Autorité spirituelle et pouvoir temporel : apophatisme du R.E.A.A.

BNF, tablier de Grand architecte 12ème et 13 ème degré

APOPHATISME ET R.E.A.A.

C’est au 13e grade qu’est soulignée l’incapacité du langage et de la pensée conceptuelle à exprimer l’ultime. Après avoir, depuis Malkuth, remonté l’ensemble des sephiroth représentant les attributs divins, atteint Kether et le centre de l’idée, les initiés se voient présenter le mot ineffable qui ne doit sortir d’aucune lèvre.

À ce niveau on peut se poser la question d’un deuxième sens éventuel de la « Parole perdue ». Le premier, évident, est celui d’une altération de l’enseignement, dans son contenu, voire sa méthode, peut-être consécutif aux avatars du passage de l’opératif au spéculatif, aboutissant en tout cas à un mot substitué, en attendant que «le temps et les circonstances », comme dit le Rite Émulation, fassent retrouver les véritables secrets. Mais lorsque le mot est retrouvé, c’est pour constater que son usage est perdu et qu’on ne sait plus l’invoquer.

Au 13e grade la parole n’est retrouvée que pour être aussitôt interdite et si cette prohibition est violée, il s’ensuit une catastrophe bien près d’être mortelle, comme le découvrent à leur détriment, les initiés présomptueux.

Le 14e degré précise que le Tétragramme figure l’être en soi, mais qu’au-delà règne l’infini, En Soph, et que reste posée la question des rapports du fini et de l’infini. C’est à cette question que répond la théologie apophatique : il n’y a pas de rapports. En Soph balaye tout. Son nom lui-même est doublement négatif : En = rien et Soph = fin. Au-delà de l’être on ne peut qu’indiquer le non-être, là où la parole s’abolit et où disparaît aussi le questionneur, là où la pensée dialectique fait place à la contemplation extatique.

Pourtant En Soph apparaît bien «comme le symbole de l’impossibi­lité absolue» d’une connaissance intellectuelle complète de Dieu, mais l’homme ne renonce pas aisément à parler de ce qui est innommable. C’est ainsi que la tradition hébraïque mentionne encore, au-delà de Kéther, les trois voiles d’En Soph : le premier Aïn Soph Aor, l’infinie lumière, puis Aïn Soph, le sans fin, et Aïn, le rien. Il est curieux et sans doute significatif, de noter que l’école Shentong du Mâdhyamika boud­dhique, utilise un énoncé étroitement parallèle pour qualifier ce qui est inqualifiable, la nature ultime de l’esprit, en parlant de l’union insé­parable de la «claire lumière », de l’illimitation et de la vacuité.

Pour revenir à une question fondamentale exprimée dès le début en Loge de perfection, pourquoi et comment rechercher la « Parole per­due », si le but affiché semble inaccessible ? Un ancien rituel du 4e grade ne dit-il pas que : «la vérité absolue réside dans le nuage de l’incognoscible sur un sommet inaccessible à l’esprit humain ». Ce paradoxe peut être levé si l’on comprend que l’inconnaissable est ainsi nommé par référence à l’esprit humain ordinaire, et qu’en dépassant par la contem­plation son fonctionnement conceptuel dualiste, on pénètre dans la ténèbre lumineuse de l’inconnaissance transcendante : cela qui est la véritable connaissance.

Cette prééminence, éventuellement cachée, de la théologie apophatique dans toutes les grandes traditions, est fondamentalement liée à la vie spirituelle. Son problème est d’abord d’éliminer les passions et le moi égocentrique. La voie purgative se situe au début de tous les iti­néraires religieux ou initiatiques. «Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même ». (Lc., 9-23, Mc., 8-34). Le texte latin de la Vulgate utilise des termes forts : «abneget » dans Luc, refuser absolu­ment, et « deneget », nier, dans Marc. La mort du « vieil homme » est la condition de la renaissance. Dans ce but la méthode apophatique est irremplaçable.

En effet toute voie analogique ou d’éminence, concevant Dieu comme un plus, nous allions dire un « must », peut permettre au moi insatisfait de projeter, de façon quasi délirante, ses propres désirs à un quelconque niveau d’accrochage, plus ou moins prestigieux. À cet égard l’apophatisme fonctionne de façon préventive.

Il rappelle enfin, avec quelle énergie, que finalement toutes les ratiocinations, mêmes théologiques, doivent être abandonnées en opérant le «sacrifice de l’intellect » et en faisant le saut dans le vide de la contem­plation pure.

Il est enfin un domaine, qui intéresse particulièrement le Maçon, celui de la tolérance, un terme mal famé qui désigne un pis-aller. Dans la mesure où la théologie négative réduit les dogmatismes et les sup­ports symboliques à leur réalité relative, elle mène à l’acceptation des différences chez autrui, donc à la paix. Elle invite à la contemplation silencieuse de l’ineffable qui n’a jamais persécuté quiconque. À une époque où le fanatisme monothéiste refleurit, il est urgent de remettre en valeur la théologie négative.

AUTORITÉ SPIRITUELLE ET POUVOIR TEMPOREL.

LEURS RAPPORTS

Le S.E.R.G. (Saint Empire Romain Germanique) pose cette question, cruciale pour toute société traditionnelle… et même pour celles qui ne le sont plus, comme la nôtre. Nous nous limiterons au plan des principes, en prenant d’abord nos références dans des sociétés antérieures au christianisme, en Inde surtout, où la formulation théorique de la question est claire, et dont les solutions appartiennent au domaine indo-européen, comme nos sociétés antiques, celtes, grecque ou romaine archaïques.

Templier au plumet

La solution indo-européenne.

Ces sociétés connaissent une tripartition fonctionnelle, retrouvée et mise en évidence par Georges Dumézil en classes ou castes, sacerdotale, royale, économique, chacune régie par les règles et initiations correspondantes. Ce que connaissait encore notre Moyen Âge avec les trois Ordres.

La dégénérescence commence avec le renversement des rapports réguliers de subordination du pouvoir temporel à l’autorité spirituelle, ce que les hindous appellent la révolte des kshatriyas (guerriers) contre les brahmanes. Il en existe des exemples, déjà anciens, qui s’accélèrent avec l’évolution du cycle vers la matérialisation croissante, suivant l’expression hindoue des yugas (âges) et celle, gréco-romaine, des quatre âges (or, argent, airain, fer). Les sociétés les plus anciennes, dont les membres connaissaient naturellement un degré spirituel élevé, celui de hamsa, étaient homogènes, sans classes, ce qui constituait l’analogue supérieur de l’actuel nivellement par le bas. Elles étaient gouvernées par des rois-prêtres, cumulant les deux fonctions, sans rupture entre le spirituel et le matériel.

Les sociétés indiennes postérieures connaissent une différenciation fonctionnelle avec une collaboration harmonieuse des fonctions. Nous nous limiterons aux brahmanes responsables du sacerdoce et aux kshatriyas, chargés de la fonction royale. Leurs rapports mutuels sont défi­nis comme ceux des époux. Citons Coomaraswamy : «Il n’est pas exces­sif d’affirmer que toute la doctrine politique indienne se trouve conte­nue et résumée dans la formule nuptiale : «je suis Cela, tu es Ceci. Je suis le Ciel, tu es la Terre ». (Aitareya Brâhmana VIII, 27), qu’adresse le prêtre brahmane, le purohita, au roi». Dans une société patriarcale il est symboliquement normal, que le chapelain brahmane soit mâle et le roi femelle. Ce sont les rapports de fécondation de la terre par les influences spirituelles du ciel, symbolisées par la pluie, comme dans la Bible : «Cieux, de là-haut répandez comme une rosée et que les nuées fassent ruisseler la justice. » Esaïe 45, 8.

Dans un bon mariage l’accomplissement des devoirs complémen­taires ne fait qu’exalter l’amour réciproque… mais il est de mauvais mariages, en politique aussi. Dans l’état normal, le roi extérieurement actif et puissant, est inté­rieurement passif et dépendant de son conseil. Le brahmane, extérieu­rement passif et sans pouvoir, est intérieurement actif et « oriente » l’ac­tivité royale. Ces deux états correspondent à la potestas et à l’auctoritas romaine

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L’autorité spirituelle

Celle-ci, qui n’a pas nécessairement la forme religieuse, a pour fonc­tion de conserver et transmettre la doctrine traditionnelle et l’ensemble des sciences, donc de connaître et d’enseigner. Son attribut est la sagesse, sa caractéristique la réalisation de l’immuable, au-delà du monde changeant. Elle doit aussi accomplir les rites nécessaires, trans­mettre les initiations, sacerdotale évidemment, mais aussi royale (le sacre), chevaleresque, artisanale, même si dans ces derniers cas le repré­sentant de l’initiation sacerdotale figure seulement à côté des initiés de la caste. C’est par le canal du sacerdoce que se transmet ou se consacre le droit divin du roi, même si celui-ci possède bien un mandat céleste particulier, qui fonde sa légitimité. Par exemple en Chine, le «mandat céleste» de l’empereur peut lui être retiré, il y en a eu maints exemples.

Le sacerdoce transmet donc l’initiation royale, qui confère au roi un certain caractère sacerdotal. En Egypte le Pharaon était tiré de la caste sacerdotale ou royale. Dans ce dernier cas, il était intégré à la première lors de son sacre. La situation était comparable en Occident. Les rois de France étaient sacrés à Reims avec le contenu de la Sainte Ampoule apportée du ciel. L’empereur byzantin et le roi de France étaient parfois appelés l’évêque du dehors. Ce dernier après le sacre était censé démontrer certains pouvoirs thaumaturgiques, notamment celui de guérir les écrouelles. Sur cette question du sacre nous ren­voyons à une abondante bibliographie contemporaine.

Le pouvoir temporel

La fonction royale n’est pas contemplative, comme celle du sacer­doce, mais active. Elle se décompose en trois fonctions : judiciaire, administrative et militaire, qui tendent au maintien de l’équilibre et de l’ordre intérieurs et extérieurs, symbolisés par la balance et l’épée. On peut dire que là où le brahmane contemple l’immuable, le roi étu­die les lois du changement et les utilise. Encore faut-il que ce soit dans le but de «mener le genre humain à la félicité temporelle », selon l’ex­pression de Dante.

À son tour le roi délègue à la troisième caste, les vaishyas en Inde, le pouvoir économique, la production, la transformation et l’embellisse­ment des biens matériels. On remarquera que ces trois castes ont ainsi pour caractéristiques respectives : sagesse, force et beauté, les trois piliers de l’édifice Maçonnique.

Les difficultés propres à l’ère chrétienne

Les rapports entre le spirituel et le temporel y ont été particulière­ment conflictuels ; on peut se demander pourquoi.

Le premier motif en est sans doute une faiblesse, inhérente au chris­tianisme. Celui-ci apparaît primitivement comme une doctrine initiatique au sein du judaïsme, réservée à une élite, spirituelle bien entendu, pas sociologique. Ses textes fondateurs sont dénués de philosophie et de légis­lation sociale, comme de sciences sacrées. Il devra les emprunter au monde grec (Platon, Aristote), au droit romain, à l’hermétisme. Sur le plan qui nous occupe, le Christ se borne à dire : «Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu» (Mt. 22, 21). C’est beaucoup et c’est peu. Le passage à une religion de masse n’en sera pas facilité.

Le second motif est l’histoire mouvementée et conflictuelle de ses débuts. Passer de l’état de « secte » révolutionnaire, pour les Romains, persécutée par les autorités de ce monde, à celui de religion dominante (et parfois persécutrice), passer de la « folie de la croix », à la nécessité d’organiser l’état, dans un monde en décomposition, est une tâche redoutable, qui laisse fatalement des traces et des failles dans les men­talités et les structures.

Le troisième est plus spécifiquement la nature du pouvoir temporel auquel se confronte le christianisme. L’empire romain, au sommet de sa puissance matérielle et de sa splendeur, est déjà porteur de la maladie qui va le tuer : la démesure quantitative, l’inflation de la puissance et de la jouissance, elles-mêmes symptomatiques de la décomposition spi­rituelle. L’empereur a déjà effectué sa «révolte des kshatriyas », il a confisqué la fonction sacerdotale du pontifex maximus et, bientôt, il va se faire adorer comme un dieu. C’est donc avec un empire déjà atteint, de ce qu’on appellera plus tard à Byzance, le césaropapisme, qu’entre en relation le faible évêque de Rome. Le face à face est gros des conflits ultérieurs. On peut dire que jamais, sauf idéalement, ou à de brefs inter­valles d’équilibre harmonieux, les relations entre le sacerdoce et l’em­pire n’ont été ce qu’elles auraient dû être.

  1. LE SAINT-EMPIRE

Rappel historique

Il est sans doute symptomatique qu’il n’y ait pas, en français, de vaste étude d’ensemble sur le S.E.R.G. Il faut s’adresser aux traités et encyclopédies. Nous nous bornerons à certains faits significatifs et aux concepts dont ils sont la traduction.

  1. La donation dite de Constantin est un faux du Moyen Âge, mais ce dont elle témoigne, la translation de l’universalisme romain à l’uni­versalisme chrétien, est une réalité, marquée en 313 par l’édit de Milan, qui établit la liberté religieuse. Toutefois, jusqu’au pape Zacharie en 740, le pontife romain, traduisant ainsi sa situation précaire, a demandé confirmation de son élection à l’empereur ou à l’un de ses successeurs barbares.

L’idéologie impériale romaine a conservé son lustre au travers des temps barbares ; elle était d’ailleurs toujours incarnée par l’empereur d’Orient. Cette attente idéale est ainsi traduite dans un texte mérovin­gien : «Empereur est celui qui précelle dans le monde entier, sous lui se trouvent les rois des autres royaumes ». Dans l’Europe fragmentée l’universalité reste porteuse d’espoir 17.

  1. La monarchie franque reçoit la forme impériale en 800, lorsqu’à Rome, le pape Léon III sacre empereur des Romains le roi Karl. La for­mule d’acclamation dit : Carolo Augusto a Deo coronato, magno et pacifico imperatori Romanorum, vita et victoria. «Charles Auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! »

Relevons également la formule utilisée par Charlemagne lors de la consécration de la cathédrale d’Aix la Chapelle : «J’ai mérité d’obtenir… que les rois héritiers de notre empire y ayant été dûment initiés et sacrés, exerceraient ensuite les fonctions royales et impériales ». Cela lui valut de recevoir les clefs du Saint Sépulcre, envoyées par le calife Haroun al Raschid. On enregistre alors un rare moment d’équilibre traditionnel.

  1. Otton le Grand, couronné à Rome en 962, fut à l’époque perçu comme le continuateur, après un bref interrègne, de l’empire carolingien, mêmeIl est sans doute symptomatique qu’il n’y ait pas, en français, de vaste étude d’ensemble sur le S.E.R.G. Il faut s’adresser aux traités et encyclopédies. Nous nous bornerons à certains faits significatifs et aux concepts dont ils sont la traduction.
  2. La donation dite de Constantin est un faux du Moyen Âge, mais ce dont elle témoigne, la translation de l’universalisme romain à l’uni­versalisme chrétien, est une réalité, marquée en 313 par l’édit de Milan, qui établit la liberté religieuse. Toutefois, jusqu’au pape Zacharie en 740, le pontife romain, traduisant ainsi sa situation précaire, a demandé confirmation de son élection à l’empereur ou à l’un de ses successeurs barbares.

L’idéologie impériale romaine a conservé son lustre au travers des temps barbares ; elle était d’ailleurs toujours incarnée par l’empereur d’Orient. Cette attente idéale est ainsi traduite dans un texte mérovin­gien : «Empereur est celui qui précelle dans le monde entier, sous lui se trouvent les rois des autres royaumes ». Dans l’Europe fragmentée l’universalité reste porteuse d’espoir 17.

  1. La monarchie franque reçoit la forme impériale en 800, lorsqu’à Rome, le pape Léon III sacre empereur des Romains le roi Karl. La for­mule d’acclamation dit : Carolo Augusto a Deo coronato, magno et pacifico imperatori Romanorum, vita et victoria. «Charles Auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! »

Relevons également la formule utilisée par Charlemagne lors de la consécration de la cathédrale d’Aix la Chapelle : «J’ai mérité d’obtenir… que les rois héritiers de notre empire y ayant été dûment initiés et sacrés, exerceraient ensuite les fonctions royales et impériales ». Cela lui valut de recevoir les clefs du Saint Sépulcre, envoyées par le calife Haroun al Raschid. On enregistre alors un rare moment d’équilibre traditionnel.

Otton le Grand, couronné à Rome en 962, fut à l’époque perçu comme le continuateur, après un bref interrègne, de l’empire carolingien, même si c’est à lui que, par la suite, on fit remonter la fondation du S.E.R.G.

  1. si c’est à lui que, par la suite, on fit remonter la fondation du S.E.R.G. Celui-ci durera jusqu’en 1806, lorsque le dernier empereur couronné, François II de Habsbourg, admettra que le S.E.R.G. a cessé d’exister, pour prendre désormais le simple titre d’empereur d’Autriche.

L’empire prétend être l’organisme politique unique, qui a vocation à regrouper les peuples et les royaumes de l’Europe, au sein de la respublica christiana, pour le gouverner conformément à la mission spéciale que Dieu lui a confiée. Durant sa période glorieuse, jusqu’en 1250, cela lui sera largement reconnu. Il se heurtera toutefois aux volontés d’indépendance :

  1. en Italie du pape, qui est hélas descendu dans l’arène politique, comme chef des états de l’Église ;
  2. en France du roi, qui se dit empereur en son royaume et jouir d’une mission spéciale du ciel, symbolisée par la descente de la Sainte Ampoule, tout en reconnaissant une dignité spéciale à l’empereur.

L’étiquette internationale des hérauts, au Moyen Âge, rangeait dans un certain ordre les représentants des monarques, ordre qui est d’abord celui d’une dignité spirituelle :

  • 1 Le prêtre Jean, peut-être mythique, mais alors considéré comme réel.
  • 2 L’empereur.
  • 3 Le roi de France sacré par la Sainte Ampoule descendue du ciel.
  • 4 Les autres monarques.
voir la Révélation du 3ème temple

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