Mysticisme et discipline tibétaine : Alexandra David Neel et Lotus de Païni

à gauche Lotus de Païni, à droite la célèbre Alexandra David Neel qui fut la première femme occidentale à se rendre au Tibet. Deux grandes orientaliste. Lotus de Païni s’y rendit également et suivi ses traces dix ans après. Elle finança et aida Rudolf Steiner à la réalisation du Goethanum mais toutes les traces de ses généreux dons ont été volontairement effacés. C’est vraisemblablement au musée Guimet qu’elles firent connaissance.

 

La philosophie religieuse des Tibétains soulève un grand problème. Cette philosophie serait-elle vraiment une importation de l’Inde ? Et alors serait-elle une création du génie aryen ?

Les dates : mais qui peut tabler sur une chronologie si lointaine, établie approximativement par des hommes peu enclins, de par leur nature même tournée vers le dedans, à supputer les temps extérieurs ? Les textes bouddhistes donnent chacun selon leurs provenances, une date différente pour la venue de Bouddha : les textes Népalais parlent du XIe siècle avant l’ère nouvelle, ceux du Sud, du VlIe, les stèles d’Açoka, du Ve… Qui croire ?

Laissons donc de côté ces dates qui toutes se contredisent et recherchons la solution du problème dans la psychologie des races même ; c’est là le critère le moins douteux. Alors, tout de suite, nous constatons ce fait qui apparaît d’une grande évidence. Pendant que le bouddhisme ne peut vivre au-delà de trois siècles aux Indes et qu’il en est définitivement extirpé, il apparaît inné au génie des jaunes ; en Chine, au Tibet, au Japon, là, il vit paisible, faisant corps avec la vie sociale tant il répond à l’idiosyncrasie religieuse positive de ces races ; et cela a un grand poids.

Nous savons aujourd’hui que le bouddhisme a eu son temps de grand fanatisme dans l’Inde, de violence même. Ce philosophisme religieux d’un caractère universel et athéiste ne pouvait être vécu profondément par les Aryas brahmanes, car il ne répondait pas à leur tempérament religieux essentiellement panthéiste. En Inde, le bouddhisme ne sut pas créer une littérature nationale, malgré la beauté de ses légendes il mourut de décrépitude… Il arriva au quiétisme, à la somnolence d’un monachisme qui s’endormit dans le Vihara, puis alla se perdre dans le Shivaïsme.

« On n’est pas encore fixé sur la race du Bouddha », dit Bumouf, dans « l’introduction au bouddhisme ».

C’est qu’en effet les Sakias, chefs de tribus au Népal dans les contreforts de l’Himalaya, étaient, selon toute probabilité des « jaunes » provenant des régions tibétaines qui, à cette époque, possédaient des centres de fortes civilisations. Les Aryas qui s’étaient implantés dans l’Inde sur un fonds de très vieilles races dont il est difficile de préciser l’origine, mais qui toutes étaient régies religieusement par la magie, ne dominaient alors que dans l’étroite vallée du Gange et dans le Punjab. Le Népal restait en dehors de leur conquête.

D’autre part, Sakia Mouni est certainement un « jaune » par son caractère positif, par la sobriété, la modération de son attitude mentale qui contraste nettement avec la prolixité religieuse de l’Inde. Evitant les discussions théologiques qui sont le propre de l’Hindou, il s’en sépare par le positivisme, le scepticisme, l’athéisme même de son jugement, il s’en sépare par l’esprit d’analyse, de critique, d’observation, de classement dont sa doctrine est imprégnée, qualités qui sont celles des mystiques de la race jaune.

Bouddha se montre être un « asiatique» par sa façon simple et profonde de voir les choses, au milieu d’une race débordante d’imagination où le moindre fait religieux prend aussitôt l’allure épique, atteint toujours l’hyperbole et devient un mythe.

Bouddha se caractérise par une grande simplicité humaine, un immense amour des êtres, un profond sentiment d’égalité entre les hommes, une compassion si complète, si absolue que les religions ultérieures ne sauraient l’égaler et ne sont, sous d’autres formes, que des démarquages de la grande Figure asiate et des adaptations aux races.

Bouddha, par ses traits profonds, s’apparente à la race jaune dont les grandes Individualités : Lao Tse, Confucius, Mencius, posent, en tête de leurs doctrines, la même loi humaine d’égalité et d’amour : « Les hommes doivent s’aimer entre eux », dit Lao Tse. « Réponds au mal par la justice et la bonté », dit Confucius. « Le peuple est l’égal du Prince », dit Mencius. Le vieux livre Li yu nous a conservé ces mots précieux…

Ce que l’on considère comme la philosophie religieuse de Bouddha est une profonde psychologie expérimentale de l’homme : il n’existe pas de Dieu, l’Homme seul existe, l’Homme auquel il prête des profondeurs insondables et des puissances cosmogoniques. L’homme est son juge ! Bouddha veut l’homme libre dans le sens le plus haut, profondément solidaire de tous les autres hommes, profondément solidaire de toute la nature, qui n’est autre que sa projection psychique. Bouddha est un révolutionnaire sur le plan spirituel !

Il est dit dans la vie de Bouddha, que le moine Sakia rejette toutes les disciplines des couvents de l’Inde comme inefficaces et s’entraîne par sa propre méthode de méditation. Ici de nouveau la race jaune reparaît. Sakia rejette la discipline des Aryas pour, très vraisemblablement, revenir aux vieilles traditions psychiques des Bonpas de race mongole. Enseignement secret, de caractère magique, qui, dans le Tibet, se transmet oralement depuis les temps les plus lointains et qui, en partie, prévaut encore aujourd’hui dans l’entraînement mystique.

Un lama dit à Mme David Neel, lors de son long séjour dans le Tibet, que les théories hardies concernant la liberté absolue et l’étroite vallée du Gange et dans le Penjab. Le Népal restait en dehors de leur conquête.

D’autre part, Sakia Mouni est typiquement un asiatique par son caractère positif, par la sobriété, la modération de son attitude mentale qui contraste nettement avec la prolixité religieuse de l’Inde. Évitant les discussions théologiques qui sont le propre de l’Hindou, il s’en sépare par le positivisme, le scepticisme, l’athéisme même de son jugement, il s’en sépare par l’esprit d’analyse, de critique, d’observation, de classement dont sa doctrine est imprégnée, qualités qui sont celles des mystiques de la race jaune.

Bouddha se montre un «asiatique » par sa façon simple et profonde de voir les choses, au milieu d’une race débordante d’imagination où le moindre fait religieux prend aussitôt l’allure épique, atteint toujours l’hyperbole et devient un mythe.

Bouddha se caractérise par une grande simplicité humaine, un immense amour des êtres, un profond sentiment d’égalité entre les hommes, une compassion si complète, si absolue que les religions ultérieures ne sauraient l’égaler et ne sont, sous d’autres formes, que des démarquages de la grande Figure asiate et des adaptations aux races.

Bouddha, par ses traits profonds, s’apparente à la race « jaune » dont les grandes Individualités : Lao-Tseu, Confucius, Mencius, posent, en tête de leurs doctrines, la même loi humaine d’égalité et d’amour : « Les hommes doivent s’aimer entre eux », dit Lao-Tseu. « Réponds au mal par la justice et la bonté », dit Confucius. « Le peuple est l’égal du Prince », dit Mencius. Le vieux livre Li yu nous a conservé ces mots précieux…

Ce que l’on considère comme la philosophie religieuse de Bouddha est une profonde psychologie expérimentale de l’homme : il n’existe pas de Dieu, l’Homme seul existe, l’Homme auquel il prête des profondeurs insondables et des puissances cosmogoniques. L’homme est son juge ! Bouddha veut l’homme libre dans le sens le plus haut, profondément solidaire de tous les autres hommes, profondément solidaire de toute la nature, qui n’est autre que sa projection psychique. Bouddha est un révolutionnaire sur le plan spirituel !

Fred Campoy et Mathieu Blanchot, Une vie avec Alexandra Neel, éditions Grand Angle

Il est dit dans la vie de Bouddha, que le moine Sakia rejette toutes les disciplines des couvents de l’Inde comme inefficaces et s’entraîne par sa propre méthode de méditation. Ici de nouveau la race jaune reparaît. Sakia rejette la discipline des Aryas pour, très vraisemblablement, revenir aux vieilles traditions psychiques des Bonpas de race mongole. Enseignement secret, de caractère magique, qui, dans le Tibet, se transmet oralement depuis les temps les plus lointains et qui, en partie, prévaut encore aujourd’hui dans l’entraînement mystique.

Un lama dit à Mme David Neel, lors de son long séjour dans le Tibet, que les théories hardies concernant la liberté absolue et l’affranchissement de toute règle religieuse professée par les adeptes les plus avancés de « l’affranchissement de toute règle religieuse professée par les adeptes les plus avancés de « la voie directe » (entraînement supérieur des mystiques mongols) étaient un écho affaibli de l’enseignement existant de temps immémorial dans l’Asie centrale et septentrionale.

En effet, il y a encore des villages entiers qui sont de traditions Bon et les familles qui sont dépositaires de la vieille religion et qui se la transmettent de père en fils sont toutes l’objet d’un grand respect. C’est parmi ces familles que l’on choisit de coutume les magistrats et les administrateurs dont on exige la plus parfaite intégrité.

En considération de ceci, le Bouddhisme de l’Himalaya apparaît non comme une importation étrangère relativement récente, ainsi qu’on l’a établi, mais comme une réforme, une adaptation intellectuelle d’une très vieille doctrine déjà existante. D’ailleurs au Tibet même on est partisan de la race de Bouddha. Les voyageurs qui n’ont approché que les frontières du Tibet et qui, à cause de cela, se sont formé une opinion très superficielle de sa race et de ses superstitions populaires, seraient très étonnés de connaître les idées curieusement rationalistes, étrangement sceptiques de ces hommes.

Les Tibétains sont jaloux de leur religion ; une très petite collectivité très remarquable a conservé la pureté de leurs traditions spirituelles aux dépens même de leurs intérêts, l’autre masse est restée ignorante.

Voici donc les grands traits de cet entraînement mystique au pays des neiges. Les indications très particulières que donnent Mme David Neel sur les écoles d’ascèse au Tibet — où elle séjourna onze ans — me seront infiniment précieuses par leur clarté et leur précision. Toutefois je réserverai comme de coutume mes déductions occultes.

Le mysticisme intégral du Tibet est un formidable travail d’unification psychique qui a pour fin la synthèse d’un enchaînement de vies successives formant un cycle humain ; ce cycle est régi par la loi de Transmigration ou loi de causes à effets : la graine fait le fruit, le fruit fait la graine,… la graine fait le fruit_ ainsi éternellement.

Ce travail d’unification psychique qui se fait en remontant de l’effet à la  cause et en descendant de la cause à l’effet atteint des proportions  cosmogoniques et met fin au tragique déterminisme des transmigrations.

Le saint des saints du grand temple de Lhassa contient un symbole mystérieux nommé SAMSARA : mot qui veut dire : le cercle des renaissances !

Lorsqu’un jeune moine désire se consacrer à la vie contemplative, son premier geste est d’abandonner le ritualisme monacal. Il le rejette comme inefficace, la religion ne pouvant rien lui apprendre. Indépendant, libre de tous préjugés — ce qui est capital pour la voie psychique où il s’engage — il choisit son maître qui le guidera dans la marche psychique très longue, extrêmement dangereuse qu’il va entreprendre. Puis il s’isolera dans les régions les plus sauvages des solitudes désertiques et se plongera dans le silence de son « être corporel ». Sa concentration sera totale. Son maître n’exigera de lui que de la volonté, une volonté inébranlable, inflexible, qui pourra le conduire, s’il n’est pas assez fort psychiquement, à la folie ou à la mort. Il accepte, « il entre dans le courant », c’est la phrase consacrée indiquant la plongée du candidat dans le fleuve silencieux de l’obscur psychisme redoutable de l’inconscient.

L’attitude intérieure du novice tibétain est un fait paradoxal très remarquable, car elle découle à la fois de son scepticisme et de son extrême sensitivité, celle-ci le faisant réagir à toute l’ambiance pleine du mystérieux  occulte si puissant de ces immenses régions toujours balayées par le grand souffle des dieux… Il ne croit pas en un Dieu personnel dont il serait la créature, c’est lui qui veut, c’est lui seul qui atteindra son propre insondable… mais en même temps il sent le fort psychisme qui monte des choses et les fait profondément vivantes auprès de lui ; tout respire intérieurement dans le vaste univers, tout est peuplé d’êtres impondérables qui lui apparaissent étranges dans ce monde obscur. A tous ces psychismes formidables qui lui sont hostiles, il va en lutteur, il va libre de toute contrainte, de tout préjugé.

L’œuvre au rouge

Il n’obéit à son maître que dans la mesure où celui-ci lui donne une façon de vivre, une discipline conforme à sa nature et au but qu’il veut atteindre. Nulle doctrine ne lui est imposée, il est toujours en demeure de croire, de nier ou de douter, selon ses propres convictions. D’ailleurs, le maître, toujours expert en psychologie profonde, donne à chacun de ses élèves une orientation appropriée, individuelle, refusant de mâter et de faire entrer par la force dans un même moule les âmes toujours si diverses entre elles. Ici se montre nettement ce savoir spirituel si curieux du « psychique » de l’homme asiate. Ce maniement supérieur de l’impondérable dans la nature humaine des maîtres du Tibet est l’incontestable valeur des mysticismes mongols.

« J’ai entendu, dit Mme Neel, un lama dire que le rôle du maître de la voie directe consiste, en premier lieu, à diriger un défrichement, incitant son élève à se débarrasser des croyances, des idées, des habitudes acquises et des tendances innées, de tout ce qui a crû dans son esprit, par l’effet des semences qui ont été déposées au cours d’existences successives dont l’origine se perd dans la nuit des temps ». Ces simples indications nous montrent tout de suite l’envergure du travail mystique dans la vieille race, travail de désagrégation qui se fait dans la large trame tissée à travers le temps dans l’éternité de la mémoire profonde.

Quel que soit le but vers lequel tend le jeune novice : la magie, les pouvoirs psychiques ou les plus hautes contemplations du Mysticisme l’entraînement psychique est le même. Extrêmement dangereux parce qu’il est une émancipation de la puissance spirituelle des forces organiques, une dépolarisation complète. Si le novice a la force morale de ne pas se laisser arrêter, de pousser toujours plus en avant, de dépasser les étapes psychiques dangereuses et toujours fascinantes, il atteindra les très hauts sommets du grand mysticisme. Un tel être est rare !

Tout l’entraînement mystique se fonde sur une puissance croissante de l’attention. L’attention doit se concentrer sur son sujet jusqu’à identification complète.

Il y a un amusant petit conte symbolique au Tibet, bien connu. Un jeune homme prie un anachorète de le guider dans la voie spirituelle. Ce dernier souhaite qu’il s’entraîne, tout d’abord, à la concentration de l’esprit. « A quelle occupation vous livrez-vous d’ordinaire ? » demande-t-il à l’aspirant. « Je garde les yaks », répond celui-ci. « Bon, dit le gomtchène, méditez sur un yak. » Il lui indique une hutte ou une caverne quelque peu aménagée en logis, comme il y en a beaucoup au Tibet dans les régions parcourues par les pasteurs, et le jeune homme s’y installe. Au bout de quelques temps, le maître se rend à l’endroit où il l’a laissé en méditation et l’appelle, lui enjoignant de venir à lui. Son disciple l’entend, se lève et veut franchir l’ouverture formant l’entrée de son abri. Mais, sa « méditation » a atteint le but visé ; il s’est identifié avec l’objet sur lequel il a dirigé ses pensées, si bien identifié même, qu’il a perdu la conscience de sa propre personnalité et il répond, tout en luttant dans l’ouverture comme s’il était arrêté par un obstacle : « Je ne puis pas sortir, mes cornes m’en empêchent. » Il se sentait yak.

Le novice doit devenir le maître absolu de son psychisme.

Il commencera sa discipline par l’examen du mouvement rapide et vagabond de la pensée. Il la regardera d’abord, l’observant simplement, paisiblement, la laissant courir, puis il l’arrêtera et se concentrera sur un point jusqu’à ce que son immobilité extérieure et intérieure devenant réelle, il pourra poursuivre les autres exercices. Alors il entreprendra le grand travail d’élimination et les exercices psychiques d’assouplissement : destruction, construction, déplacement de conscience, identification, transfert, etc…

Ce travail extrêmement long et extrêmement dur lui donnera une activité mentale prodigieuse d’où sa volonté sortira d’acier, se libèrera de la logique intellectuelle, le fera libre, indépendant de ses énergies cérébrales, les lui montrant relatives, subordonnées à sa volonté personnelle ; il sera prêt pour le grand courant cosmique, pour la contemplation pure… Son psychisme sera maté, son contrôle sera absolu, il sera réel candidat au mysticisme intégral.

Voici maintenant dans leurs détails quelques-uns des exercices de l’ascèse tibétaine :

Les deux exercices du début, comme je viens de le dire, consistent l’un à considérer calmement le mouvement perpétuel de l’esprit sans l’entraver, l’autre, au contraire, à arrêter son vagabondage sans fin, en concentrant son attention sur un objet unique. Ces deux exercices ou bien alterneront ou bien se pratiqueront dans la même journée, ou bien se succèderont sans intervalle sur les indications du maître. Les exercices du début seront suivis par les exercices de destruction et construction.

La faculté psychique de détruire et de construire est acquise de la façon suivante : le novice fera revivre dans sa mémoire un paysage quelconque déjà vu, un jardin par exemple. Il le reconstituera tout entier, puis l’observera dans tous ses détails : les fleurs, leurs différentes espèces, la manière dont elles sont groupées, les arbres, leur hauteur, la forme de leurs branches, leur feuillage, etc… Lorsqu’il aura rendu l’image très nette, vivante, qu’il la verra aussi bien les yeux ouverts que fermés, il la détruira lentement, l’éliminant par le détail. Les fleurs perdront graduellement leurs couleurs, puis leurs formes, puis disparaîtront. Les arbres se dépouilleront de leurs feuilles, leurs branches se rétréciront, paraîtront entrer dans le tronc qui, lui aussi, s’amincira et deviendra une simple ligne de plus en plus ténue jusqu’à ce qu’elle cesse d’être visible. Enfin les pierres, la terre, le sol, disparaîtront à leur tour…

Cet exercice devenant de plus en plus familier, le novice l’approfondira, il en fera une construction et une élimination purement spirituelles. Il évoquera la forme d’une déité, lui donnera la vie et le mouvement, et, se concentrant sur cette figure, il en verra sortir d’autres formes, qui lui seront semblables ou différentes. Quand ces formes secondaires atteindront une grande netteté, elles pâliront, s’estomperont et se résorberont lentement dans la figure centrale d’où elles sont sorties ; celle-ci, à son tour, commencera à s’effacer, les pieds d’abord, les jambes ensuite, etc…, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un point infime, tour à tour sombre, coloré, lumineux ; alors ce point s’approchera du méditatif et s’absorbera en lui. L’endroit du corps dans lequel il aura disparu sera noté par le maître.

Le jeu est dangereux et le disciple doit devenir très fort pour s’y exercer, car ces formations psychiques qu’il parvient à construire de toutes pièces et dans lesquelles il insuffle la vie, le mouvement, acquièrent une existence automatique d’une activité incroyable, qui devient nuisible s’il ne peut les dissoudre complètement ; on appelle ces créations des tulpas. Seules, les tulpas des Bouddhas sont bienfaisantes.

A ces exercices de destruction et de construction suivront ceux d’identification et de transfert :

(à suivre dans le livre …)

La force psychique, acquise par l’homme qui peut vivre « éveillé » de telles expériences, est très considérable, et d’une puissance difficilement concevable.

Lentement, au cours d’années de silence et de concentration tenaces, le disciple se dégage de toute sa routine psychique, de toutes ses enclaves spirituelles et héréditaires. Il est devenu extrêmement souple, extrêmement objectif et peut aborder désormais la complète dépolarisation psychique de son être tout entier. Il est sorti de lui-même, il a trouvé son point d’attache cosmique et se regarde de loin. Il est en passe d’acquérir « l’Impersonnalité » requise. II est prêt à déplacer sa conscience de veille dans son corps.

Voici l’exercice : nous sentons notre moi dans notre tête, à cause de cela nos bras nous apparaissent des annexes de notre corps et nos pieds des parties éloignées, des extrémités, c’est-à-dire des objets pour notre moi-sujet. L’exercice tibétain consistera à déplacer cette conscience-sujet et à la transférer dans l’organisme-objet, « la main par exemple. Le disciple se sentira « main », comme il se sentait cerveau ; il se sentira une paume à cinq doigts, situés à l’extrémité d’une longue attache pendue à une grande masse mouvante. Son attention, sa perception, sa pensée, seront dans sa main. Cœur, tête… seront devenus des annexes, des extrémités, des régions éloignées. Il répétera, sans se lasser, cet exercice extrêmement dur jusqu’à ce qu’il parvienne à « déplacer » son centre de conscience aussi naturellement qu’il respire… Cet homme est dès lors déraciné !

A ce propos, un Lama dit à Mme David Neel : « Vous voyez bien qu’on peut ressentir l’esprit en plusieurs endroits ; puisque certaines gens éprouvent la sensation de penser dans leur tête et que, nous Tibétains, nous l’éprouvons dans notre cœur, on peut croire qu’il est tout aussi possible d’avoir l’impression de penser dans son pied. D’ailleurs, tout cela n’est que sensation trompeuse sans l’ombre de réalité. L’esprit n’est ni dans le cœur, ni dans la tête. C’est pour apprendre cela, pour ne pas emprisonner l’esprit dans le corps que ces pratiques sont faites. »

Ces quelques exercices pris dans la masse des disciplines spirituelles tibétaines, mais qui cependant suffisent, me semble-t-il, à indiquer la marche suivie et la qualité profondément originale de l’entraînement occulte de ces hommes, ces exercices ont donc pour effet une entière dislocation psychique du mécanisme intérieur mental et une sortie consciente méthodique de tout le « psychique » du corps. Seulement alors, entièrement libéré de la lourde entrave matérielle, l’aspirant au grand mysticisme intégral, peut entrer dans les états dynamiques de la mémoire profonde cosmique… Il pénètre dans des états supérieurs qu’il n’est plus possible de décrire intellectuellement.

Cet homme est le maître de sa pensée. Il connaît à fond la complexité décevante de son rouage intellectuel. Il connaît tous les « aîtres » de son psychisme vivants et il jauge la force de sa volonté qui est le seul levier de son monde profond. Il sait, pertinemment, par son expérience même, que les formes mentales, les images qui remplissent son esprit, ces images qui, autrefois, le fascinaient, l’obsédaient, auxquelles il obéissait, sont sa création, qu’il les a bâties de toutes pièces. Aujourd’hui, ces mystérieuses formes, il les fait et les défait à son gré… Lui est esprit pur… sa volonté est devenue d’acier, son impersonnalité de plus en plus forte l’entraîne dans l’hallucinant psychisme organique car il peut, maintenant, toucher au passionnel de son être « affectif », il peut toucher à ses impulsions les plus profondes, les plus instinctives, les plus émotionnelles. Il peut tenter les désagrégations les plus effroyables, comme il s’en fait dans l’épreuve’ terrible du Tcheud7 — épreuve qui repose entièrement sur les forces les plus intimes de son être… sur ses forces spirituelles d’amour…

Il peut donc se soumettre — maintenant qu’il est éprouvé mentalement — à des entraînements qui consistent à vivre l’expérience des passions. Les épreuves spécifiques auxquelles se soumettent, sur l’avis de leur guide spirituel, certains de ces hommes selon le but à atteindre, ceux dont le tempérament l’exige ou simplement ceux qui veulent mesurer leurs forces, sont très périlleuses et leur efficacité quant aux résultats est à peine croyable, notamment en ce qui concerne « le sens génital », nous dit Mme David Neel.

En effet, ce sens génital doit être entièrement maté. Dans le lotus de la bonne loi il est dit : « Il est Boddhisatva quand il ne se dit plus : c’est une femme. »

L’ardent et profond psychisme houleux de l’organisme doit devenir comme un grand lac paisible où toutes les lignes très pures des choses se reflètent. Les grands états de la contemplation ne peuvent se vivre que dans cette paix immense !…

La discipline Tibétaine est une âpre conquête de l’esprit pur ; rien n’est laissé à l’aventure dans le démembrement intérieur.

La prière du cœur :

En plus de cette rude discipline mentale et effective, il y a des exercices physiologiques d’une grande puissance, facilitant le jeu psychique des organes. Ces exercices consistent en un système de respiration, ayant pour fin de rythmer, d’une façon particulière, les centres neuronaux du bulbe et de la moelle épinière. Ils les rythment afin de faciliter la dépolarisation psychique du corps pendant la conscience de veille. Ces rythmes augmentant le carbone et la sécrétion des endocrines dans la circulation sanguine déterminent un état de « sommeil éveillé ».

Le but de ce rythme respiratoire est d’imprimer à tout le psychisme des éléments que nous appelons histologiques, la tendance à se mouvoir dans une même direction, à provoquer par là un dynamisme unilatéral entraînant toute le psychisme organique dans un même sens. Ce dynamisme unilatéral acquiert, par la très forte concentration mentale de l’adepte, une puissance considérable et supprime peu à peu les forces psychiques contraires, ascendantes et latérales, qui courent le long de sa colonne vertébrale ; par cette suppression se déclenche la force centrale de la moelle épinière dont le point d’origine est le foyer nerveux du plexus sacré. Cette force centrale « kundalini » de son nom sanscrit, est un psychisme formidable de puissance et d’une essence PUREMENT SYNTHÉTIQUE. Eveillée, kundalini, qui est le grand cobra sacré de Vishnou, dans le symbolisme asiatique, l’Ureus, en Egypte, se déroule, se dresse, lové et va battre dans le bulbe qui s’éclaire ! Dès lors, l’épine dorsale et le bulbe forment une même lumière très puissante qui fait de tout le corps une colossale batterie de volontés !

Cette discipline physiologique est de la magie immédiate, la grande science du souffle : « Le souffle est la monture, l’esprit, le cavalier », dit la mystique tibétaine.

Les exercices respiratoires sont très particuliers et consistent en respirations alternées par l’occlusion parfaite des narines, tantôt de droite, tantôt de gauche : l’aspir fort, plein, rapide, l’expir très lent, retenant l’air, qui se carbonise. Cette retenue doit se faire de plus en plus prolongée. Ces exercices d’aspir et d’expir se font à des heures précises, suivant le mouvement sidéral des astres : aspir fort et court, expir lent. Tout l’air est engouffré, c’est une communion cosmique de tous les instants, extrêmement importante pour le myste qui doit devenir un élément de force universelle et s’épandre jusqu’à contenir l’âme des mondes.

Ces rythmes sont « extrêmement dangereux » s’ils ne sont pas étroitement guidés, surveillés et contrôlés par le maître et s’ils ne sont pas accompagnés d’un pouvoir de « concentration absolu » et d’un puissant contrôle mental. Ils peuvent détraquer l’organisme pour toujours.

On retrouve, comme de juste, des traces de ces exercices de respiration dans l’ascèse d’Europe, mais ce ne sont que de simples survivances dont on a perdu complètement le sens spirituellement physiologique et la précision scientifique. Au XVIe siècle, on pressent encore l’importance de la respiration. Au XVIIIe siècle, on ne la comprend plus. Aujourd’hui, les auteurs en mystique la suppriment comme sans signification.

Dans les exercices spirituels de Loyola, Ignace parle de respirations : « La manière de prier, dit-il, consiste à réfléchir sur les commandements de Dieu, les sept péchés capitaux, les trois puissances de l’âme et les cinq sens corporels. Aux trois manières de prier de cœur, j’en ajouterai une quatrième. Cette prière consiste à prier de cœur et à dire de bouche, à chaque respiration ou soupir, une parole de l’oraison dominicale ou d’une autre prière, de manière à ne prononcer qu’une seule parole entre une respiration et l’autre. Et l’espace qui s’écoule d’une respiration à l’autre doit s’employer à considérer spécialement la signification de cette parole ou l’excellence de la personne à laquelle on s’adresse, etc… On prononce de la même manière toutes les paroles du Pater. — Première règle. — Le jour suivant à une autre heure du même jour où l’on désirait prier de cette manière, on récitera la salutation angélique en mesure, c’est-à-dire en encadrant chaque mot de respiration ou souffle, etc… »

L’intention est très évidente, mais la souvenance est vague, le sens est perdu, la respiration n’est plus qu’un mouvement de compas qui rythme la prière.

François de Sales fait encore cas de la respiration. Il dira, dans son introduction à la Vie Dévote : « Rythmez le feu de votre respiration du matin en votre cœur par une douzaine de vives respirations, humilité et élancement amoureux, etc… »

Extrait de « Vie mystique et mysticisme intégral »

avec inclus « Le mysticisme intégral »

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Wagner et le cycle arthurien, Rituel R+C, du Mysticisme intégral (publié pour la première fois depuis 70 ans) etc …