
De Guilgal à l’au-delà du Jourdain, Élie parcourt le chemin inverse de celui de la conquête. Son ascension pose les bases de la spiritualité de l’exil. Quand Dieu s’est révélé à Élie au mont Horeb, il l’a envoyé pour désigner un successeur : « Tu conféreras l’onction à Élisée… pour qu’il soit prophète à ta place. » (1 R 19,16). Cette transmission a eu lieu au moment de la mort du prophète, sauf qu’il n’est pas mort, mais qu’il a été envoyé au ciel dans un char de feu. L’histoire est la suivante. Élie est avec Élisée à Guilgal et il lui demande de le laisser pendant qu’il se rend à Beth-El, mais ce dernier refuse : « Par la vie du Seigneur et par ta propre vie, je ne te quitterai pas ! » (2 R 2,2). Le même scénario se produit à plusieurs reprises.
Le prophète Elie va trouver Elisée qui laboure dans un champ où il a déjà fatigué douze paires de bœufs. Elie s’approche de lui, et il jette sur lui son manteau en signe de transmission de l’héritage prophétique. (1 Rois 19.19-20) Alors Elisée, quitte ses bœufs, court après Elie, et dit : laisse-moi embrasser mon père et ma mère, et je te suivrai. Elie lui répond : va, et reviens ; car pense à ce que je t’ai fait. Après s’être éloigné, Elisée prend une paire de bœufs, qu’il offre en sacrifice ; il fait cuire leur chair, et la donne à manger au peuple. Puis il se lève, suit Elie, et reste à son service.
Le manteau marial.
Le mot manteau ou mantel du latin mantum, mantellum, qui a donné aussi mantille, implique l’idée d’enveloppe, de protection et, par extension, de séparation. Les auteurs latins le réfèrent volontiers au verbe maneo, rester, demeurer, et à la mancie ou art de la divination du fait de la consultation des Mânes les ancêtres, qui restent dans les foyers et que l’on invoque sur le cours de nos vies.
Il renvoie également à plusieurs figures mythologiques : Mantus, le dieu des enfers chez les Étrusques, et Mantia déesse des présages comme le devin Mantes chez Cicéron. Ainsi Manta est fille de Tirésias le voyant, capturée par les Épigones lors d’une expédition contre Thèbes, elle fut envoyée à Delphes y apportant son art de la divination, puis, quittant la Grèce pour l’Asie Mineure elle devint l’amante d’Apollon. Dans une autre version, elle est fille d’Héraclés et donne naissance à Aucus, l’équivalent de Hadés, lequel, en l’honneur de sa mère, fonde Mantoue.
Chez les Celtes, le manteau est l’attribut royal des dieux d’Irlande. Dans la « Courtise d’Etaine » en réparation d’un oeil crevé et malgré une prompte guérison, Midir le dieu de l’Autre Monde réclame un char et un manteau et la plus belle jeune fille d’Irlande en mariage, Etain, fille d’Aillil. Le manteau est celui de Manannon, et procure l’invisibilité et l’oubli, thème repris dans les Nibelungen avec le manteau de Sigfried (le turnkopppe). Lug porte ce même manteau quand il traverse l’Irlande. La parenté du manteau avec le monde invisible est ici patente. Dagda le grand dieu des druides possède un même manteau qui prend la forme et l’aspect qu’il veut.
Dans la tradition chrétienne le moine au moment de ses voeux se couvre d’un manteau et l’on pourrait invoquer bien d’autres traditions renvoyant au même symbolisme et il apparait de façon affirmé dans le manteau marial.
Son manteau est souvent constellé et les astres qui régissent le cours de nos existences viennent ici en appui de ce symbolisme. Elle incarne là la voûte céleste à la fois en tant qu’espace courbe et comme enveloppe. A Notre Dame de la Guadalupe au Mexique, ou à Pontmain, en Mayenne’, les étoiles disposées sur le manteau de la Mère de Dieu correspondent au solstice d’hiver, quand la constellation de « La Vierge à la belle chevelure » se manifeste.
Nous avons de multiples représentations de la Vierge au manteau », encore nommée de miséricorde, protectrice ou tutélaire, dite « de merci », thème répandu dans l’art chrétien qui signifie h bienveillance de la Vierge Marie à l’égard des humbles et des faibles, sa protection et son intercession. Elle attire à elle les croyants, elle les protège et Les isole. En rendent compte les Litanies de la Vierge et parmi d’autres diverses invocations : Temple du Saint-Esprit, Demeure comblée de gloire, Demeure toute consacrée à Dieu, Maison d’or, Refuge des pécheurs, Reine de la famille… etc.
La Vierge Marie, image de la Mère universelle, protège sous son manteau, le peuple des croyants, les religieux consacrés, les prêtres, les évêques et les papes, mais aussi tout le peuple chrétien…
« Cette Vierge accueille et protège dans les plis de son ample manteau tout un peuple. Vierge-Femme, Elle l’est dans toute la grâce de sa féminité; Vierge-Mère, Elle l’est, de tout le peuple assemblé ; Vierge-Reine, Elle est par Dieu couronnée et les fleurons qui ceignent sa tête sont le symbole de ses vertus et mérites»
Elie dernier prophète, la relève du manteau par Elysée
« … Et il releva le manteau qu’Elie avait laissé tomber» (2 ROIS 2-13)
Cette référence tirée de l’Ancien Testament donne au Manteau un sens légèrement différent, étroitement associé à la Relève éternellement renouvelée des Serviteurs de Dieu.
Élie va être enlevé dans un chariot de feu et Élisée, visiblement désigné comme son successeur, demande à son père spirituel de lui accorder « une double potion de son esprit ». Le manteau qu’Élie laisse à Élisée symbolise visiblement la charge sacerdotale spécifique dont il est chargé ; c’est un signe de transmission, de continuité dans la réalisation de la mission sacerdotale.
Ce signe est, en fait, venu jusqu’à nous puisque l’Étole que portent tous les prêtres de la tradition chrétienne symbolise, en fait, ce Manteau d’Élie. On peut relier alors ce Manteau Sacerdotal à un Manteau de Lumière, qui exalte le Personne humaine pour lui donner la possibilité de manifester véritablement, au cours de ses actions sacerdotales, la Personne divine qui Agit, en lieu et place de l’être humain qui en est le support dans la manifestation.
Prodigieuse promotion du Serviteur qui manifeste l’action du Maître dans toute son authenticité, rappelant aussi qu’il n’y a de Sacerdote authentique que le Christ, tous les autres n’ayant que « délégation » du Maitre !
Ce Manteau d’Élie constitue donc ce signe lumineux, cette préfiguration de l’action Rédemptrice totale et parfaite de Jésus, dont l’âme d’ailleurs, « sur-émane d’Élie » suivant la tradition ésotérique chrétienne…
N’oublions pas non plus que la tradition alchimique occidentale attribue à Élie le qualificatif « d’Artiste », (Elias Artista) signifiant ainsi toute la maîtrise que celui-ci possédait sur les lois de la Vie, les règles de la manifestation de l’Esprit au sein de la matière ; le Manteau d’Élie peut alors être rapproché du manteau de l’Ermite : il voile la Lumière, pour mieux la révéler, « incorporant » celle-ci à la matière elle-même dont le Manteau constitue le symbole.
Il nous présente alors l’ultime et lumineuse manifestation de cette « Ténèbre » fondamentale, celle dont nous parle la Genèse et dont Saint Jean nous rappelle, dans son prologue, le rôle complémentaire joué par rapport à la Lumière, que les ténèbres ne sauraient saisir !
Guilgal

Le voyage initiatique d’Elie et d’Elisée décrit en II Rois 2-1/27- commence à Guilgal :
« Lorsque l’Éternel fit monter Elie au ciel dans un tourbillon, Elie partait de Guilgal avec [ son disciple] Elisée. Elie dit à Elisée : « Reste ici, je te prie, car l’Éternel m’envoie jusqu’à Béthel». Elisée répondit : « L’Éternel est vivant et ton âme est vivante ! Je ne te quitterai point». Et ils descendirent à Béthel. Les fils des prophètes qui étaient à Béthel, sortirent vers Elisée, et lui dirent : «Sais-tu que l’Éternel enlève aujourd’hui ton maître au-dessus de ta tête ?» Et il répondit : «Je le sais aussi. Taisez-vous» ».
Rappelons que Guilgal signifie en langue hébraïque «rouler par-dessus». Ainsi, le périple d’Elie et d’Elisée commence au point où l’on roule par-dessus les apparences et le monde manifesté après avoir décidé, en conscience, de s’engager sur le chemin de la Connaissance. Ensuite, Elie et Elisée vont à Béthel, ce qui signifie qu’ils se rendent à la « maison de Dieu». Ils vont recevoir la Lumière divine, but de toute queste initiatique. Leur voyage se poursuit jusqu’à Jéricho, dont la signification ésotérique est «le lieu du parfum». Jéricho est une cité entourée de puissants remparts, ce qui signifie que le lieu du parfum, qui est par analogie, le lieu des délices divins et de la Véritable Connaissance, est un endroit protégé où ne peuvent pénétrer que les élus. La dernière étape est le voyage au Jourdain. Elie, qui pour la quatrième fois demande instamment à Elisée de ne pas l’accompagner, se heurte à un nouveau refus de son disciple : « Je viendrai avec toi ». Parvenus sur les berges du Jourdain, la frontière par excellence entre les mondes manifestés et non manifestés, les deux compagnons entament l’ultime partie de leur voyage commun. Le texte dit ( II Rois 2-8/10) :
« Alors Elie prit son manteau, le roula, et en frappa les eaux, qui se partagèrent ça et là, et ils passèrent tous deux à sec. Lorsqu’ils eurent passé, Elie dit à Elisée : «Demande ce que tu veux que je fasse pour toi, avant que je sois enlevé d’avec toi. Elisée répondit : «Qu’il y ait sur moi, je te prie, une double portion de ton esprit !». Elie dit : «Tu demandes une chose difficile. Mais si tu me vois pendant que je serai enlevé d’avec toi, cela t’arrivera ainsi ; sinon cela n’arrivera.
Ainsi, Elie frappe de son manteau les eaux du Jourdain pour qu’elles s’ouvrent. Il s’agit là de la première puissance en action. Elie ouvre les eaux en les frappant de son manteau, ce qui signifie qu’il s’est dépouillé de ce manteau pour agir. Le manteau que quitte Elie avant de franchir les eaux, est celui qui est marqué par les empreintes de la vie de ce monde, avec ses souffrances mais aussi ses espérances. Il a emmagasiné les vibrations du monde terrestre, blanches et noires, ainsi que ses actions conduites dans l’incarnation. Ici, les eaux symbolisent le tumulte du monde, la matière, l’homme extérieur et le Pouvoir Royal. Quand les eaux s’ouvrent sous l’effet du manteau, les deux initiés « passent à sec ». On ne peut que voir ici l’image de la Voie Sèche du voyage alchimique, cette révélation foudroyante qui conduit à la Vérité et disperse la poussière du monde pour laisser place à une grande clarté. Avant de partir et d’entamer son ascension dans les sept Cieux, Elie demande à Elisée ce qu’il voudrait. Le fidèle disciple répond :
« qu’il y ait sur moi, je te prie, une double part de ton esprit » ( II Rois 2-9).
Par cette demande, Elisée souhaite hériter du pouvoir Royal d’Elie, ainsi que de la part de son esprit qui correspond à son pouvoir Sacerdotal. La demande d’Elisée fut reçue favorablement par le Très-Haut, puisque il traversa les eaux du Jourdain, se libérant ainsi des contingences de ce monde, avant d’accéder à la vision du firmament en train de s’ouvrir et d’Elie qui monte au Ciel dans son char de feu. L’image d’Elie sur le Char de Feu symbolise bien entendu la Pierre philosophale, et Elisée à partir de ce moment- là devient le dépositaire des plus hauts secrets du Grand Œuvre. Elisée a donc été témoin de la queste terrestre et du dévoilement des mystères célestes. Une fois qu’il a accédé à la Connaissance, Elisée saisit ses vêtements terrestres et les déchire en deux morceaux – dans la mesure où il n’en n’a plus besoin-, puis il prend le manteau qu’Elie avait laissé choir sur le sol, c’est-à-dire dans notre monde, et à son tour en fait un rouleau et frappe les eaux du Jourdain pour s’en retourner parmi les hommes (II Rois 2-12/14). Car si Elisée est désormais un Élu qui a vu le Grand Œuvre accompli, il reste qu’il n’a pas encore achevé sa mission et que Dieu lui demande de s’en retourner dans le monde de la manifestation pour y travailler de l’intérieur.
L’élu qui a franchi toutes les étapes existantes entre l’alpha de sa condition humaine à l’ultime stade de son oméga céleste, demeurera redevable envers ses frères en Humanité de ce don de double part d’esprit qu’Elisée demanda à Elie. Toute Connaissance se partage comme le plus parfait des Dons. Elisée est l’archétype de l’Humanité du Cinquième Règne qui après avoir chuté est remonté pour se fondre en cette surhumanité Réalisée dont la mission est de revenir parmi les Hommes pour leur montrer le Chemin du Retour à l’Unité. Dans II Rois 2 -15/18, les cinquante fils des prophètes de Jéricho voient que l’esprit d’Elie est en Elisée et ils se prosternent devant ce dernier. Toutefois, comme ils n’ont pas encore franchi tous les stades qui les séparent du monde des Élus, ils demandent bien naïvement à Elisée :
« veux- tu que nous allions chercher ton Maître Elie ? Peut-être que l’esprit de L’Éternel l’a emporté et l’a jeté sur quelques montagnes ou quelques vallées ? » .
Mais Elie sera introuvable, puisqu’il est désormais un Maître ascensionné qui a parcouru toutes les étapes du cycle des Sublimes Instructeurs ; et cela, Elisée le sait. Il accepte simplement la proposition des 50 élèves pour bien leur faire comprendre qu’Elie ne reviendra pas. De fait, les « élèves-prophètes» cherchent Elie pendant trois jours, mais le Temple est en Haut et cette fois il a vocation à y demeurer.

Enfin Elisée dit aux gens de la ville :
« Apportez-moi un plat neuf et mettez-y du sel… puis Elisée alla vers la source des eaux et il y jeta du sel, et dit : «Ainsi parleL’Éternel : J’assainis ces eaux ; il n’en proviendra plus ni mort, ni stérilité». Et les eaux furent assainies jusqu’à ce jour, selon la parole qu’Elisée avait prononcée… » (II Rois 2-19/22).
Le plat neuf, c’est l’ l’Homme rédempté décidé à s’engager sur le chemin de la Connaissance, c’est-à-dire à séjourner le temps nécessaire à Guilgal, à Béthel, puis à Jéricho. Le Sel, qui est symbole de purification, d’exaltation de la Parole, mais aussi de la Grâce Divine qui donne la Bonne Guidance à qui Elle veut, va ensemencer spirituellement le plat neuf- l’Homme rédempté- jusqu’à ce que ce dernier devienne un réceptacle pur du Message Divin et serve d’athanor à l’éclosion de l’Homme Universellement réalisé. Lorsqu’Elisée jette un peu de ce sel dans les eaux du Jourdain et dit que désormais ses eaux seront purifiées et incorruptibles, il nous signifie ainsi que même s’il n’existe qu’un seul Homme réalisé sur terre (les Eaux symbolisent la terre manifestée et son agitation-), qui a reçu une double part de l’esprit d’Elie, cela suffit à maintenir le processus de réintégration de l’Humanité en exil vers l’Eden qu’elle a jadis perdue. Notons enfin qu’Elie monte au Ciel après s’être délesté de son Manteau, à l’instar d’Hénoch qui accomplit son ascension dans les Cieux après avoir quitté ses vêtements.