parce que nous croyons à un système cosmogonique. Si tel était le cas, l’on se demande comment les hommes d’autrefois n’en auraient jamais eu l’idée. C’est une conception mystique et initiatique, une conception d’origine sacerdotale, qui est en cause. Il ne s’agit pas de dessiner la forme spatio-temporelle de la terre et de l’eau : en quoi cette apparence phénoménale importe-t-elle? Ce qui seul compte, ici comme pour le signe cruciforme, étudié dans l’Origine et l’Œuvre du Sacerdoce Primitif, c’est de rappeler les relations du monde physique avec l’énergie dynamique; c’est de montrer que des êtres sacrosaints, domiciliés au loin, dans les brumes de la mer, maintiennent le contact avec la surnature, et que, partout, grâce à l’eau, les hommes peuvent, en les rejoignant, se sacraliser. L’océan entourant la terre : c’était, comme la croix, une figuration trans­cendante, qui exprimait clairement à tous les yeux la sain­teté du monde, et qui, de ce chef, acquit une valeur apotropaïque. Plus tard, conformément à la règle générale, cette représentation sacrosainte glissa vers le domaine profane et devint source de vues cosmogoniques. Mais ce point d’aboutissement ne saurait être confondu avec le point de départ.

L’océan et l’eau douce. La conception chaldéenne de l’Apsû.

Il advint fréquemment que la salure de la mer fut envi­sagée par l’antiquité comme attribuable à un poison déversé dans l’eau lors de la fabrication de l’aliment d’im­mortalité. L’eau douce fut alors tenue pour l’eau de la vie immortelle, due aux dieux de l’océan; ce fut elle la première ambroisie. Ainsi se concrétisa d’une manière frappante l’œuvre de la Terre pure nordique.

Cette conception est sans doute la plus ancienne entre toutes celles qui nous sont parvenues au sujet de l’océan. C’est e effet celle qui avait cours, depuis l’origine de la ville, à Eridu, la plus vieille des cités mésopotamiennes. Le dieu d’Eridu était E-a (= maison de l’eau), identique, nous l’avons vu, à En-ki (= le maître de la Terre); cette identification prouve que le Maître de la terre, ou « Roi du Monde », habitait primitivement la « Maison de l’Eau ». Le temple d’Eridu portait au surplus le nom d’E-abzu (= Maison d’Apsû). E. Dhorme fournit sur ce point les précisions ci-après (Les Religions de Babylone et d’Assyrie, 1945, p. 32) : « La confrontation des textes où apparaît l’Apsû permet de conclure que les Sumériens et les Accadiens imaginaient sous notre sol, aux abords de la terre médiane dont nous avons parlé ci-dessus (terre située entre le domaine d’Enlil, ou Grande Montagne, et le monde souterrain), une grande nappe d’eau douce qui était comme le réservoir d’où jaillissaient, les sources des rivières et des fleuves. Cette eau, sur laquelle flotte notre terre, dépasse l’horizon et forme un cercle analogue au fleuve Océan des Grecs. Pour désigner les confins de la terre, les Hébreux se serviront du mot apsêy _ (pluriel construit de éphès), dérivé d’Apsû. Les temples de Sumer et d’Akkad seront dotés d’une réduction; en miniature, de ce récep­tacle des eaux douces. Ce sera aussi l’apsû. Il jouera, dans le culte, un rôle analogue à la Mer d’Airain du temple de Jérusalem. D’après l’épopée de la création (Enuma elish), c’est par droit de conquête que le dieu Ea, dédou­blement d’Enki, est devenu le dieu des eaux. A l’origine sont confondus Apsû, l’élément mâle, qui représente les eaux douces, et Tiamat, l’élément femelle, qui person­nifie les eaux salées, la mer (en akkadien tiamtu, tamtu). Par sa magie, le dieu Ea réussit à endormir Apsû, lui brise les muscles, lui arrache sa couronne, l’enchaîne, le tue. Il fonde alors sa propre demeure sur l’Apsû, au sein duquel naîtra le démiurge. »

On voit par-là que l’image du monde, propre aux tout premiers Sumériens, était foncièrement la même que celle des Grecs. Pour le demeurant, l’union entre Apsû et Tiamat, que brise Ea d’après le poème de la création, se réfère, selon toute vraisemblance, au grand rite de séparation : l’accouplement primordial, au lieu d’être accompli par un homme et une femme nommés Ciel et Terre, l’était par des officiants appelés Apsû et Tiamat, désignation qui n’offrait rien que de normal dans les facies culturels maritimes. Ce que l’Enuma elish place en relief, ce sont les pouvoirs « magiques » d’Ea : celui-ci ignore l’empri­sonnement temporel et spatial; il atteint directement et instantanément l’essence des êtres et des choses : telles furent toujours, nous l’avons dit, les caractéristiques des surhommes de l’Ile sacrée; leur puissance psychique ressort partout au premier plan; c’est celle que possèdent Nérée et Protée, ancêtres éminents des yogin et des fakirs. Nous avons par là, dans cet antique scénario, la première dramaturgie relative à l’ambroisie; nous assistons à la lutte contre le dragon (Tiamat, la mer, deviendra, à Baby­lone, le « dragon de Bel », dont triomphera Mardouk); nous assistons également au grand combat contre l’initia­teur (Apsû), qui permet à Ea de s’identifier avec le mana de l’eau douce, et de siéger en souverain au milieu de l’océan ; nous contemplons la force transcendante du Maître de Terre, force grâce à laquelle il pourra recréer les hommes et se transformer en démiurge. Peu de mythes anciens sont aussi révélateurs et présentent semblable portée historique.

Relevons au passage que les bénitiers de nos églises ont, dans l’apsû de Babylone et dans la Mer d’Airain de Jérusalem, d’illustres antécédents. Mais notre eau bénite, devenue si insignifiante, peut-elle se comparer à l’apsû, à l’eau divine, à l’eau de l’immortalité? La Genèse nous montre, tout à l’origine, l’Esprit de Dieu planant sur l’abîme des eaux, c’est-à-dire sur tehôm (le même mot que Tiamat). Nous saisissons ainsi l’exceptionnelle signification initiale de l’apsû, en tant que récipient de l’eau sacrée. Nous entre­voyons, en outre, par une voie nouvelle, l’importance primitive de l’océan, et de la Demeure au milieu des eaux, comme source de la vie religieuse dans l’humanité

Jean Malaurie : l’homme qui fit renaitre l’Atlantide, Ultima Thulé

« Cet espace nordique a un nom: Thulé. Thulé- Tele : loin; Thu-al : Nord (Celte); Tholos ou Tolos : brouillard (grec); Tula: balance (sanscrit); Tulor mexicaine est dans la tradition ésotérique, la Terre lointaine, l’Ile blanche, le Pôle des lumières, le Sanctuaire du Monde. Thulé, baie de l’Étoile Polaire, est à l’aplomb du Pôle céleste. Telle Jérusalem, pôle judéo-chrétien ou La Mecque, avec la Kaaba, pôle de l’Islam, Thulé est le pôle des hyperboréens.

En 1714, un anonyme décrit un voyage le conduisant du Pôle Nord au Pôle Sud par l’intérieur de la Terre :  » Aux abords du Pôle, on observe beaucoup d’oiseaux à bec rouge. Au Pôle, un gouffre d’eau, un  » grand tournant d’eau « . Nous approchant toujours du centre, nous reconnaissons que cette île prétendue n’était qu’une haute écume sur les eaux se précipitant et s’engouffrant dans cet abîme, formée sur la superficie « .

Brève histoire du Pôle et ses rapports avec la Tradition

Au XVIIè siècle, le Pôle Nord était souvent apprécié comme un gouffre d’eau où viennent confluer et disparaître à l’intérieur de la terre les eaux de la mer; mais aussi comme un lieu de renaissance et de mort. Au XIXe siècle, la géographie savante, notamment le célèbre géographe allemand Augustus Petermann, considérait que le Pôle Nord était – scientifiquement – une mer  » libre de glace « , route de la Chine. Un des grands explorateurs américains de l’époque – . Hayes – a même écrit, au retour de son exploration du Nord du Groenland, en 1862, un ouvrage intitulé:  » La mer libre du Pôle « 

Au XIXè siècle, les Romantiques (Bernardin de Saint Pierre) évoquent l’axis mundi comme une véritable Arcadie, Jules Verne, un volcan d’où sort l’aurore boréale, Edgar Poe, une eau de naissance et de mort, Lovecraft, l’ Atlantide, un pont jeté entre terre et ciel.

Second pôle: le Pôle magnétique qui a hanté les navigateurs. Troisième pôle, le plus essentiel: le Pôle céleste. L’Étoile polaire ~ référence de tous les navigateurs – est considérée comme le centre absolu autour duquel tourne le ciel; c’est le pôle de l’univers. Pour les Lapons, il est le  » pilier « , le  » moyeu  » du monde. Pour les Yakoutes, le nombril du ciel. Dans de nombreuses populations altaïques, l’autel est tourné vers l’Étoile polaire. Selon la tradition islamique, l’Étoile polaire et la Kaaba enfin sont reliées. Dans la tradition chrétienne, c’est une étoile qui a guidé les Mages vers le Fils de Dieu.

Jean Malaurie, explorateur et président de plusieurs instituts consacrés au Pôle Nord; l est grand officier de la Légion d’honneur, titulaire de la Grande Médaille d’Or de la Ville de Saint-Pétersbourg, de la Médaille d’Or de la Royal Geographical Society de Londres, décernée par la reine, de la médaille de l’Ours, haute distinction du gouvernement du Groenland, de la Mungo Park Medal, remise en 2005 par The Royal Scottish Geographic Society ainsi que de nombreuses autres distinctions étrangères.

« Les clés sont à rechercher sans doute ailleurs et une sémiologie des symboliques reste à décrypter dans le cadre d’une histoire globale. On ne manquera pas de noter que cette vision de l’écoulement du temps est contraire à l’idée occidentale de Progrès; la notion de Paradis perdu, do Age d’or au Pôle, de peuple primordial anté-diluvien présuppose qu’une humanité primordiale vivait au nord, dans l’hyperborée, qu’elle y vivait en symbiose avec la Nature et les Dieux. Voilà bien une notion d’écoulement du temps historique radicalement contraire à notre logique puisqu’elle repose sur l’idée que les peuples, en allant du nord au sud, vivent avec un avenir qui est déjà vécu.

Rappellerai-je le mythe lapon ? Il y a longtemps, longtemps, l’homme vivait en alliance avec les animaux et la Nature. Mais l’homme s’est affirmé homme et a eu la funeste idée de conquérir le feu. Alors l’Animal, la Nature épouvantée ont fuit l’homme, car il avait, par cette connaissance, ruiné l’antique alliance. C’est retrouver le mythe de Chronos, dieu de l’âge d’or. Il parvint, on le sait, à maintenir l’équilibre en dévorant tous ses enfants issus de Rhéa, fille de la Terre et du Ciel. Zeus survécut, caché par sa mère dans une caverne. Les grands équilibres furent de ce fait perdus. Et c’est Zeus luttant contre les dieux nouveaux, qui punit Prométhée, voleur du feu céleste et dont l’invention dite  » de progrès  » a rompu définitivement Il est singulier que les Esquimaux du nord du Groenland auquel les Occidentaux ont voulu donner un destin en dénommant leur capitale Thulé, aient avec sagesse repris l’ancien nom de Qaanaaq et placé leur histoire sous la protection de leur dieu tutélaire: l’extraordinaire dent de narval, cette  » licorne de mer  » – narval antique – qui se reproduit tous les trois ans dans ces eaux arctiques de Thulé. Licorne: symbole de pureté, associé à la lune ? Elle est au Moyen Age associée à la Sainte-Vierge. Pour Saint Bonaventure, elle est  » arbre de vie « . Elle vit, assure la tradition, chez le Prêtre Jean, à l’entrée du Paradis.

Dans la période troublée et menaçante que nous vivons, il n’est pas douteux que la conscience populaire accorde toujours à l’axe de la Terre, l’un des trois pôles Nord, un pouvoir d’équilibre. Porte du ciel, l’Étoile polaire est par ailleurs et selon la mythologie la plus sacrée, le siège de l’Etre divin, le trône du Dieu Suprême. Quaesivit arcana Polividet Dei. L’alliance antique entre l’homme et les dieux. »

JEAN MALAURIE. Centre d’études arctiques.

(à suivre, article en cours ….)

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