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Le secret de la Maison Dieu, arcane XVI du Tarot

Le secret de la Maison Dieu : du Roc à la Tour.

A l’évidence il est vain de chercher dans la littérature pléthorique qui sévit autour des tarots une explication digne de ce nom sur ses origines. Cette explication permettrait pourtant d’éclairer l’usage interprétatif qui en est fait. Devant cette carence nous avons tenté l’aventure avec une ré-interprétation comme cela n’avait jamais été fait de l’arcane XVI. Pour celle-ci il est donc nécessaire de se situer à l’époque où les cartiers italiens, helvètes conçurent ce jeu aux confluences multiples.

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La période d’élaboration du Tarot est connu et se situe au XVIème siècle, soit cette période décisive de la crise européenne entre fin du Moyen Age et Renaissance. Les foyers se situent entre Milan, Lyon et l’Helvétie en contact avec l’empire germanique. Mais la matrice jamais dévoilé jusqu’ici est celui des Gouliars, ou Goliars .. Qui sont-ils ? Vaste sujet qui mériterait un livre entier mais nous nous contenterons d’en donner quelques indications en liminaire de ce travail. Notons simplement en préambule que cette école fut aussi le véhicule où la Tradition la plus antique fut transmise en Europe avec quelques représentants émérites comme François Rabelais, Fulcanelli la signala sous le nom d’Art Gothique ou art des gots … C’est en effet dans ce petit milieu des imprimeurs initiés que les cartrers puisèrent leur enseignement avant de le tramer dans ces jeux populaires connus sous le nom de Jeu de Tarot.

Art des Gots, et art d’angler : Rabelais

rabelaisSelon Grasset d’orcet, Rabelais semble être le premier à avoir appliqué à la littérature les règles de l’aNGLe, que l’on peut aussi bien lire LaNGue L. Il appartenait, comme Étienne Dolet ou Bonaventure Despérier, à la Société angélique, fondée par l’imprimeur Gryphe. Les membres de ce petit cénacle littéraire de savants et d’artistes s’étaient placés sous le patronage de saint Gilles, et avaient pris pour cimier une tête d’ange. Selon Grasset, les mots IL GèLe auraient servi à indiquer dans cette société la présence d’un indiscret. Grasset d’Orcet précise aGgeLos signifie réellement un messager, un porteur de nouvelles ; La société angélique de Gryphe était juste aussi angélique que l’agence Havas. On la nommerait aujourd’hui une agence de correspondance. A la suite de Péladan, Paul Naudon suppose l’existence d’un cénacle, qu’il nomme AGLA. Les règles du grimoire identifient aGLa, aGeLos et GiLles, mais aussi aiGLe. Or, dans un autre article, Grasset précise que Aggelos est l’esprit en grec. C’est aussi le sens de l’aiGLe de saint Jean, figuré sur les lutrins des églises. Mais GL représente les GouLiards ou GauLts. Grasset suppose que ces Gouliards tiraient leur nom de la langue dans laquelle ils écrivaient leurs hiéroglyphes : le GauLois ou la langue populaire.

 Les Gouliards et la messe des fous (se reporter à Fulcanelli et mes cahiers pour en savoir plus) :

Les Gouliards (Goliards), fils de GOULIA ou de GOLIAS, étaient apparus dès le XIIè siècle. Ces étudiants turbulents forts en gueule ou portés sur la gueule, pauvres, erraient d’université en université, en vantant les mérites de l’amour et du vin. Le concile d’Aquisgraux, au IXe siècle, sous le règne de Louis le Pieux, ordonnait aux dignitaires de l’Église de ne pas admettre parmi eux les clercs qui, abandonnaient leur cloitre devenaient vagi et lascivi, gulae et ebrietati et caeteris suis voluptatibus dediti, eieiermi sioi ibidem cet licitum faciant. En effet Grasset suppose que :

Charlemagne, en concentrant dans les cloîtres tout ce qui restait de traditions scientifiques, littéraires et artistiques, se trouvait en avoir fait en même temps des foyers de paganisme et des repères de l’hérésie.

Les conciles de Trèves (1227) et de Rouen (1241) fulminent de nouveau contre l’inconduite de clercs ribauds, surtout ceux qu’on dit de la famille de Golias. Cependant, ces clercs ribauds sont bien acceptés, et, au milieu du XVe siècle encore, un docteur en théologie d’Auxerre, Gerson, défend l’ordonnance de la messe des fous en ces termes :

« Les tonneaux de vin exploseraient si de temps en temps on n’enlevait pas la bonde pour que l’air accumulé puisse s’en échapper. Or donc, nous aussi sommes de vieux tonneaux, par surcroît mal cerclés ; le vin de la sagesse nous ferait éclater si nous le conservions sans cesse uniquement pour le service de Dieu. Aussi certains jours nous l’aérons, nous nous laissons aller au plaisir le plus exubérant, aux folies, pour ensuite nous en retourner avec un zèle d’autant plus grand à l’étude et aux exercices de la sainte religion. »

Carmina Burina, oeuvre des Gouliards.

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Abbaye de Benediktbeuern

On retrouve différents exemples de messes de joueurs, de buveurs, de ripailleurs, (missae lusorum, missae potatorum, missae gulatorum) dans les manuscrits médiévaux de Ratisbonne, Halbertstad, Londres, à la Bibliothèque vaticane, etc., ainsi que, bien évidemment, dans le manuscrit, qui dans le cadre de la sécularisation des couvents de Bavière, parvint, en 1803, à la Bibliothèque centrale royale de la cour, à Munich. Le premier éditeur de ces manuscrits, le bibliothécaire J.-A. Schmeller, leur donna le nom de Carmina Burana (Poèmes de Benediktbeuern) parce que c’est dans ce monastère que le manuscrit fut rédigé. Ce manuscrit, composé avant le milieu du XIIIe siècle, constitue une imposante collection de pièces, entre autres des manuscrits de Saint-Martial de Limoges du début du XIIe siècle.

Juan Ruiz, archiprêtre de Hita, dans son poème, le Libro de buen amor, (1330,1343) fait de la faim et de l’amour les moteurs universels et premiers, mis ici sous la protection d’Aristote. On se rappelle que Pantagruel a toujours soif et faim !

Bien le dit Aristote, c’est chose véritable : ce monde pour deux choses laboure. La première, pour avoir subsistance ; l’autre (non la dernière), c’est pour avoir jouissance de femme délectable. Son oeuvre reflète le portrait type du gouliard : un clerc, bon vivant, mais clerc avant toute chose.

L’ordre se divisait en maçons et en escribouilles [escrit bulles] ; les premiers étaient architectes, les seconds furent à l’origine les copistes qui écrivaient les bulles, puis englobèrent tous les arts du dessin. Le titre de pourple en était le plus haut grade hiérarchique.

Les maçons étaient les architectes ; quant aux escribouilles, ils ont dû dans l’origine se limiter aux copistes ou écrivains de bulles, qui étaient, comme l’on sait, enjolivées de miniatures ; mais plus tard les escribouilles paraissent avoir englobé tous les arts du dessin dans toutes leurs variétés, tels que peintres, graveurs et encadreurs. C’est à cette profession que semble avoir été emprunté le titre de pourple ou pourpre, qui était le plus haut degré de la hiérarchie des escribouilles, et dont le privilège consistait à se servir d’encre pourpre et à encadrer ses compositions dans des bordures de cette couleur. Dans notre prochain article nous nous attarderons sur la lame no XVI afin de comprendre pourquoi cette lame est si importante . Son déchiffrement est proposé uniquement dans notre cahier et donc je me contenterais simplement de dégager au cours de ce prochain article quelques pistes mais il y a tant à dire ! Article à suivre « Arcane XVI ou le secret des Menestrels »

 

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Mystérieuse cabale phonétique

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Le lion vert de la place de Belfort à Paris (XIVème arrondissement)

Cet article qui trainait jadis sur l’un de nos sites (contrepoints.com) et que nous avions cru perdu perdus à jamais mais retrouvé par hasard …

Vous aimeriez pénétrer, dites-vous, les mystères qui nous entourent, comprendre le langage hermétique des vieux grimoires qui renferment, dit on, des secrets oubliés. Vous vous passionnez, assurez-vous, pour la recherche des connaissances traditionnelles qui fondent les sociétés
humaines, qui donnent les clés des religions et des sociétés initiatiques. Si vous avez déjà pu rentrer dans certaines de ces connaissances réservées, vous êtes sur la bonne voie et vous n’avez nul besoin de nous. Le simple rappel des paroles attribuées à Nicolas Valois, grand alchimiste normand dont on connaît peu précisément l’époque de l’existence, vous suffira :

«En perdant la pureté du coeur, on perd la Science

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Art Gotique ou cabale phonétique

couv_grimoireLe langage des oiseaux est le plus souvent l’utilisation de rébus ou de jeux de mots, dans l’objectif de coder des oeuvres ou des livres, à des fins politiques (Rabelais), ou ésotériques.

Grasset d’Orcet, au XIXème siècle, donne certaines règles de décodage des devises hiéroglyphiques du blason que nous résumerons ainsi:

Elles se composent de vers de six à huit syllabes, terminées par une syllabe où entre la lettre L, que le nom de l' »écusson cartel » ou « carrel » fournit aux devises les plus courtes.

Tout dessin blasonné doit se déchiffrer en commençant par les pieds (de bas en haut).

Il précise aussi la règle simple du lanternois, comme utilisée chez Rabelais: le lanternois ne tient pas compte des voyelles.

Le terme langue des oiseaux s’entend probablement par le fait que les oiseaux sifflent des mélodies, des musiques qui sonnent joliement aux oreilles mais dont on ne réalise pas le sens caché. On les entend, mais on les entend pas (dans le sens de comprendre). Cet aspect sera amplement décrit avec Grasset d’Orcet.
Il y a aussi un sens plus profond à la langue des oiseaux et qui est le fait qu’elle est inexprimable par les mots ou la voix. Ce qui nous amène au langage des symboles.

Les symboles ont un sens, voire plusieurs sens car certains sont très riches. Et la compréhension du langage des symboles (langage alchimique par excellence) implique un long apprentissage par la réflexion ou l’expérience sur le terrain (visite de sites, de cathédrales) et surtout pratiquement l’impossibilité de transmettre ce que l’on ressent, si ce n’est par d’autres symboles.

C’est là l’essence du vrai secret initiatique. Transmis par des rituels symboliques, il est inexprimable car de l’ordre du ressenti. En parler seulement ne permet pas de le comprendre.

Ce langage symbolique fait prendre des raccourcis de pensée. Dans un autre domaine, c’est le même principe que l’utilisation de signes en mathématiques ou en physique, qui par le langage symbolique permettent à des gens de transmettre des concepts énormes sans se parler, par un simple signe. L’exemple du E=MC2 est très significatif. Peu de gens peuvent pénétrer les véritables arcanes mathématiques de cette formule mais tout le monde a en tête les applications de cette formule sur l’énergie atomique.

Le langage des oiseaux est une jolie musique. Elle attire même si on ne la comprend pas. C’est ainsi que nombreux sont ceux qui se lancent dans leur quête personnelle du Graal, sans raison exprimable, seulement à cause de telle légende lue, ou de telle cathédrale visitée. Ils ont soulevé un coin du voile et ne peuvent l’oublier.

Car telle est pourrait être la quête du Saint Graal: une simple quête du Saint Bol…

Citations :

Fulcanelli dans « Les Demeures Philosophales », fut un des premiers à révéler clairement le sens de la langue des oiseaux:
P. I.159: « […] Les vieux maîtres, dans la rédaction de leurs traités, utilisèrent surtout la cabale hermétique, qui’ils appelaient encore langue des oiseaux, des dieux, gaye science ou gay scavoir. De cette manière, ils purent dérober au vulgaire les principes de leur science, en les enveloppant d’une couverture cabalistique. […] Mais ce qui est généralement ignoré, c’est que l’idiome auquel les auteurs empruntèrent leurs termes est le grec archaïque, langue mère d’après la pluralité des disciples d’Hermès. La raison pour laquelle on ne s’aperçoit pas de l’intervention cabalistique tient précisément dans ce fait que le français provient directement du grec. »

p. I.164: « c’est justement ce grec qu’on retrouve partout en France, même dans l’Argot de Paris. La langue des oiseaux est un idiome phonétique basé uniquement sur l’assonance. On n’y tient donc aucun compte de l’orthographe, dont la rigueur même sert de frein aux esprits curieux […]. […] Les rares auteurs qui ont parlé de la langue des oiseaux lui attribuent la première place à l’origine des langues. Son antiquité remonterait à Adam, qui l’aurait utilisée pour imposer, selon l’ordre de Dieu, les noms convenables, propres à définir les caractéristiques des êtres et des choses créées. »

p. I.167 :  « les anciens écrivains l’appelaient langua general (langue universelle), et lengua cortesana (langue de cour), c’est-à-dire langue diplomatique, parce qu’elle recèle une double signification correspondant à une double science, l’une apparente, l’autre profonde. »

p. II.26 2 : A ne pas confondre Kabbale et cabale: « La kabbale hébraïque ne s’occupe que de la Bible; […]. La cabale hermétique s’applique aux livres, textes et documents des sciences ésotériques de l’antiquité, du moyen-âge et des temps modernes. Tandis que la Kabbale hébraïque n’est qu’un procédé basé sur la décomposition et l’explication de chaque mot ou de chaque lettre, la cabale hermétique, au contraire, est une véritable langue […]

« p. II.267 : « Employée au moyen-âge par les philosophes, les savants, les littérateurs, les diplomates. Chevaliers d’ordre et chevaliers errants, troubadours, trouvères et ménestrels […] discutaient entre eux dans la langue des dieux, dite encore gaye-science ou gay-scavoir, notre cabale hermétique. Elle porte, d’ailleurs, le nom et l’esprit de la Chevalerie, dont les ouvrages mystiques de Dante nous ont révélé le véritable caractère. […] C’était la langue secrète des cabaliers, cavaliers ou chevaliers. Initiés et intellectuels de l’antiquité en avaient tous la connaissance. »

Voici d’ailleurs un indice quant au cheval qui orne le mur sud de l’église de Saint-Grégoire-du-Vièvre, et dont le message se lit d’abord en rébus ou langue des chevaliers pour se terminer en symboles, beaucoup moins évidents à comprendre.

p. II.269 : Sont basés sur la langue des oiseaux « Les oeuvres de François Rabelais et celles de Cyrano de Bergerac; le Don Quichotte de Michel Cervantès, les Voyages de Gulliver de Swift; le Songe de Poliphile de Francisco Colonna; les Contes de ma mère l’Oie, de Perrault; etc…« 

Jonatan Swift a d’ailleurs à son époque publié un livre sur le pun, ou l’art en anglais de faire des jeux de mots.

Fucanelli encore, dans « Le Mystère des Cathédrales » révèle le sens de l’art gothique des cathédrales et le fait qu’elles cachent en leurs statues et imageries un sens caché, alchimique :

p. 55 : « Pour nous, art gothique n’est qu’une déformation orthographique du mot argotique, dont l’homophonie parfaite, conformément à la loi phonétique qui régit, dans toutes les langues et sans tenir aucun compte de l’orthographe, la cabale traditionnelle. La cathédrale est une oeuvre d’art goth ou d’argot. Or, les dictionnaires définissent l’argot comme étant un « langage particulier à tous les individus qui ont intérêt à communiquer leurs pensées sans être compris de ceux qui les entourent ». C’est donc bien une cabale parlée. Les argotiers, ceux qui utilisent ce langage, sont descendants hermétiques des argo-nautes, lesquels montaient le navire Argo […] pour conquérir la fameuse Toison d’Or. […] Tous les Initiés s’exprimaient en argot, aussi bien les truands de la Cours des Miracles, – le poète Villon à leur tête,- que les Frimasons, ou francs-maçons du moyen-âge, « logeurs du bon Dieu », qui édifièrent les chefs-d’oeuvre argotiques que nous admirons aujourd’hui.« 

p. 56 : « L’art gothique est, en effet, l’art got ou cot (Co en grec), l’art de la Lumière ou de l’Esprit. »

Nous ajouterons que pour le langage d’une caste particulière, qu’elle soit composée de scientifiques ou de batisseurs, on utilise plutôt de nos jours le terme jargon. Or le jargon est le cri de l’Oie. Ceci à prendre comme référence aux « contes de ma mère l’Oie » de Perrault. Oie qui rappelle le « Oyez », crié pour qu’on « entende » bien le texte… D’ailleurs les termes Gay-scavoir et Gaye-science on en commun le mot Gay. Que peut donc bien signifier ce qualificatif joyeux sinon le fait que celui qui entend la langue des oiseaux est plein de JOIE (« J’oie, car son ouïe perçoit la musique des sphère », p. 23 de « Fulcanelli et le cabaret du Chat Noir », de Richard Khaitzine).

Le chat noir et les arts (3)

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L’activité du premier Chat Noir est intimement liée aux événements historiques qui l’entourent, représentant une sorte de pause créative entre l’amnistie des Communards (1880) et les premières turbulences de l’affaire Dreyfus (1894-1898). Le choix du lieu par Rodolphe Salis revêt une importance particulière : aux pieds de la Butte sacrée, le boulevard Rochechouart représente le trait d’union idéal entre les artistes montmartrois et le public bourgeois, qui peut facilement y accéder. Montmartre devient ainsi le centre de la culture hors de la tradition savante pro­prement dite.

Bien que le cabaret le plus ancien soit Le Cabaret des assassins, plus connu sous le nom de Lapin à Gill (ensuite Lapin Agile), c’est le Chat Noir qui marque l’esprit du temps. Sans revenir ici sur son histoire – voir notamment les études de Martel Oberthür–, nous voudrions plutôt attirer l’attention sur l’aménagement du lieu, car ce dernier influence le rapport entre le chansonnier et son public.

Étant donné les dimensions relativement exiguës de la salle (3,5 x 4 mètres), Salis soigne principalement l’aspect visuel, en confiant au peintre Adolphe Willette le soin de plu­sieurs réalisations, parmi lesquelles, rappelons-le, le vitrail La Vierge verte’, caractérisé par un symbolisme décadent, et le célèbre Parce Domine (cat. 8, p 86) qui, après avoir décoré le premier et le second Chat Noir, est aujourd’hui conservé au musée de Montmartre. Le reste du décor se compose d’une pacotille vaguement Louis XIII, constituée d’objets et de mobilier de récupération.

Les tables et les chaises, très inconfortables, obligent le public à se mélanger aux artistes présents sur scène, si l’on peut nommer de cette manière le petit cagibi surélevé de trois marches. De cette façon, plus aucune distance n’existe entre l’acteur chanteur et le public, qui participe au spectacle, tout en en devenant une composante fonda­mentale.

La chanson montmartroise est ainsi au sommet de l’ex­périmentation du genre,  suspendue entre l’innovation for­melle et la continuité d’une tradition musicale qui, partant de l’opérette, plonge ses racines dans l’exotisme de l’argot. Les artistes à énumérer sont fort nombreux, outre ceux déjà nommés comme faisant partie des Hydro­pathes, nous puvons citer  : George Auriol, Maurice Boukay, Charles Cros, Paul Delmet, Maurice Donnay, Georges Fragerolle, Jean Goudeski, Vincent Hyspa, Eugène Lemercier, Jean Richepin, Pierre Trimouillat et bien d’autres…

Steven Moore Whiting a déjà souligné les diverses typo­logies de chanson qui caractérisent la production du Chat Noir entre sa création (1881) et la mort de son fondateur (1897)8. Il les a distinguées comme suit : chanson réaliste, sentimentale, satirique et macabre. La production musicale qui a vu le jour au Chat Noir s’impose par sa nouveauté : dans le choix des sujets, mais aussi dans l’attitude de l’interprète, souvent auteur de la musique et du texte.

Parmi ces figures, celle de Maurice Mac-Nab mérite une attention spéciale, notamment pour le fort accent politique et social de ses compositions. C’est au Chat Noir qu’il trouve son épanouissement. Le caractère impertinent de la Butte et ses tendances anarchisantes permettent à Mac-Nab de transformer sa raillerie sociale en ironie macabre. Dans L’Omnibus de la préfecture, son ton satirique est au service d’un rapin qui voyage dans une voiture originale :

« Quand j’veux ménager ma chaussure. / Pour me ballader [sic] j’ai choisi / l’omnibus de la Préfecture ! » Dans L’Expul­sion, c’est un cri revanchard que Mac-Nab hisse contre les puissants et les riches :

«Moi, j’vais vous dire la vérité : / Les [sic] princ’il est capitalisse, / et l’travailleur est exploité, / c’est ça la mort du socialisse ! […] Pour que l’mi­neur il s’affranchisse /Enfin, qu’tout l’mond’soye expulsé/ il rest’ra plus qu’les anarchisses ! »

Les deux plus grands interprètes de cette nouvelle tendance, qui apparente la construction du personnage scénique à l’exigence renouvelée des affiches, sont Aristide Bruant et Yvette Guilbert. Le rendu visuel de la chanson devient ainsi la meilleure façon de se faire connaître.

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L’ancêtre : le club des Hydropathes (2)

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L’ancêtre du Chat Noir : le club des Hydropathes

Il convient de porter l’attention sur le plus célèbre cabaret montmartrois : Le Chat Noir. Pour en retracer l’histoire, il faut partir du Quartier latin, notamment de l’activité du club des Hydropathes.

En 1878, Émile Goudeau et son frère Léon louent une salle au premier étage du Café de la Rive Gauche ; il s’agit de la première salle officielle des Hydropathes ; suivront plusieurs autres endroits hébergeant ce groupe d’artistes, souvent renvoyés par les propriétaires à cause du tapage qu’entraînent leurs réunions. Michel Herbert nous dévoile le secret de ce nom si original :

« Le terme plut à cause de son étrangeté et de son euphonie. Il s’était imposé à Goudeau au cours d’une séance du Concert des Champs-Élysées, […] alors que l’orchestre jouait une valse allemande du maestro Joseph Gungl : Hydropathen Waltz. Le poète [Goudeau], qui avait fait dériver Hydropathe du grec Udor patein [sic] pensa y voir une analogie avec son propre nom patronymique. […] Goudeau décrivit l’Hydropathe comme un animal fabuleux aux pattes de cristal (Pathen: pattes. Hydro: en eau cristallisée). Il ajouta qu’une dénomination aussi imprécise avait l’avantage de ne limiter en rien l’acti­vité de la société nouvelle et la laissait libre, au besoin, de modifier ses doctrines initiales

Les soupçonnant de conspiration, la police ne manque pas de leur rendre souvent visite pendant leurs bruyantes réunions ; toutefois, l’activité des concerts, première raison de ces réunions, se poursuit. Ainsi Maurice Rollinat, Georges Lorin, André Gill et Jules Jouy animent-ils les soirées des Hydropathes. À ces artistes, que nous retrouverons au Chat Noir, il faut ajouter la présence de la seule femme dans les cabarets de la rive gauche: Marie Krysinska. Musicienne de talent, elle composait des accompagnements sur des textes de Baudelaire, de Verlaine et des mélodies de chanson. Son intérêt pour le vers libre, selon l’air du temps, la mit en concurrence directe avec Gustave Kahn, qui, lui aussi, se considérait comme l’inventeur de cette nouvelle façon d’écrire. Elle aussi emménagera dans le cabaret de Salis, mettant en musique des poèmes de plusieurs auteurs, parmi lesquels ceux de Gabriel Montoya occupent une place singulière.

Les séances des Hydropathes se déroulent toutes plus au moins de la même façon: le concert est accompagné par des exclamations, des invectives, des disputes qui souvent obligent le musicien à s’arrêter, jusqu’au moment où le pré­sident met fin à la séance en expulsant les tapageurs. Le programme est souvent improvisé et hétéroclite; les Fumistes, animateurs de ces soirées, sont responsables de la plupart des troubles au cours des réunions.

En 1881, Goudeau s’affronte directement avec les Fumistes : désemparés, les Hydropathes essaient alors de se reconsti­tuer sous une autre dénomination, d’abord celle de Mécé­néoliens et ensuite celle des Hirsutes. La véritable réponse à la crise interne que traversent les Hydropathes ne tarde pas. Ils décident de quitter le Quartier latin et de «monter» vers la Butte sacrée, abri des artistes et nouveau centre de la vie intellectuelle parisienne.

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Au Chat Noir : Montmartre ou « Montjoye » (1)

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Montmartre doit sa renommée principale­ment à la floraison de nombreux ateliers de peintre et de sculpteur, toutefois les musiciens tiennent aussi une place de choix. Installés aux alentours de la Butte, ils profitent du dynamisme qui carac­térise la production artistique et occasionnent une synergie tout à fait originale entre arts figuratifs et sonores dans le panorama parisien de la fin du XIXe siècle. Les cabarets sont in primis les lieux qui témoignent de ces ferments culturels.

Origine et typologie des cabarets

L’étymologie du mot « cabaret » semble provenir du picard cambrette ou camberete via le néerlandais cabret. Après la tradition consolidée au XVIII siècle du café comme lieu de discussion et d’échange d’idées progressistes, le sens origi­naire du mot « cabaret » se transforme, désignant désormais « tous ces endroits où se réunissent, avec le public, poètes et intellectuels, chansonniers et musiciens, peintres et critiques d’art, diseurs de poésies et acteurs».

Concetta Condemi identifie à Paris, entre 1850 et 1890, 396 salles et 600 fonds de commerce utilisés comme lieux de spectacle La clientèle est fortement différenciée, c’est pour cette raison que durant la soirée, des chansons alternent avec des représentations d’arts variés mêlées à des numéros de cirque. Il est aujourd’hui difficile d’évaluer la durée moyenne d’existence d’un cabaret, mais, si l’on en croit les témoignages des contemporains, de nombreux établis­sements disparaissent après seulement six mois ou un an d’activité. Quantitativement les arrondissements les plus riches en salles sont les IXe, Xe et XIe avec 121 salles, suivis par les IIè, IVè, Vè, XVIIIème avec 80 salles.

Souvent considérés comme des lieux de perdition, contraires aux valeurs d’une certaine société sous la IIIe République, les cabarets sont classés en trois caté­gories: d’abord les salles très luxueuses, proches des véritables salles de théâtre (comme l’Eldorado, l’Alcazar lyrique et les Folies Bergère), suivies par les plus modestes (situées principalement sur les Grands Boulevards) et enfin celles que l’on ne désigne pas autrement que comme « innom­mables » (souvent des endroits où la violence et la prostitu­tion étaient de mise).