Une Atlantide dans le détroit de Gibraltar

Il y a plus de 12.000 ans avant le déluge le passage et les migrations par le détroit de Gibraltar n’était pas un obstacle majeur.

C’est en 2001 que parut, sous la signature du géologue et préhistorien Jacques Collina-Girard, un article intitulé « L’Atlantide devant le détroit de Gibraltar ? Mythe et géologie ». L’auteur s’y étonnait de ce qu’on soit allé chercher l’Atlantide ailleurs qu’en face des colonnes d’Hercule, données par Platon comme point de repère pour situer l’Atlantide. Il estimait dès lors qu’un lien devait exister entre le récit platonicien et la présence d’un haut-fond immergé à l’ouest du détroit de Gibraltar.

Platon avait situé l’île ou le continent Atlante en face des colonnes d’Hercules, réputées se trouver selon les uns entre la Sicile et la Tunisie et selon la majorité au niveau du détroit de Gibraltar, entre le Maroc et l’Espagne. L’idée de plusieurs scientifiques avaient donc été d’aller examiner de plus près les élévations se trouvant juste après Gibraltar, juste à la limite entre la mer et l’océan atlantique. Le rapport publié en 2005 a été sans appel : des îles ont bien été à l’air libre dans le passé à l’embouchure de la Méditerranée. Même si ces petites îles ne semblent pas montrer le puissant continent ou grande île décrite, les scientifiques pensent qu’il n’est pas impossible que leur disparition ait marqué l’Homme de l’époque, jusqu’à parvenir à Platon. De plus, cette demonstration des possibilités de l’existence de bandes de terres plus ou moins larges ayant émergées et disparues lors des effets tectoniques et des périodes glaciaires et inerglaciaires dans des périodes pas si lointaines de nous dans les temps géologiques permettent toutes suppositions, et en tout cas de ne pas clôre le débat sur le sujet. Rappel 2005 :

 » Le géologue Marc-André Gutscher (CNRS/Brest) apporte ainsi de l’eau au moulin d’un autre chercheur français, Jacques Collina-Girard, qui suggère que les îles du cap Spartel, situées en Méditerranée à l’ouest du détroit de Gibraltar, auraient pu nourrir le mythe de l’Atlantide.

Les études de terrain menées par Gutscher à l’aide de sonars ont d’abord montré qu’il y a 12.000 ans – période supposée de la tragédie – l’île était plus petite que ne le pensait son collègue et donc difficilement habitable. Mais l’étude des sédiments a révélé une histoire insoupçonnée : le géologue a découvert les traces de turbidité, véritables avalanches sous-marines. Plusieurs séismes auraient secoué l’île, qui se serait donc enfoncée dans la mer plus brutalement que ne le décrivait Collina-Girard. Un scénario plus proche de la catastrophe relatée par Platon, selon lequel l’Atlantide et sa brillante civilisation ont disparu en un jour.

L’hypothèse de l’Atlantide identifiée par les colonnes d’Hercule selon Jacques Gossart (L’Atlantide, collection les Aventuriers de l’Étrange)

En effet la paléogéographie nous apprend qu’au temps du dernier maximum glaciaire, c’est-à-dire entre 19 000 et 17 000 avant J.-C., le niveau de la mer était plus bas de cent trente mètres environ que ce qu’il est à notre époque. Il s’ensuit que des terres aujourd’hui immergées étaient alors à l’air libre, et que la géographie de certaines régions était passablement différente qu’actuellement. Ainsi, à l’ouest du détroit de Gibraltar, on relève, sur les cartes bathymétriques, la présence d’un haut-fond, connu sous le nom de « banc de Spartel », immergé entre cinquante-six et deux cents mètres de profondeur. Il ne faut pas faire de longs calculs pour arriver à la conclusion que, en 19 000 avant notre ère, ce haut-fond était une île de quatorze kilomètres sur cinq. Elle était associée à trois îlots pour former un archipel planté au milieu d’un détroit alors beaucoup plus long et étroit qu’actuellement en raison de l’émersion des plateaux continentaux européen et africain. Vers l’ouest, trois îles fermaient partiellement l’entrée du goulet, protégeant le détroit des tempêtes de l’océan. Comme le précise Jacques Collina-Girard, le détroit se présentait comme une véritable mer intérieure précédant l’océan Atlantique (soixante-dix-sept kilomètres d’ouest en est, pour une largeur de vingt à dix kilomètres, du nord au sud).

L’archipel de Spartel était-il habité ? Collina Girard suppose qu’il était occupé par des populations paléolithiques venues des continents proches. En réalité, rien ne le prouve mais, compte tenu de la faible distance à parcourir en mer (une dizaine de kilomètres jusqu’à l’île centrale), il est fort probable que des populations paléolithiques y vivaient effectivement. On sait en effet que l’homme s’est aventuré très tôt en mer, et se rendre sur l’archipel de Spartel au départ des côtes européennes ou africaines constituait un voyage facile : outre le fait que les eaux relativement calmes du détroit ne devaient pas présenter de grandes difficultés de navigation, ces paléomarins avaient l’avantage de pouvoir se diriger à la vue compte tenu des faibles distances à parcourir.

Le scénario de Collina-Girard, basé sur la lente mais inexorable montée des eaux, est d’une simplicité biblique : en 19 000 avant J.-C. existait au milieu du détroit de Gibraltar un archipel qui fut recouvert par l’océan, transformant l’île de Spartel en haut-fond culminant aujourd’hui à une profondeur de cinquante-six mètres. D’après les calculs, l’île de Spartel a été entièrement engloutie vers 9000 avant J.-C. Les populations locales ont dû être vivement frappées par la montée inexorable des eaux, bien visible puisqu’on estime qu’en une vie humaine, le niveau s’élevait de quelque deux mètres. Et c’est au départ de cet événement que se serait formé le mythe de l’Atlantide et de sa disparition soudaine.

S’il est vrai qu’au niveau de l’ancienneté de l’événement (aux alentours du dixième millénaire avant notre ère) et de la localisation de l’île, l’hypothèse de Collina-Girard colle à peu près avec la description du Timée (nous ne serons pas trop pointilleux sur le fait que l’île de Spartel n’est pas vraiment « devant » le détroit de Gibraltar mais carrément « dans » le détroit de Gibraltar), il n’en va plus de même à propos d’autres éléments importants de la description de Platon. Ainsi, et encore une fois pour parler chiffres, les dimensions de l’île données par Platon ne correspondent pas du tout à l’étendue de Spartel. En effet, cette dernière a une superficie de soixante-dix kilomètres carrés environ, alors que l’étendue d’une Atlantide « plus grande que la Libye et l’Asie réunies » peut être estimée à quatre cent mille kilomètres carrés (soit le double de la « plaine royale »), la fourchette étant de deux cent cinquante mille à quatre cent trente mille kilomètres carrés environ.  La légende aurait-elle amplifiée les dimensions de l’Atlantide ? ou faudrait-il entendre par là la civilisation Atlante qui excédait les dimensions de l’île ?

Le scénario d’un Tsunami

L’île du cap Spartel fut elle submergée de la même façon que l’Atlantide ?

Le niveau de la mer 12 000 ans B.P était inférieure de 135 mètres à l’actuel niveau. C’est pour cela que l’île du cap Spartel était émergée à cette époque. Sa submersion serait donc due à l’élévation du niveau de la mer. Cette élévation a été provoquée par un réchauffement climatique qui eut lieu 12 000 ans B.P, survenu juste après une grande période de glaciation, et qui en moins de vingt mille ans fit remonter le niveau de la mer de 135 mètres. En effet le réchauffement de la température provoqua la fonte des glaces. Toutefois ce n’est pas la fonte des glaces présentes dans la mer qui fit s’élever le niveau de la mer. L’élévation du niveau de la mer est due à la fonte des glaces présentes sur la terre c qui est tout à fait différent.

L’île du cap Spartel fut donc immergée par la montée progressive des eaux, qui mit près de 200 000 ans à la recouvrir. Or une telle immersion ne correspond pas à la description de Platon où l’Atlantide disparut en un jour et une nuit. Cette description correspond plutôt à un tsunami gigantesque, capable d’ensevelir sous les eaux toute une île. Il faudrait donc savoir s’il y a eu un tsunami à cette époque qui aurait pu provoquer la submersion l’île, à partir des données géologiques d’il y a 12 000 ans.

Grâce à l’analyse de ces carottages on peut donc savoir s’il y a eu des séismes provoquant des tsunamis dans le détroit de Gibraltar. On peut même connaître la vitesse des vagues, car ces courants, en se déplaçant, produisent une érosion par aspiration à l’avant, puis un dépôt après leur passage. Les plus gros éléments sont déplacés par traction, les autres particules restent en suspension. Les éléments déposés par un courant de turbidité, ou turbidites, se déposent ensuite en fonction de la diminution de vitesse de l’eau suivant une séquence spécifique aussi appelée séquence de Bouma.

C’est donc plus spécifiquement grâce à la séquence de Bouma qu’on peut retrouver s’il y a eu des séismes à cet endroit dans le passé. Et en effet cette zone a subi de nombreux séismes depuis 12 000 ans. On remarque grâce à l’étude de ces turbidités qu’il y a eu 12 séismes majeurs. Le plus récent, et aussi le plus connu, est celui de Lisbonne en 1755 qui était de 8,7 sur l’échelle de Richter.

Il convient ici de rappeler certains faits : à l’est de Gibraltar, la lithosphère (constituée de l’écorce terrestre et de la partie rigide du manteau) s’est amincie pendant que les cordillères Bétiques et du Rif se sont soulevées, durant les 20 derniers millions d’années. Selon le modèle de collision admis jusqu’à présent, la plaque africaine qui remonte vers le Nord-Est est entrée en collision avec la plaque eurasiatique, puis une partie de la lithosphère se serait détachée et aurait «coulée» dans les profondeurs de la Terre. La roche chaude et visqueuse du manteau qui l’aurait remplacée, moins dense, aurait provoqué la remontée des chaînes de montagnes et provoqué le tsunami. Le détroit de Gibraltar étant situé sur une zone de collision entre la plaque eurasienne et nord-africaine, de nombreux séismes sont enregistrés à cet endroit.

On trouve une turbidité d’une épaisseur exceptionnelle datée à 12 050 B.P dont le volume est estimé à 5,8 km, ce qui revient à six fois l’épaisseur de la turbidite associée au séisme de Lisbonne. Il y aurait donc eu un tremblement de terre et un tsunami gigantesque 12 050 ans B.P. Cet événement destructif majeur aurait ravagé le littoral ibérique jusqu’à une vingtaine de kilomètres à l’intérieur des terres. Selon Jacques Collina-Girard, ce serait ce tsunami qui correspond avec la date de submersion de l’île du cap Spartel, et qui aurait précipité l’immersion de l’île. Cet évènement correspondrait avec la vengeance de Poséidon racontée par Platon.

De plus, nous pouvons noter une nouvelle concordance entre l’île du cap Spartel et l’île Atlantide. Une zone peu profonde s’étend au nord de l’île où il y a présence de nombreux récifs connus des marins de nos jours et aussi surement des marins antiques. Ces récifs étaient présents après ce grand tsunami. Comme à l’époque de Platon le niveau de la mer se trouvait à un mètre sous le niveau actuel, les récifs représentait un risque plus important comme le montre la description de Platon: «De là vient que, de nos jours, là-bas, la mer reste impraticable et inexplorable, encombrée qu’elle est par la boue que, juste sous la surface de l’eau, l’île a déposée en s’abîmant. »

La théorie de Jacques Collina-Girard sur la position de l’Atlantide est donc très intéressante car elle concorde en beaucoup de points avec le texte de Platon aussi bien sur la position de l’Atlantide que sur sa disparition. Elle reste actuellement  la thèse la plus probable concernant l’Atlantide de nos jours.

Nous abordons la question du passage par le détroit de Gibraltar par les paléo berbères et les Celtibères dans notre ouvrage à paraitre :

Voir ici pour souscrire à l’ouvrage