Tsérouf : entre Hesséd et Guevourah, Shem hamphorash et les 72 noms du carré magique

Arbre de vie
  • Introduction au tsérouf
  • Aboulafia et les noeuds de la délivrance
  • Entre Hesséd et Guevourah, de 216 à 288

Rabbi Abraham Aboulafia

Un des plus grands maîtres du tsérouf fut sans doute Rabbi Abraham Aboulafia (1240-1291).

Par Tsérouf (« combinaison »), Aboulafia entend la science d’association et de permutation des lettres hébraïques. Renouvelée par les hassidim de Rhénanie, elle trouve dans le système d’Aboulafia non seulement son développement extrême, mais aussi en quelque sorte sa justification mystique. Transférée auprès des guildes de maitres bâtisseurs cette discipline donnera naissance au « mot de maçon » qui deviendra ultérieurement le Rite du mot de maçon.

En fait, avant Aboulafia, le tsérouf n’était qu’une technique d’investigation des secrets de la Loi. Les trois procédés classiques de guematria (calcul des valeurs numériques), de notarikone (analyses des premières lettres d’un mot et anagrammes), de temoura (remplacement d’une lettre par une autre ou plusieurs) formaient l’essentiel de la méthode. Avec Aboulafia, ils prennent place dans un large système de méditation dirigée, où l’objet de la méditation n’est plus seulement l’Écriture Sainte, mais l’écriture en général, qui se déploie en trois strates : la prononciation (mivta), l’écriture (mikhtav) et la pensée (mach-shava), en correspondance peut-être avec la triple distinction du Sefer Yetsira (sipour, sefer, sefar).

Hesséd et Guevourah.

Les 72 Noms de trois lettres, constituent un ensemble de 216 lettres. Ces deux nombres servent de guematria à d’importants mots, mais deux noms ressortent particulièrement. En effet, 72 et 216 sont les valeurs numériques de deux Séfiroth intimement liées : Hesséd et Guevourah.

La quatrième Séfirah s’appelle « H’esséd » (Bonté) et elle a une valeur numérique de 72 (8+60+4). H’esséd est la Séfirah de l’absolue bonté, dans ses « Portes de lumière », Joseph Gikatilla la définit en ces termes : « Sache que le terme H’esséd est sensé désigner un acte que quelqu’un accomplit sans la dimension du jugement. Qui le fait spontanément sans aucune contrainte, sans chercher à en tirer avantage. H’esséd est à l’opposé d’une action effectuée sous la contrainte. C’est parce que l’attribut El a préexisté au monde, que Dieu a créé le monde avec H’esséd ; et non avec une H’esséd relative, mais avec une H’esséd absolue, par bienveillance envers ses créatures et pour leur accorder une part égale de Sa Miséricorde et de Sa Bonté. Ainsi qu’il est dit : « Car j’ai dit : H’esséd a bâti le monde (Psaumes 89:3). »  Lorsque le monde fut créé avec l’attribut H’esséd, Dieu partagea H’esséd pour Ses créatures. Il donna une part de H’esséd pour Adam haRishon, Il donna une part de H’esséd à Moïse, notre Maître, comme cela est expliqué à la fin du premier chapitre du traité Sotah, car toutes ces bontés sont contenues dans le Nom El. Lorsqu’Abraham, notre père, est venu, il a regardé, il a scruté et a compris le secret de Yhwh, le Grand Nom, béni soit-II. Il a saisi la façon dont le monde avait été créé à partir de H’esséd, il fut exalté et put prendre cet attribut dans sa main. Il vit que tous les fils du monde étaient enfermés dans l’idolâtrie, chacun dans un type particulier d’idolâtrie. » (Shaaréi Orah, Porte 7).

Dans l’Arbre des Séfiroth, H’esséd est directement confrontée à la Séfirah Guevourah, sa contrepartie, attribut de la rigueur et cinquième Séfirah. Il est alors étonnant de constater que la valeur numérique de « Guevourah »  est égale à 216 (3+2+6+200+5). La Séfirah Guevourah exprime le jugement sévère par le Nom Elohim. Dans les « Portes de lumière », Joseph Gikatilla la définit ainsi : « Sache qu’il arrive que l’attribut appelé Elohim, soit parfois désigné par le Nom Guevourah (Rigueur, Vaillance, ceci parce qu’il accable souvent afin de juger les coupables et les pécheurs. C’est lui qui sanctionne le malfaisant qui se rebelle contre Yhwh, béni soit-II. Tribunal céleste, il châtie tous ceux qui le méritent et s’appelle Gvourah en raison de sa puissance, de sa domination et de sa capacité de juger, en punissant chacun avec précision. » (Shaaréi Orah — Porte 6).

De même que H’esséd ne peut exister sans Guevourah, les 72 Noms ne peuvent exister sans leurs 216 lettres. Par leur valeur numérique, nous comprenons que les 72 Noms dépendent de la Séfirah H’ésséd, du Nom El, de la colonne de droite, du Sud, de l’Argent, d’Abraham et de Mikaël. Par conséquent, les 216 lettres qui composent les Noms, dépendent de la Séfirah Guevourah, du Nom Elohim, de la colonne de gauche, du Nord, de l’Or, d’Isaac et de Gabriel.

Pour profiter de la puissance des 72 Noms et ouvrir la mer, Moïse a dû unifier toutes les oppositions de H’esséd et Guevourah, en établissant un point d’équilibre entre les colonnes de droite et de gauche. C’est la raison pour laquelle le verset 21 (Exode 14) indique : « Moïse étendit la main sur la mer, et Yhwh fit aller la mer par un vent d’Est (ou un souffle du levant) ». Le souffle d’Est, ou du levant, symbolise la Séfirah Tiféréth, sur la colonne centrale qui s’étend de l’origine (du levant : Kéter) à la fin (au couchant : Malkouth). Le rôle de Tiféréth est d’harmoniser la bonté absolue de H’esséd et la rigueur du jugement de Guevourah, afin de faire surgir « Mishpath », l’Equité.

Le Séfer Raziel explique que l’ouverture du la mer par Moïse dépen­dait de l’équilibre des deux colonnes de droite et de gauche : Yakin et Boaz, ainsi que de la considération mutuelle de Mikaël et Ga­briel : « Les deux colonnes s’élèvent parallèlement jusqu’au lieu de la nuée d’Atsilouth, par la lumière et l’obscurité et par le feu et Israël l’ancien qui enveloppent Yakin et Boaz à l’intérieur f…] Comme il est dit, les eaux se rassemblèrent en un lieu, par l’appel mutuel de Mikaël et Gabriel, les colonnes de droite et de gauche. » (Séfer Raziel 25a).

Christian Knorr von Rosenroth, Kabbala denudata. La Kabbala Denudata de Knorr van Rosenroth, contient un traité kabbalistico-alchimique, intitulé « Esh Metsaréf » (Le Feu du Fondeur). Cet ouvrage associe des carrés magiques aux métaux, en se basant sur la guématria de certains mots. L’or s’y trouve mis en relation avec un carré magique de 36 cases dont les résultats multidirectionnels sont égaux à 216. C’est une façon, pour ce traité, de mettre en relation la Séfirah Guevourah, de valeur 216 et l’or.

Gevourah : la sephira de l’Or

Les textes de kabbale attribuent l’or et la direction Nord à la Séfirah Guevourah, comme le montrent ces passages du Zohar :

Le Nord produit l’or  …

« Remarquez que le feu est à gauche, du côté nord, parce que la chaleur et la sécheresse dominent dans le feu ; or le Nord, qui est le contraire de chaleur et de sécheresse, a reçu pour partage, le feu, pour que cet élément supplée à ce qui manque à ce point cardi­nal ; voilà pourquoi le feu a été mêlé au Nord pour ne former qu’un corps avec lui. L’eau est à droite, du coté sud, parce que le Saint, béni, soit-il, a uni à ce point cardinal également les contraires. Le Nord est froid et humide, le feu est chaud et sec. Dieu l’a tourné dans la direc­tion du Sud qui est chaud et sec. L’eau est froide et humide, et le Saint, béni soit-il, mêle de cette façon le Nord avec le Sud en faisant remonter des courants d’eau du Nord vers le Sud, et du Sud vers le Nord; ainsi le feu sort du Nord et descend au Sud, et la chaleur re­vient ensuite du Sud et réchauffe le Nord. De cette façon le Saint, béni soit-il, fait en sorte que chacun des quatre points cardinaux prête à son opposé ce qui lui manque…  De même, le Nord produit l’or, parce que l’or se produit par la force du feu; et c’est pourquoi l’Écri­ture (Job 37:22) dit: « L’or vient du Nord.  » Le feu s’unissant à la terre produit ainsi l’or, ainsi qu’il est écrit Job 32:6): « …Et ses terres sont de l’or. » C’est ce mystère qui est caché dans les deux Kéroubim d’or qui surmontaient l’arche de l’alliance. L’eau s’unissant à la terre produit l’argent par le mélange du froid et de l’humide. La terre se trouve ainsi unie aux deux métaux, l’or et l’argent, parmi lesquels elle est placée. » (Zohar 2:24a). « Un fleuve sort de l’Eden pour arroser le jar­din, et de là il se sépare pour former quatre têtes  » (Gen.2:10). Voici en quoi consistent ces quatre têtes: la première est la Bonté (H’essed),le bras droit, et par rapport à lui aux temps messianiques « Celui qui voudra être un sage se tournera vers le Sud » ; en outre, le camp de Mikaël sera abreuvé par ce premier confluent, avec lui il y aura le bâton de Juda et deux tribus. La seconde tête du fleuve, c’est la Rigu­eur (Guevourah) qui est le bras gauche. A l’époque messianique  » Celui qui voudra devenir riche se tournera vers le Nord « . Cette fois, c’est le camp de Gabriel qui se trouvera abreuvé par ce confluent, et il y aura avec lui le bâton de Dan et deux tribus. (Zohar 1 :26b). « L’or désigne l’ange Gabriel ; il y a sept espèces d’or ici-bas. L’argent dési­gne l’ange Mikaël ici-bas. L’airain désigne le même mystère que l’or et le feu ; c’est du feu que sort l’airain et c’est de cette force que les serpents brûlants se tressent les couronnes. » (Zohar 2 :147a).

Esh Metsaref : « Ces paroles m’ont incité à chercher de semblables livres bons et secrets, et grâce à la bonne main de mon Dieu sur moi, j’ai trouvé ce que je t’enseigne maintenant. Et le Qaméa de ce métal est tout à fait merveilleux, car il se compose de six fois six cellules réticulaires, mon­trant partout la vertu admirable de la lettre Vav, liée à Tiféréth. Et toutes les colonnes et les lignes, de bas en haut, de droite à gauche et d’un angle à l’autre, donnent la même somme, et tu peux la transpo­ser à l’infini. Et les différentes sommes observent toujours la même disposition, de sorte que leur plus petit nombre est toujours ternaire, nonaire ou sénaire, ou encore 3, 9, 6, et ainsi de suite. Sur cela je pourrai te révéler bien des choses. Maintenant je transcrirai un exem­ple dont la somme représente le nombre 216 de Ariéh, Lion), notre admirable Lion, 14 fois, qui est la valeur numérique de  [zahav], l’or. Calcule et enrichis-toi ! »

Kabbala Denudata, Loci com­munes Cabbalistici, pages 304-305.

Le texte de l’Esh Metsaref met surtout en avant que le nombre 216 est la valeur numérique du mot « Ariéh ». Dans le carré magi­que, ci-dessus, le nombre 216 apparaît 14 fois, par le total des 6 lignes horizontales, des 6 lignes verticales et des 2 diagonales. 14 étant la valeur numérique de « Zahav », l’or. Normalement le carré magique de 6 x 6 se construit à l’aide des 36 premiers nom­bres, qui, ordonnés pour rendre le carré magique, totalisent 111 dans toutes les directions. Dans le carré de l’Esh Metsaréf, seuls les nom­bres impairs sont pris en compte afin d’exprimer la colonne de gau­che de Gvourah. Les trente-six premiers nombres impairs, de 1 à 71, sont organisés dans ce carré. Gershom Scholem avait relevé cette particularité de l’Esh Metsaréf, dans son livre « De la Création du Monde jusqu’à Varsovie » : « Car ici ce dernier [l’auteur de l’Esh Metsaréfl a remplacé la somme de 111 par un cadran d’une valeur numérique égale à 216 afin de mettre en valeur la relation au lion, symbole de la force et de la Séfirah Guevourah. La valeur numérique du terme hébraïque pour le lion, aryeh, est de 216. Le schéma d’Agrippa a donc subi ici une modification afin de tenir compte du symbolisme kabbalistique ».

dans ce carré magique les extrémisés donnent 72 et les sommes 216, Dans tiré à part nous abordons l’étude du carré du soleil dont la valeur est 111 ou 666.

 

La suite dans la seconde partie du Verbe architecte

voir nos ouvrages (extrait)