La Société Angélique : le CRIST de Tulle ou la voie d’Hermès

cristTradition mystique et peuple des scribouilleurs mis en évidence à Tulle à partir d’une calligraphie du XVIIème siècle

Une fois n’est pas coutume et pour introduire à ce sujet qui nous nous ramènera par d’autres voies à la Société Angélique, donnons la parole au conservateur du Musée du Cloitre en charge du précieux document confié au musée par André Mazyrie en 1926. Notons toutefois que l’on peut être conservateur et dénué de toute culture traditionnelle ce qui est hélas souvent le cas en France, je n’en ai été que trop souvent témoin. En ce cas l’analyse se contente de données factuelles et méconnait le sens profond du document. Au final à chacun son travail !

« Jeune conservateur en 1978 je découvris ce Christ enfoui dans les cartons du musée et pressentis que cette image conservée par une providence rare, était porteuse d’un message singulier. Je confiai mon sentiment à Lue de Goustine, dont je savais k goût de l’histoire et l’intérêt pour l’art sacré et ce fut le début d’une longue et belle aventure de l’esprit.

Établir la provenance du document
Cette étrange affiche, entrée au Musée du Cloître en 1926, y a été apportée par le conservateur lui-même, qui lui accordait sans doute une importance. puisqu’il prit la peine d’en réaliser de sa main le fac-simile – et d’en tirer une carte postale… En fait. André Mazeyrie tenait ce grand dessin à la plume de son père Jean ou de son oncle Léon dont l’atelier d’imprimerie était à quelques pas. rue de la Barrière. De leur presse est sorti au tournant du siècle le Bulletin du Musée départemental ethnographique du Bas-Limousin, au service de l’ancêtre du musée actuel, ainsi que des ouvrages de fonds comme le Dictionnaire des Paroisses de l’abbé J.B. Poulbrière, l’ Histoire de Tulle de J. Plantadis, et le Dictionnaire généalogique des familles nobles et notables de la Corrèze par J.-B. Champeval en 1913. L’imprimerie a cessé toute activité en 1920.

…son authenticité
Cet apport direct au musée par un membre de la famille confère une autorité particulière au témoignage du conservateur lorsqu’il a titré et daté l’oeuvre : «LE CRIST DE LA CONFRERIE DES IMPRIMEURS DE TULLE, XVIIè SIECLE» (Ce titre invitait l’historien à interroger les archives et les monuments quant à l’existence d’une «confré¬rie des imprimeurs» en cette ville bas-limousine au XVIIè siècle. L’enquête révèle que le corps des imprimeurs adhérait aux pénitents gris ou bleus de Saint-Jérôme siégeant à la chapelle du Puy Saint-Clair – nécropole et haut lieu emblématique de Tulle. Et tout un système de convivialité citadine, de soli¬darités et de dévotions publiques ou privées se révèle à l’examen des vestiges écrits et des oeuvres des frères pénitents.

Identifier son genre
D’autre part, cette représentation s’inscrit dans le genre des « calligraphies », une imagerie particulièrement florissante au XVII-XVIII siècle. A-t-elle un analogue ailleurs et dans quel contexte ? Quel rapport privilégié aux métiers du livre ? Quel éventuel usage traditionnel de type ésotérique ? Son vocabulaire allégorique a-t-il été déjà décrypté ?

…et en proposer une lecture
Car enfin, on ne peut éluder l’énigme que pose l’étrange graphie de CRIST sous la plume d’un érudit aussi académique. Pourquoi le Dr. Mazeyrie a-t-il commis la « faute » ? Serait-ce par respect d’une tradition liée au métier d’imprimeur ? Cette interroga¬tion lance dans une exégèse du H – de ce qu’il cache et révèle, pour ainsi dire hermétiquement, par son absence dans le nom du Christ, et qui pourrait être en rapport avec l’artisanat de l’Écrit. A partir de là débute une lecture qui peut paraître vertigineuse même si elle se borne à développer ce qui est symbolisé dans le dessin. Risque extrême. Est-on autorisé à entrer dans une interprétation de ses méandres ? A lire dans les écheveaux des membres les liens dont l’imprimeur lie sa composition ? Dans le perizonium du Christ à suivre une carte du pèlerinage de Compostelle ? Et dans sa poitrine, à contempler l’épure de l’autel retable baroque dont les églises alentour se dotent à cette époque ?

On aura compris que cette calligraphie du Christ en croix, quasi unique à être conservée en France, est d’abord un document sur les mentalités et la sociabilité des artisans de Tulle au XVIIè siècle, et mérite par là sa place d’honneur au Musée. En outre, elle constitue le point de départ d’une aventure de l’âme, sur les traces des ouvriers de tradition qui ont conçu et voulu le Christ comme Maître et comme Modèle. Il semble que les lecteurs du livre de Luc de Goustine ne s’y soient pas trompés puisque, vingt ans après la première, une seconde édition revue vient de paraitre. » Isabelle Rooryck, conservateur

Interprétation du CRIST de Tulle à la lumière de la Tradition

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Chérubin angélique de l’AGLA

Explication : un enfant issu d’une urne ou vasque rappelant l’épisode de Cana ou Jésus transforma l’eau en vin. Mais un examen plus attentif permet de voir que l’urne est en fait une outre : peau de mouton (toyson d’Or ?), rappel aussi du mot d’ordre des pélerins « plus outre ! », soit remontons jusqu’à la source, au delà de Compostelle jusqu’aux étoiles.

 Tulle et la confrérie des imprimeurs

Evidemment en adoptant le nom de CRIST au lieu de Christ, l’attention était portée exclusivement sur le H manquant, ce H que l’Adepte Fulcanelli Avait immédiatement signalé dans l’un des caissons de Dampierre sur Boutonne. Tulle, à en juger par le plus ancien ouvrage conservé aujourd’hui au Musée du Cloître, eut ses imprimeurs vers la fin du XVI siècle. Issu des presses d’Arnauld de Bernard en 1589, le premier livre est une Apocalypse de saint Jean.
On ne saurait plus originellement se placer sous l’obédience de l’évangéliste, patron traditionnel des lecteurs et copistes, dont les gens du livre font mémoire le 6 Mai sous le vocable très particulier de Saint-Jean-devant-la-Porte-Latine.
Il faut s’interroger sur les titres qui disposent le fils de Zébédée à être le tuteur de ce métier.
Jean est le cadet des apôtres. L’admiration l’attache à Jésus comme à un maître et fait de lui, plus encore qu’un disciple, un apprenti. Populaire en tous lieux de la Chrétienté, son nom s’est fondu avec jeune pour créer le mot jaune qui s’applique d’abord à l’ouvrier zélé, puis n’est devenu infamant que par la dure nécessité des luttes corporatives oui fait traiter de jaunes Janus bifrons — ceux qui ne font pas corps avec les compagnons de métier et se dérobent à la grève, par exemple. Mais il suffit de retenir que Jean est le modèle proposé aux apprentis, pour un métier dont les secrets sont longs à pénétrer.

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Saint Jean mangeant le livre

Les imprimeurs, en héritiers des scribes et copistes, n’ignoraient certes pas que cet ultime rédacteur de l’Ecriture était en quelque sorte le signataire de la Bible, et qu’ayant reçu mission de lever certains voiles — apocalypse — il avait également pouvoir de clore et sceller la Parole. Mieux encore, une puissante image de sa vision nous apprend que le Livre et lui sont voués à faire corps jusque dans le silence de la chose secrète et non écrite : « L’ange fort et puissant… cria d’une voix forte, comme un lion qui rugit ; et… sept tonnerres firent éclater leur voix… »
Jean Boanergés, lui-même fils du tonnerre, est donc là pour répercuter l’annonce solennelle.
«J’allais écrire; mais j’entendis une voix du ciel qui me dit : « Tenez sous le sceau les paroles des sept tonnerres et ne les écrivez point. » Et cette voix s’adressa encore à moi et me dit : « Allez prendre le livre ouvert qui est dans la main de l’ange-qui-se-tient-debout-sur-la-mer-et-la-terre » J’allais donc trouver l’ange et je lui dis : « Donnez-moi le livre ». Et il me dit « Prenez-le et dévorez-le ; il vous causera de l’amertume dans le ventre, mais dans votre bouche il sera doux comme du miel ». Je pris donc le livre de la main de l’ange et il était dans ma bouche doux comme du miel ; mais après que je l’eus avalé, je sentis de l’amertume dans le ventre. Alors l’ange me dit : « H faut que vous prophétisiez encore devant beaucoup de nations et de peuples de diverses langues, et devant beaucoup de rois.»

Si bien que Jean est le prophète du Verbe et le patron du métier, qui habite en lui pour ainsi dire sous deux espèces : il l’est dans le visible et le lisible ; il l’est aussi dans le mystère de ce qui doit demeurer scellé au fond du coeur, à l’exemple de sa Mère — Ventre du Verbe — qui « gardait toutes choses en elle pour les méditer », et en éprouva la profonde amertume.

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CRIST

Détail du CRIST : deux spirales inversées pour signifier la respiration cosmique  du Verbe. PLEXUS SOLAIRE

Dans son excellent ouvrage « Mystique ouvrière et Tradition Hermétique, le Christ de Tulle », Luc de Goustine a pu mettre à jour l’immense rébus formé par l’ensemble des entrelacs formant cette figure singulière miraculeusement parvenue jusqu’à nos jours, y trouvant même une carte du chemin de Compostelle.

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Jubé de Saint Etienne du Mont (Paris 1521-1545), au centre du jubé et entrelacé avec le tablier la lettre « H », c’est de cette tribune que les clercs font entendre la parole dite perdue.

Un jubé jubilatoire ou les colonnes de Salomon

Comme pour la croix d’Hendaye des 4 ? Le CRIST de Tulle doit s’interpréter à partir de ses omissions car telle est la règle de la cabale solaire. Donc l’attention est mise sur ce H et ce qu’il peut véhiculer de sens anagogique et symbolique pour qui sait l’entendre.

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et ce même H qui se trouve également dans l’IHS…I vertical et S circulaire et ascentionnel comme la spirale de la précession des équinoxes (Voir Hendaye)

Le H hermétique désigne le souffle à savoir aussi l’Esprit Saint bet une lettre en même temps. En grec l’êta majuscule s’écrit H. C’est, primitivement, le signe de l’aspiration rude ; des deux moitiés de l’H, l’une  a désigné l’esprit rude — en français, le h aspiré — l’autre l’esprit doux —le h muet. Inspir Expir

he
La lettre Hé est une lettre extrêmement importante dans le « panthéon » de la tradition juive. Elle est présente à tous les niveaux de l’interprétation. De la symbolique la plus évidente à la grammaire la plus mystique. Tout d’abord son phonème est tout à fait particulier dans l’ordre des consonnes. Il demande une contraction des poumons pour être prononcé. Un effet de soufflet exprime sa musique. Ce travail sur l’expiration est la base de toute une mystique des lettres. Répéter sans arrêt ce glyphe essouffle. Comme le firent de grands maîtres juifs du Moyen-Âge tel Aboulafia qui en permutant les voyelles sous les consonnes créèrent des exercices spirituels de haut niveau. Le suprême mantra qu’est le Tétragramme comprend deux Hé.

En hébreu, deux lettres, voisines en forme, concourent à développer le thème sur le mode mystique. Tout d’abord, le hé nommé le « Palais sacré », lettre divine par excellence du fait de son rôle primordial dans le nom imprononcé YHWH. Ensuite, le heth, huitième lettre de l’alphabet qui, dans l’arbre des Séphirot, correspond à la dixième, dite Malkhût — le Royaume — ou Ara rab — la Couronne — en encore Shekkinah — ce qui traduit le plus profond mystère : la présence permanente du Royaume. A cet égard, l’emblème I H S blasonne rigoureusement la parole du Christ «Le Royaume est au milieu de vous ». En fait heth, à travers la dixième Séphirot, renvoie au Nom divin qui s’énonce ADONAÏ.
En hébreu comme en grec, c’est bien un portique avec ses deux colonnes — distyle — et son linteau ; l’archétype de toute construction : deux piliers, une dalle. Par là commence à s’édifier tout monument : mégalithes plantés — menhir — pierre couchée — dolmen — allée couverte — kromlech ; tables suspendues, autels tendus massivement à la face du ciel, recelant au dessous l’antre noir, cave, enfers, tombe.

Salomon et ses colonnes : H comme Hiram

Quand Salomon fait dresser les colonnes maîtresses lakin et Bohaz à l’entrée du Hieron de Hierusalem — les Maçons se transmettent jusqu’au nom des apprentis qui, selon leur légende, assassinèrent leur maitre Hiram pour lui arracher son secret : ils s’appelaient Jubélas, Jubélos et Jubélum. Or, voici qu’au sujet de Saint André — Anthropos, ce prototype d’Homme — patron de la Maçonnerie de tradition écossaise, Jean Tourniac condense et anticipe à la fois ce propos :
« Curieusement, sur la première face du bijou d’Ecossais de saint-André, figure la lettre latine : H, initiale d’Hiram « sorti vivant de son tombeau », mais Hiram, dans la langue du Roi Salomon, c’est Houram, mot qui contient les idées de Matrice, Miséricorde, Vie, Pureté et Consécration et dont l’initiale Heth est justement la huitième lettre de la langue précitée, la lettre de la vie Haï en hébreu. »

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Ajoutons que El Haï est le nom divin correspondant à la neuvième Sephirot et qu’il a pour parèdre Shaddaï.  SuivonsJean Tourniac :
« Saint Pierre, dans sa première Epître, rappellera à propos de l’eau baptismale, « qu’aux jours de Noé, pendant la construction de l’Arche… un petit nombre de personnes, c’est-à-dire huit, furent sauvées des eaux » (I Pierre III, 20-21).

Huit conservèrent donc la vie : «… il a sauvé Noé, lui, huitième» (II Pierre II, 5). Ressuscité, Hiram symbolise le Temple reconstruit, le peuple d’Israël rétabli dans sa sainteté, le Christ ressuscité et le triomphe de la Vie spirituelle sur celle du corps animique, de l’incorruptible sur le corruptible, du Corps glorieux sur celui de misère. »
Ainsi donc, le secret pour lequel aurait été immolé ce « Père de Miséricorde » est sigillé du H et désigne l’octave de la Création accomplie. Quand aux trois meurtriers, cc que leur nom révèle a de quoi nous instruire : le rapprochement s’impose avec l’ancien nom que portait Jérusalem avant de devenir Sacrée-Ville-de-la-Paix ; ce nom, JEBUS, est si proche anagramme de JUBE — que l’on pourrait interpréter l’acte des apprentis comme la dernière réaction de défense de la tradition antérieure « J-B » contre le renouveau sacral «H-R » apporté par HIRAM.  à suivre dans notre cahier ici

Vincent de Paul portrait
Vincent de Paul portrait