Aux origines de Gorgone : le mariage entre les filles des hommes et les fils de Dieu

Gorgone

La Tradition primordiale est unique et universelle.  Elle a néanmoins une histoire (paléolithique)  et un lieu d’origine, les cercles arctiques.

La Genèse atteste (XI, 1) qu’à une certaine époque qu’on peut fixer à la fin du paléolithique, « toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots ». Cette indication, de toute évidence, se rapporte à une langue sacrée, à une langue liturgique, à une langue des clercs, liée aux rites initiatiques, et se propageant avec les disciplines transformantes. De cette langue lointaine, il ne subsiste plus que des débris. Mais son existence permet d’entendre diverses rencontres linguistiques qu’explique malaisément le hasard, par exemple la ressemblance de l’hébreu ou du grec avec des dialectes de l’Amérique précolombienne; elle rend compte également de ces idéogrammes, qui s’aperçoivent, sous forme de pétroglyphes, en Scandinavie, en Crète, à Chypre, en Russie, en Sibérie, en Mandchourie, en Corée, dans l’Inde, en Afrique du Sud, en Algérie, dans la jungle brésilienne, en Colombie, etc…

La Tradition primordiale ne repose pas sur des symboles mais sur des formulaires qui sont l’équivalent du code génétique pour les espèces vivantes : toutes les formes du vivant sont issues du même code génétique, il en est de même pour l’ensemble des mythes ou formes archétypale de la pensée. Ce qui compte ce sont les structures qui s’assemblent et se décomposent en sous structures pour en former d’autres nouvelles. Tout comme le code génétique dans son expression et transmission.

KRK – GRG

Le thème verbal KRN et ceux qui s’y rattachent faisaient très vraisemblablement partie de cette langue sacrée, conçue et diffusée par la seconde théocratie. Les désignations KR,KRK, NRK, GR, GRG, etc…, que nous étudions ici, ne sont donc point entièrement accidentelles. L’apparentement verbal des Grées et des Gorgones à Phorkys traduit un apparentement ontologique et historique. Les femmes saintes de l’Hélicon — les Muses — qui ont instruit Hésiode, ne s’exprimaient point à la légère. Elles prononçaient des syllabes délibérément choisies, apprises avec soin, et retenues avec scrupule. Nous pouvons dès lors considérer notre mot ogre comme procédant directement du vocable qui exprimait, il y a des millénaires, l’idée fondamentale du rituel initiatique, et notre nom français Gargantua, formé de la racine GRG, comme dérivant en droite ligne du terme sacré qui désignait l’une des hypostases de l’ogre.

Les Grées

Les Grées au nombre de trois étaient les représentantes éminentes de la triade lunaire, dont nous avons dit à plusieurs reprises le rôle insigne dans les sociétés matriarcales : les deux enfants célestes de la Lune-Mère Divine (la Lune Jeune, Lune ascendante ou premier croissant, et la Lune vieille ou Lune descendante, ou Lune obscure) présidaient, par l’intermé­diaire de leurs incarnations terrestres, à la vie du groupe social (groupe dualiste), auquel le mana était fourni par la Pleine Lune, dont l’hypostase humaine siégeait au foyer central. A elles trois, nous est-il dit, ces trois femmes sacrosaintes n’avaient qu’un œil et qu’une dent : ce qui se rapporte, très probablement, au masque rituel unique qu’elles revêtaient à tour de rôle, mais ce qui exprime, aussi (car chaque détail rituel avait, pour les anciens, une portée ontologique) l’unité d’essence sous-jacente à leur pluralité. Elles constituaient une tri-unité, sur le modèle de leur Mère Céleste, qui est un seul et même être avec ses deux enfants. Nous avons exposé ailleurs que cette triade lunaire procédait d’une conception théo­cratique plus lointaine.

Il nous est signalé d’autre part que les Grées avaient les cheveux blancs au moment de leur naissance. En mythologie, nous l’avons indiqué maintes fois, la naissance n’est jamais l’avènement au monde phénoménal, ou naissance physiologique; c’est l’accession à l’univers de radiance, autre­ment dit la naissance initiatique, ou seconde naissance, la seule qui compte, la seule qui intègre dans l’être. Nous devons dès lors entendre que les femmes sacrées qui accédaient grâce aux rites, à la dignité et au rang de Grée, étaient toujours des vieilles, à chevelure neigeuse. C’est pourquoi du reste le vocable Grée (graia) en est venu à signifier vieux, âgé.

L’organisation des Grées a existé notamment en Béotie, où la ville de Tanagra, célèbre aujourd’hui par ses statuettes de terre cuite, a été longtemps Graias asty (la cité de la Grée). Il n’est pas douteux que la Grée était, en la circonstance, une personnalité (ou un ternaire de personnalités féminines) tout à fait analogue à la Lamie. En Attique, les Euménides reçoivent, au demeurant, elles aussi, le qualificatif de Graia : ce qui prouve la similitude première de leurs fonctions avec celles des Grées. On doit également rapprocher les Grées et les Kères, dont l’appellation (KR) est la même, et dont le rôle fut, originairement, identique.

Les trois lunes

Gorgones et amazones …

Les Gorgones présidèrent à des groupements matriarcaux de type amazonien dans l’Afrique du nord, et leurs célèbres luttes contre les Amazones de Libye furent sans nul doute des combats initiatiques, semblables à ceux des Mages contre les Perses ou des Telchines contre les Rhodiens. Leur centre africain le plus important, succursale de leur établissement nordique, se situait près du lac Triton ou Tritonide. Toutes les Lamies et tous les « monstres » libyens, qui pullulèrent, provinrent de là (Appolodore signale en effet que tous les dragons de la contrée naquirent du sang de la Gorgone Méduse).

En réalité Athéna est une ancienne gorgone et elle est née sur les bords du lac Triton.

D’ après Athénée, « il y a, en Libye, un animal que les Nomades appellent Gorgone, qui ressemble à une brebis, et dont le souffle est si empoisonné qu’elle tue sur le champ tous ceux qui l’approchent. Une longue crinière lui tombe sur les yeux, et elle est si pesante que l’animal a bien de la peine à l’écarter pour voir les objets qui sont autour d’elle ». Cette lourde tête à longue chevelure, et qui rend presque aveugle, est, de toute évidence, la fausse tête liturgique dont s’affublait rituellement le monstre : en l’occurence, c’était celle d’un mouton (ce qui nous rappelle le Zeus bélier ou Jupiter Ammon du désert libyen). Suivant la règle, tout contact avec le Grand Chasseur déterminait instantanément la mort.

A propos des Gorgades ou Gorgates, îles de l’ouest servant de demeure aux Gorgones, Pline écrit : « Près du cap Occidental sont les Gorgates, anciennes habitations des Gorgones. Hannon, général des Carthaginois, pénétra jusque-là, et y trouva des femmes qui, par la vitesse de leur course, égalent le vol des oiseaux. Entre plusieurs qu’il rencontra, il ne put en prendre que deux, dont le corps était si hérissé de crins que, pour en conserver la mémoire, comme d’une chose prodigieuse et incroyable, on attacha leur peau dans le temple de Junon, où elles demeurèrent suspendues jusqu’à la ruine de Carthage ». Il va sans dire que ces peaux de Gorgones suspendues dans un sanctuaire étaient les peaux sacrosaintes, les fausses peaux liturgiques, dont se revêtaient les deux Gorgones placées à la tête des deux sous-groupes, constitutifs d’une communauté gorgonique. C’étaient ces dépouilles qui possédaient et communiquaient le mana divinisant. Aucune précision n’est malheureusement fournie sur la position géographique des îles Gorgates. Nous ne saurions, pour autant, contes­ter leur existence. L’Occident a sûrement connu, de très longue date, des îles de femmes, analogues à l’ancienne Lemnos, à l’île de Circé, à l’île de Calypso, etc… : les traditions à cet égard sont concordantes. Le fait que les Gorgones excellent à la course explique, au surplus, que tant de mythes nous présentent les héros comme astreints à une épreuve pédestre, consistant à rejoindre ou dépasser une femme. Ce n’était pas là un amu­sement. C’était un rite, une manière de montrer qu’on détenait l’énergie transcendante; l’on administrait sur ce point la preuve en atteignant et touchant une personnalité en qui résidait cette énergie. La course fut d’abord une modalité initiatique; tous les Jeux offrirent, au début, ce caractère. C’est pourquoi ils furent toujours, chez les anciens, liés aux Mystères et au culte.

Le texte où Pausanias signale que la tête de la Gorgone était enterrée à Argos, dans le sol de l’Agora, nous rappelle, au demeurant, que Gorgô était essentiellement, comme Karkô, Mormô, et toutes les autres Lamies, une énorme tête, ou une gueule monstrueuse, dont l’initié s’emparait pour devenir à son tour grand initiateur. Nous verrons, en étudiant Gargantua, que la prétendue tombe où se trouvait inhumée sa tête est souvent mentionnée à part.

 

article en cours : à suivre ….

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