
Lors de la fondation d’une ville romaine, il y avait trois opérations principales :
- Le repérage de la direction du soleil levant au jour de la fondation. Cette direction devenait celle d’un des deux axes de la ville, le decumanus maximus.
- Le tracé d’un axe perpendiculaire, le cardo maximus, puis d’un carroyage de cardines et de decumani secondaires, parallèles aux axes et destinés à devenir les rues de la ville.
- La délimitation du territoire urbain par le rite du sulcus primigenius qui marquait le tracé du rempart et celui du pomerium, frontière religieuse de ce territoire urbain.
On obtenait ainsi une ville quadrangulaire, avec un réseau de rues orthogonal, orienté d’après la course apparente du soleil au jour de la fondation : le cardo maximus était la projection de l’axe de ce mouvement sur le sol. Une telle ville, image du monde, était un templum, et ces opérations tiraient leur origine de la tradition étrusque.

Ces données sont attestées par des textes antiques et par la comparaison avec les camps militaires, templa eux aussi ; elle paraît surtout justifiée par les plans de villes neuves que nous connaissons, tels celui de Timgad en Afrique et celui de Venta Silurum (Caerwent) en Bretagne pour la pleine époque impériale, celui d’Augusta Praetoria (Aoste) pour l’époque augustéenne et celui du castrum d’Ostie pour le IVe siècle avant notre ère ; justification aussi, le succès avec lequel on arrive à déterminer le jour anniversaire des fondations en comparant l’orientation du decumanus maximus et celle du lever du soleil aux divers jours de l’année.
Est ce que les fondations sacrées de Rome relèvent d’un rite étrusque ? Telle est la question concernant la Roma Quadrata.
Les partisans de l’influence étrusque, vont très loin ; ils n’hésitent pas à attribuer à la royauté toscane la fondation de la Roma quadrata sur le Germal, fondation qui aurait eu lieu non au VIIIème siècle, en 754-753, mais au milieu du VIIème siècle. Tous les récits relatifs à la période fédérative antérieure seraient ainsi des inventions calquées sur des légendes : les Romains, refusant d’admettre que leur ville devait sa naissance à des étrangers, auraient imaginé de toutes pièces une histoire plus lointaine, d’après des fables mythologiques. Les partisans de ce système perdent de vue que le rite étrusque relatif aux fondations de ville se retrouve en de nombreux pays, tant dans l’antiquité que dans l’ethnographie, sans qu’on puisse l’attribuer à la présence ou à l’influence de ceux dont il porte le nom. Les Etrusques, d’ailleurs, l’avaient eux-mêmes reçu d’autres nations.
La division cruciforme de l’espace, sur laquelle il repose principalement, se rencontre, en effet, partout à partir du néolithique. La croix à branches égales, signifiant l’irradiation du mana transcendant, dans les quatre régions spatiales, à partir d’un point ou pôle central (souvent laissé en blanc pour indiquer qu’il ne ressortissait pas lui-même à l’espace : voir à cet égard les croix akkadiennes de la Chaldée), fut le grand symbole de la théocratie néolithique, soit sous sa forme simple, soit sous son aspect de croix gammée ou swastika (qui ajoute à l’idée l’espace, celle de temps, autrement dit celle d’une rotation des choses spatiales autour du pôle transcendant de radiance). La division quadripartite de l’étendue physique division quintipartite, si l’on compte à part la région où se situe le pôle central d’irradiation – est la notion la plus ancienne qui ait servi de base à l’organisation sociale.
Dès une distante époque, elle se découvre jusqu’en Chine ; au milieu du troisième millénaire avant notre ère, l’empereur Yao, se rendit, au surplus, d’après les annales chinoises, dans l’Ile des Quatre Maîtres : indication qui nous montre d’où procédait la division quadri, quinti, partite ; elle venait de l’Ile Sainte nordique, de cette Thulé, que, sous un nom ou sous un autre, n’ignora aucune des traditions de l’antiquité. Quand les récits chaldéens nous apprennent que les « dieux », avant le Déluge, fondèrent, en basse Mésopotamie, cinq villes, nommément désignées, ils se réfèrent à la même influence lointaine. Le signe cruciforme fut ainsi au néolithique le symbole religieux par excellence : cela, parce que, en raison de sa signification, il était, par excellence, initiatique, exprimant les rapports des forces physiques spatiales avec la matière radiante, d’où elles découlent ; il rappelait, en un mot, la subordination du monde visible au « monde souterrain ». Voilà pourquoi les États et les villes se fondaient, littéralement, des millénaires avant qu’il ne fût question d’une Étrurie, sur le signe de la croix. Rome n’eut certainement pas besoin de la royauté toscane pour connaître et pratiquer ce rite.

Quant au pomoerium, cette zone sacrosainte qui entourait les cités naissantes, il provenait également du néolithique, n’étant autre chose que le prolongement et la survivance de l’enceinte sacrée située au sommet des montagnes divines. Au début, quand les civilisateurs qui introduisaient les rites initiatiques enseignaient en même temps la culture des céréales ou de la vigne – culture qui fut d’abord un travail liturgique – c’est l’enceinte sacrée elle-même, autrement dit la hauteur sainte qui était utilisée comme champ de culture : ainsi s’explique que sur tant de tumuli et de mounds, édifiés artificiellement, on trouve des traces de culture, et que, sur des montagnes, d’Ecosse on montre encore les « sillons des fées » ; ainsi s’entend aussi avec clarté le mythe grec d’après lequel Démêter s’accouple avec Jasion dans un champ fraîchement labouré : ce champ faisait partie du sanctuaire, et était propre dès lors au rite hiérogamique.
Cette assimilation des villes nouvelles aux enceintes sacrées rend donc compte : a) que tant de cités aient été établies. comme les « hauts lieux », au sommet d’une montagne : b qu’elles aient reposé sur le signe de la croix, signe que l’on traçait dans l’air et sur le sol ; c) qu’elles aient été entourées d’un pomoerium ; d) que ce pomœrium ait été délimité au moyen d’un labour sacré, survivance de l’époque où la charrue sacrosainte, attelée de bœufs divins, auxquels on offrait des sacrifices, pratiquait rituellement le défoncement du sol sur la hauteur sacrée ; e) que la liturgie de fondation ait comporté l’aménagement ou l’édification d’une caverne, d’un monde souterrain, foyer de vie religieuse pour la communauté nouvelle.
La mort de Rémus et le sillon sacré

Selon la Tradition primordiale le rituel de la fondation d’une ville voulait que l’on trace un sillon en son pourtour pour en délimiter le périmètre, ainsi fit Romulus. Les anciens précisent même qu’il souleva trois fois la charrue pour désigner l’emplacement des portes :
- Aux abords du Lupercal (grotte mythique qui aurait été retrouvée en novembre 2007, elle aurait été le lieu où s’échoua le panier d’osier contenant les deux bébés jumeaux) qui menait au sommet du Palatin, vers la maison de Faustulus et d’Acca Larentia.
- Pour marquer la porta Mugonia .
- Puis il revint vers le début du sillon et définit l’emplacement de la porta Romanula . Le vulgaire appelle porte Romaine l’endroit où l’eau coule de l’épistyle. Les anciens nommaient d’ordinaire ce lieu les Statues Cinciennes, parce que l’on y voyait le tombeau de la famille Cincia. Mais la porte Romaine fut construite par Romulus au bas de la descente de la Victoire; cet endroit est disposé en carré et garni de degrés. Elle était appelée Romaine surtout par les Sabins, parce qu’elle était pour eux l’entrée de Rome la plus voisine. Festus.
Une fois le cadre sacré (pomeorium ) crée par le sillon du au soc de la charrue (attelée à un taureau et à une génisse) survint la mort de Rémus. Pour l’expliquer, les historiens anciens ne sont pas d’accord entre eux, il y a donc deux versions :
1- Pour se moquer de son frère, il aurait sauté par-dessus le sillon sacré, Romulus l’aurait, alors, transpercé de son épée sous le coup de la colère.
2- Il aurait été frappé d’un coup de pelle par le centurion Celer pendant la bagarre qui aurait suivi l’interprétation du vol des vautours.
Il existe même une troisième version, celle d’Ovide, qui nous dit que le centurion Celer aurait tué Rémus en respectant les ordres de Romulus qui lui enjoignait de frapper quiconque aurait franchi le sillon : « Céler presse les travaux, appelé à cet emploi par Romulus lui-même: « Veille ici, lui avait-il dit, veille à ce que personne ne franchisse les murs et le sillon tracé par la charrue. Punis de mort celui qui l’oserait. » Rémus, ignorant cette défense, se met à rire de la faiblesse des remparts: « Vous croyez que le peuple sera bien en sûreté derrière ces murailles? » dit-il, et en même temps il saute par-dessus. Céler paie sa bravade d’un coup de hoyau, et Rémus tombe à terre, baigné dans son sang. » Fastes, IV, 839-844.
En souvenir de cette mort et pour soulager son chagrin, il institua la fête des Lémuria : « Quand Romulus eut renfermé dans le tombeau les mânes de son frère, et rendu les derniers devoirs à Rémus, qui avait été trop agile pour son malheur, Faustulus, plongé dans l’affliction, et Acca, les cheveux épars, arrosaient de pleurs ses os consumés par la flamme. Ils regagnent ensuite tristement leur demeure, aux premières ombres du crépuscule, et s’étendent sur leur couche dure et grossière. L’ombre ensanglantée de Rémus leur apparaît, se dresse au pied du lit… » Ovide, fastes, V, 419.

Lutecia quadrata : voir aussi notre ouvrage déjà paru et en stock : reste quelques exemplaires

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