On sait que René Guénon entretenait une correspondance suivie avec plusieurs auteurs entre 1908 et 1914. Les divulgations sur les « Guildes opératives » sont dues essentiellement à Clement Stretton, Thomas Carr et John Yarker, Rappelons, en premier lieu, que ceux que l’on a pris l’habitude de nommer, par abréviation, les « Opératifs », terme aussi détestable que celui de spéculatif auquel ils sont censés être opposés ! Qui sont-ils à cette époque ? Ce sont les membres de « The Worshipful Society of Free Masons » dont l’appellation complète est : « The Worshipful Society of Free Masons, Rough Masons, Wallers, Slaters, Paviors, Plasterers and Bricklayers », ou « Vénérable Société des Maçons Libres, Maçons-de-gros-oeuvre, Edificateurs de murs, Ardoisiers, Paveurs, Plâtriers et Briqueteurs ». Cette Société, dans ses statuts, est dite avoir été « fondée » en 1913, mais cette date marque seulement, en réalité, le passage du statut invisible à celui d’officiel. Ils étaient depuis bien plus longtemps. C’est de cette correspondance que René Guénon obtiendra l’essentiel de ses sources correspondant au rôle des 3 baguettes que nous allons détailler ci-après.

Dans leurs écrits les trois auteurs précités opposent d’ailleurs, en tant qu’organisme « régulier » à leurs yeux, The Worshipful Society à l’irrégularité de la Grande Loge Unie d’Angleterre à laquelle ils reprochaient les circonstances qui avaient vu naître en 1717 celle qui devait lui donner naissance à la Grande Loge de Londres, et qui en serait, en 1813, une altération avec de nombreux contre sens qui ont profondément obscurci le message écossais.
C’est donc bien à ces divulgations que René Guénon fait expressément référence dans le chapitre « Paroles perdue et mots substitués » de ses « Etudes sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage ». Citons in extenso le passage dans lequel il précise les conditions d’ouverture d’une loge opérative : « Une loge opérative ne peut être ouverte que par le concours de trois Maîtres, ayant en leur possession trois baguettes dont les longueurs respectives sont dans les rapports des nombres 3, 4 et 5 ; c’est seulement quand ces trois baguettes ont été rapprochées et assemblées de façon à former le triangle rectangle pythagoricien que l’ouverture des travaux peut avoir lieu ».
Cet extrait est à mettre en parallèle avec ce que dit Charles Merz (un membre éminent des opératifs dans l’Ohio, il représentait la Worshipful society en Amerique par décision de la loge de York signée par Clément Stretton) dans son chapitre intitulé « Les trois baguettes » et qui reprend l’ensemble des divulgations antérieures sur la question, en particulier : « The Genuine Secrets of a Master Mason » et « Operative Free Masons and Operative Free Masonry » de Thomas Carr, ou encore « Operative Free Masonry » de Clement Stretton :
« Il a été dit que le Maître Maçon du troisième degré moderne ne trouve jamais ce qui a été perdu et personne ne peut le lui dire. Mais le VIIe degré opératif de Maître (chez les « opératifs » ) explique ce qui a été perdu et comment cela l’a été. C’est la baguette du troisième Grand Maître qui a été perdue, et de son usage et de sa connaissance corrects dépendent les précieux secrets de métier de la Guilde. Chaque Grand Maître avait une baguette de longueur exactement connue. Celle du Premier Grand Maître était de cinq pouces, pieds ou coudées, celle du Second Grand Maître de quatre et celle du Troisième Grand Maître de trois ; et ces Trois Grands Maîtres devaient se réunir et consentir à placer leurs baguette ensemble pour en faire un certain usage. En Égypte, ces trois baguettes étaient dédiées à Isis, Osiris et Horus, et chacune avait une couleur, respectivement noire, rouge et bleue, symbolisant le principe passif, le principe actif et leur progéniture. Dans la Guilde des Maçons Opératifs, chaque baguette est aussi en relation avec un nom déterminé, ce que comprendront les Compagnons de l’Arche Royale.
En assemblant ces baguettes ou règles, nous avons le triangle à angle droit de côtés 3, 4 et 5, et dont la surface est de 6. Un triangle formé de cette manière nous donne un angle droit, fait connu non seulement des ingénieurs et des géomètres d’aujourd’hui, mais aussi des architectes romains. Vitruve, architecte romain qui vivait peu de temps avant l’ère chrétienne. dans son célèbre traité d’architecture, dédié à César Auguste et publié en 25 av. J.-C., décrit avec précision comment il peut être réalisé dans le chapitre II de son 9e livre. Il dit : « Pythagore a démontré la méthode pour former un angle droit sans l’aide d’instruments d’ouvriers ; et ce qu’ils obtiennent à peu près non sans grande difficulté, peut être réalisé avec ces règles très facilement. Procurons-nous trois baguettes, l’une de 3 pieds, l’autre de 4 pieds et la troisième de 5 pieds de long, et joignons-les de sorte qu’elles se touchent à leurs extrémités : elles formeront alors un triangle dont l’un des angles sera un angle droit ».
Il est connu que ce triangle, qui est à la base de la 47e proposition d’Euclide, fut emprunté par Pythagore à Hur-Hamon, l’un des prêtres du soleil à Héliopolis, celui-ci l’ayant lui-même probablement obtenu des sages de l’Inde. Il fut inclus par Euclide dans son célèbre traité sous ce nom.
Pour utiliser les mots d’Euclide qui vivait deux siècles plus tard que Pythagore : « Le carré qui est porté par le côté sous-tendant l’angle droit est égal à la somme des carrés portés par les côtés qui forment l’angle droit ». Pour conclure dans les termes de Vitruve : « Quand Pythagore découvrit cette propriété, convaincu que les Muses l’avaient assisté dans sa découverte, il témoigna sa gratitude par un sacrifice ».
Cette propriété du triangle de côtés 3, 4 et 5 était sans nul doute connue de la race Touranienne et utilisée par elle avant l’époque de Pythagore, notamment dans la construction des temples égyptiens, mais Pythagore fut probablement le premier aryen à découvrir et comprendre sa valeur et ses principes » .
Nous avons souligné, dans le texte, que les trois baguettes sont assemblées pour un « certain usage ». Pouvons-nous, bien que les chapitres suivants de « Guild Masonry » ne le précisent en rien, ni d’ailleurs les autres divulgations des Opératifs, approcher ce que Charles Merz entendait par là ? Mais, auparavant, relevons ce que René Guénon dit de Clement Stretton dans une note de « La lettre G et le swastika » : « Clement Stretton fut, dit-on, le principal auteur d’une « restauration » des rituels opératifs dans laquelle certains éléments, perdus à la suite de circonstances qui n’ont jamais été complètement éclaircies, auraient été remplacés par des emprunts faits aux rituels spéculatifs et dont rien ne garantit la conformité avec ce qui existait anciennement ». Ceci n’est pas sans rapport avec ce que nous afformons, car le « certain usage », duquel rien ne transparaît de l’ensemble des divulgations des Opératifs — bien que dans le chapitre « Symbolism » de « Guild Masonry » il soit dit qu’il existe, dans une loge du VIIe degré, un « triangular agreement » entre les Trois Maîtres Maçons, ce qui explique « qu’à moins que les trois ne soient présents, rien ne peut être fait » (les trois souverains) , a été tenu dans le secret le plus absolu ou sa pratique a-t-elle été perdue par suite des altérations des rituels auxquelles René Guénon fait allusion et du passage de la Worshipful Society de l’opératif au spéculatif ? Dans ce dernier cas, par approches successives de traditions liées à l’exercice du métier et en se rappelant ces deux allusions : « un certain usage » et un « accord triangulaire », il nous est peut-être possible de comprendre de quoi il s’agissait.
Introduction à El Schaddaï

Un premier point à souligner est que le nom du Tout-Puissant, El Shaddaï, est constamment présent dans la pratique opérative. Prières d’ouverture et de fermeture des Travaux, obligations, serments, le nomment explicitement. La prière d’ouverture et de fermeture des Travaux du1er degré commence par ces mots : « Très Saint et Glorieux El Schaddaï, Grand Architecte du Ciel et de la Terre… » ; lors de la réception au grade d’Apprenti, à la question : « Dans tous les cas de danger et de difficulté en qui placez-vous votre confiance ? », le candidat doit répondre : « En El Schaddaï est toute ma confiance » ; l’obligation dite de Nemrod précise : « Moi, A. B., en présence d’El Schaddaï… » ; et l’obligation lue à l’Apprenti, datée de 1663, commence par : « Vous honorerez fidèlement El Schaddaï et Sa Sainte Eglise… ». Ces quelques références, et bien d’autres, peuvent être complétées par un aspect du rituel de fermeture de « l’Assemblage » qui, dans la Worshipful Society, est constitué par les loges du Ive au ler degrés : il existe, en effet, le Septuple Salut à El Schaddaï donné par trois fois sept coups, soit vingt et un coups, les coups étant frappés par le Surintendant des Travaux. Quand le Salut est donné au Tout-Puissant, tous les Frères se tournent vers l’est et le Premier Surveillant conduit le Salut qui consiste en un ensemble de gestes rituels figurant le triangle, le signe de supplication, l’Arche sacrée et le Dôme des cieux. Mais à aucun moment le nom divin d’El Schaddaï n’est prononcé : il s’agit en somme plus d’un acte de vénération que d’une invocation.
Or, l’importance même de l’invocation dans l’ancienne maçonnerie opérative — nous entendons ici celle du Moyen Age telle que nous l’avons déjà commenté dans notre ouvrage — a été soulignée parJean Tourniac qui, dans ses « Tracés de lumière » , a nettement mis en évidence que le nombre 345 était celui d’El Schaddaï, formé lui-même par l’addition de 31 (El) et 314 (Shaddaï).
Il est donc facile de voir que le secret opératif est lié au regroupement des trois côtés du triangle 3-4-5 (et Guénon est revenu sur ces points en d’autres passages de son œuvre, notamment à propos du côté 5 manquant à l’équerre du Vénérable Maître et symbolisant la disparition d’un des trois « Grands Maîtres » du Temple de Salomon) et a trait à la découverte de la parole perdue », laquelle est un nom divin invoqué par Abraham, de valeur 3-4-5 ou 345. On devine donc aisément qu’il s’agit du « Dieu Tout-Puissant » El Schaddaï ».
Quant à la nécessité d’une invocation, ou d’une incantation, support de la réalisation spirituelle sur le plan métaphysique, René Guénon, dans le chapitre « La prière et l’incantation » de ses « Aperçus sur l’Initiation », dit ceci : « elle est une aspiration de l’être vers l’Universel, afin d’obtenir […] une illumination intérieure qui, naturellement, pourra être plus ou moins complète suivant les cas. Ici, l’action de l’influence spirituelle doit être envisagée à l’état pur, si l’on peut s’exprimer ainsi : l’être, au lieu de chercher à la faire descendre sur lui comme il le fait dans le cas de la prière, tend au contraire à s’élever lui-même vers elle ». Il souligne ensuite que cette incantation, qui est en principe une opération tout intérieure, peut, dans un grand nombre de cas, être exprimée et « supportée » extérieurement par des paroles ou des gestes, constituant certains rites initiatiques, tels que le montra dans la tradition hindoue ou le dhikr dans la tradition islamique, et que l’on doit considérer comme déterminant des vibrations rythmiques qui ont une répercussion à travers un domaine plus ou moins étendu dans la série indéfinie des états de l’être ».
Avec le Septuple Salut à El Schaddaï avons-nous déjà une approche de l’existence d’une invocation dans l’ancienne maçonnerie opérative, et si nous voyons juste, il faut nous demander si une telle invocation a bien subsisté et si sa pérennité a été assurée, par le biais éventuel de cette Worshipful Society qui aurait pu ainsi transmettre des éléments rituels sur lesquels cette invocation serait venue en quelque sorte se « greffer » ?
ps : bien plus tard, René Guénon apprendra que sa mystérieuse source était en réalité une femme ! une « Dame » de la loge, – Miss Gosse dont nous saluons l’honorable mémoire – bel exemple de transmission réussie.

démonstration, du théorème de Pythagore par Léonard de Vinci :
ABC y est un triangle rectangle original, ACDE le carré construit sur son hypoténuse, ABFG et BCIH les carrés construits sur les côtés de l’angle droit.
L’idée originale de Léonard de Vinci est d’introduire deux triangles rectangles égaux à ABC supplémentaires DEJ et FHB. Voici un exposé détaillé de sa façon de s’en servir.

Les deux quadrilatères ABJE (en bleu) et DJBC (en vert) sont égaux car ils se superposent au moyen d’une rotation de 180°. La somme de leurs aires est égale à celle du carré construit sur l’hypoténuse plus deux fois celle du triangle rectangle.
On retrouve les mêmes quadrilatères en AGIC et FGIH sur le côté droit. Dans ce cas, ils se superposent par symétrie d’axe IBG. La somme de leurs aires est égale à la somme des aires des carrés construits sur les côtés de l’angle droit plus deux fois celles du triangle rectangle. On en déduit que l’aire du carré construit sur l’hypoténuse est égale à la somme des aires des carrés construits sur les côtés de l’angle droit, c’est-à-dire le théorème de Pythagore.


Vous devez être connecté pour poster un commentaire.