
L’ordre des templiers s’est bâti sur deux piliers dont l’un a été la plupart du temps négligé par les historiens : d’une part, celle du monachisme cistercien de la Stricte Observance bénédictine (qui servira ultérieurement de modèle pour les premiers devoirs des compagnons bâtisseurs « enfants de Salomon ») dont les Templiers se sont inspirés pour élaborer leur règle de vie; d’autre part, celle du mouvement canonial des chanoines réguliers suivant la règle de saint Augustin qui va présider aux pratiques liturgiques de nos moines soldats.
Les premiers sceaux de maîtres de l’ordre des Templiers portaient une figure restée énigmatique. Deux chevaliers en armes, portant bouclier et lance, heaume conique à nasal en tête et protégé de cotte de mailles, haubert et chausses de mailles, chevauchaient une même monture. La légende, SIGILLUM.MILITUM.XPISTI, rappelle qu’ils étaient les chevaliers du Christ.
Ce sceau, deux cavaliers sur une même monture, symboliserait différents aspects de l’idéal templier : la pauvreté, l’humilité, la fraternité, l’union du militaire et du religieux ; la légende et peut-être l’escarboucle figurée sur leur écu rappellerait leur vocation : les chevaliers au service du Christ. C’est cet idéal que donne Hugues de Payns, fondateur de l’ordre du Temple, à un groupe de chevaliers qui, au lendemain de la première croisade, décident de vivre comme des religieux. Ils se donnent la mission de protéger les pèlerins sur le chemin du pèlerinage de Jérusalem et de défendre les Lieux Saints. Hébergés dans un premier temps à l’Hôpital Saint-Jean, les «pauvres chevaliers du Christ» vont être accueillis en 1120 dans la mosquée d’Al-Aqsa, édifiée à l’emplacement de l’ancien palais du roi Salomon, où réside alors le roi de Jérusalem, Baudouin II. Quelques années plus tard, le roi installe son palais à côté de la tour de David, abandonnant aux pauvres chevaliers du Christ l’ensemble de la mosquée ; ils deviennent alors les chevaliers du Temple.

Un autre sceau de Maître (début XIIIe siècle) évoque le lieu d’installation des Templiers à Jérusalem, expliquant par ailleurs le nom même de l’ordre. La mosquée d’Al-Aqsa, est située au sud de l’esplanade du Temple de Jérusalem, où Salomon avait bâti son palais.
L’esplanade est dominée par un édifice musulman, le Dôme du Rocher, édifié à l’emplacement de l’ancien Temple de Salomon. Ce dernier avait été détruit par Nabuchodonosor en –597, reconstruit par les Juifs en – 515 et transformé par Hérode au Ier siècle avant notre ère. Le Temple fut de nouveau détruit par les romains en 70.
Le dôme du Rocher, élevé par le calife Abdel-Malik à l’emplacement du temple d’Hérode, figure sur un sceau de maître ou en contre-sceau dès 1167 -1168.
Le Dôme du Rocher, appelé par les chrétiens Templum Christi, abrite sous sa coupole, selon la tradition musulmane, le rocher sur lequel Abraham aurait fait le sacrifice d’Isaac; c’est de ce même rocher, toujours selon la tradition musulmane, que Mohamed serait monté au Ciel à sa mort.

La mosquée al-Aqsa est située sur un lieu très symbolique : le mont du Temple, site du temple de Jérusalem, reconstruit au VIe siècle av. J.-C. et agrandi au Ier siècle av. J.-C. par Hérode, avant d’être détruit en 70 par les Romains. Le Mur des Lamentations témoigne de ce passé. La mosquée semble avoir été édifiée sur « le secteur ajouté au Ier siècle à l’époque d’Hérode pour permettre la construction d’une basilique royale et de sa colonnade, la stoa » ; elle prend place sur « une structure hérodienne en forme de basilique romaine classique ».
La majorité des historiens de l’art affirment que durant la période chrétienne, le lieu fut laissé à l’abandon, sans doute pour marquer le triomphe du christianisme sur l’ancienne religion. Selon eux, ce n’est qu’avec l’arrivée de l’islam que l’esplanade des mosquées est à nouveau utilisée pour des édifices religieux. Ce fait est appuyé par l’étude d’Andreas Kaplony sur les sources textuelles historiques, qui indiquent que l’esplanade du Temple, sous les Byzantins, avait été négligée et qu’il s’agissait d’un lieu de non-architecture, où la nature avait repris ses droits. Pourtant, de 1938 a 1942, des fouilles sont entreprises par l’archéologue Robert William Hamilton. Les photographies prises à l’époque, présentées par l’archéologue Zachi Zweig lors d’une conférence en 2008, montrent l’existence dans les soubassements de l’édifice, d’un mikvé datant de l’époque du deuxième Temple, et de mosaïques d’un bâtiment public, probablement une église. Une opinion récurrente dans les ouvrages du XIXe siècle est qu’une église avait été établie à cet emplacement en 530 par l’empereur Justinien. Toujours selon cette étude d’Andreas Kaplony , il semble que les juifs de la ville aient tenté, sous Julien (règne de 361 – 363) puis lors de l’occupation sassanide de la ville (614 – 628) d’y reconstruire un temple, en vain. C’est donc sur cet emplacement que les templiers s’établirent pendant près d’un siècle.
Les chanoines réguliers de Jérusalem

Au début du XIIème siècle, les usages de la Stricte Observance bénédictine établis par Étienne Harding, troisième abbé de Cîteaux (1099-1133) ou ceux d’une abbaye comme celle des chanoines réguliers de Saint Victor de Paris, crée en 1108 par Guillaume de Champeaux (1070-1121), sont tous les deux à l’avant-garde de la réflexion menée par l’église grégorienne pour réformer une civilisation carolingienne en pleine décadence féodale.
Les Pères du concile réunis à Troyes en Champagne en 1129 offriront à la nouvelle chevalerie de Terre sainte et à son maître Hugues de Payns ce que l’église grégorienne avait de plus abouti pour fortifier l’âme et l’esprit de ces nouveaux chevaliers. L’aura et l’influence sur le monde médiéval comme sur l’ordre des Templiers d’une personnalité comme saint Bernard , abbé cistercien de la Claire Vallée, ont participé à éclipser le rôle joué par les chanoines réguliers sur la formation spirituelle de cette chevalerie.
Il est vrai que l’étude du mouvement canonial des chanoines réguliers selon la règle de Saint Augustin a longtemps été négligée par les historiens des religions; peut-être à cause de leur interprétation radicale de la théologie augustinienne car les clercs réguliers de saint Augustin ont été des adeptes de la République chrétienne, qui au jour d’aujourd’hui pourraient très bien s’apparenter à une théocratie ou république de type islamique.

Voilà ce que nous dit saint Augustin à propos de la République dans son livre XIX de la Cité de Dieu :
«Ne disent-ils pas eux-même que le droit, c’est ce qui dérive de la source de la justice? Et ne rejettent-ils pas comme une erreur cette opinion qui place le droit dans l’intérêt du plus fort ? Ainsi donc, où il n’y a pas véritable justice, il ne peut y avoir association d’hommes sous un droit consenti; et partant il n’y a point peuple suivant la définition de Scipion ou de Cicéron; et s’il n’y a point peuple, il n’y a pas non plus « chose » du peuple, mais une multitude quelconque qui ne mérite pas le nom de peuple. Par conséquent, si la république est la chose du peuple, et s’il n’y a point peuple quand il n’y pas association sous un droit consenti (or il n’y pas droit où il n’y a pas justice), il suit indubitablement qu’où il n’y a pas justice, il n’y a pas république. »
Les clercs de saint Augustin rêvaient d’une République universelle gouvernée par un roi-philosophe, un philosophe éclairé. Suivant l’enseignement de leur maître, ce roi-philosophe prenait la figure d’un personnage de l’Ancien Testament: le prêtre-roi de Salem, Melchisédech.

La volonté de ressusciter une République chrétienne naquit le 6 janvier 754 lorsque le pape Etienne II se rend à Ponthion auprès de Pépin le Bref pour l’adjurer de défendre la cause de St Pierre et de la République romaine. C’est à cette occasion et en échange de la reconnaissance de la dynastie carolingienne que fut négocié la création des états pontificaux. La donation sera confirmée par Charlemagne en 774 et les territoires pontificaux ne cesseront de s’étendre avec le duché de Rome et de Pérouse. Ils seront gérés comme une République « Sanctae Dei Ecclesiae Respublicae Romanarum« . Mais l’entente ne va pas durer avec les nouveaux papes réformateurs et l’idée d’une République universelle va germer et prendre forme au travers des templiers. Ce sera l’ébauche avec l’Ordre d’une première synarchie pan européenne qui se heurtera à terme avec les différents puissants en place : rois, empereurs, grands ducs … mais la mission se poursuivra et le flambeau mis sous boisseau ne tardera pas à briller de nouveau.
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